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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History EncyclopediaLes AcadiensLe "grand dérangement"La déportation des Acadiens
[Ce texte a été rédigé par Louis-Marie Le Jeune, o.m.i.; il fut publié dans son Dictionnaire en 1931. Pour la citation exacte, voir la fin du texte. Pour une courte biographie du Père Le Jeune et une discussion de la valeur de son Dictionnaire, voir ce texte.] 4. Grand Dérangement. - Les Acadiens ont usé de cet euphémisme candide pour dénommer leur violente déportation en masse . Pour l'intelligence de ce crime social, il est nécessaire d'établir, sans parti pris, l'authenticité des faits historiques ou les causes éloignées du drame. Samuel Vetch le premier affirme qu'il conviendrait d'exiler les Acadiens dans « les Antilles françaises »; mais dans son Mémoire officiel (24 novembre 1714), il se ressaisit et insiste sur deux conséquences immédiates et funestes de leur départ : la perte pour la N.-E. de tous ses habitants et de leurs biens meubles considérables, l'accroissement et l'enrichissement des deux îles françaises, Saint-Jean et Ile-Royale; en janvier 1711, il reçoit le serment d'allégeance de cinquante-sept chefs de famille d'Annapolis, le reste des Acadiens restant soumis au roi de France. Francis Nicholson, porteur de la lettre de la reine (1713), arrive à son poste, l'été suivant; et y accueille deux officiers de Louisbourg, qui font signer à tous les habitants - moins deux - leur option pour la Couronne de France et leur exode dans un an : Nicholson invente le prétexte « de soumettre le cas à la reine » préalablement, souhaitant volontiers l'exil à « tous ces traîtres », à la condition d'abandonner tous leurs biens dans ses mains. Thomas Caulfield notifia à Port-Royal la lettre royale, « ce qui a satisfait les principaux et les a décidés à rester, et quant aux autres le plus tôt on en sera débarrassé, le mieux »; il leur fit jurer le serment de fidélité au nouveau monarque (1715). John Doucett, représentant de Philipps, fait afficher un placard (1717) qui somme les Acadiens de renouveler le serment ; ceux-ci estiment qu'ils l'ont déjà prêté, que la liberté religieuse ne reçoit aucune garantie et que l'indignation des Sauvages les menace de mort. Richard Philipps en personne apporte des conditions draconiennes : serment sans réserve ou évacuation du pays, les mains vides, dans un délai de quatre mois (1720). Il se heurte à un échec imprévu. Mais les Conseillers de la Chambre de Commerce; sous James Craggs, lui suggèrent « qu'il serait bon que les habitants français fussent transportés ailleurs, où le mélange avec les sujets britanniques leur ferait oublier leur langue, leur religion, les souvenirs du passé et en fera de véritables Anglais ». Doucett sut se montrer prudent et réservé sur l'irritante question du serment (1722-25) : il fallait à tout prix leurrer les Acadiens et les empêcher de passer aux Français, la N.-E. ne recevant pas un seul colon britannique. Lawrence Armstrong, fantasque, violent, brouillon avec les officiers et les soldats, les membres du clergé et les habitants qui se mirent à émigrer, fit une assemblée (25 septembre 1726) à Annapolis, pour la prestation du serment : la formule française avec la clause marginale « de ne point porter les armes » est signée, tandis que l'anglaise, sans la réserve, demeure seule authentique : ses mandataires, délégués à l'intérieur, subissent un refus, excepté à Beaubassin, à Piziquid et aux Mines, où l'on signe la formule française seulement. Richard Philipps revient avec le mandat impératif de régler la question d'allégeance (janv. 1730). La prestation a lieu dans tous les centres acadiens, moyennant la condition verbale de la neutralité passive des habitants : le 25 avril, un acte notarié authentique cette promesse verbale. Sous la dénomination de Neutres Français, les Acadiens devenaient sujets anglais, abandonnant désormais tout projet d'émigration : ils jouissent ainsi de vingt années de tranquillité, politique et de prospérité matérielle. Paul Mascarène, malgré son habile diplomatie, s'unit à W. Shirley, gouverneur de Massachusetts, afin d'en appeler à l'intervention du duc de Newcastle, « lui soumettant avec déférence, disent-ils, le plan d'expulsion des habitants français hors de la N.-E., en les remplaçant par de bons sujets Protestants. » (Mém. S. R. C., 1910). Le plan proposé est réalisé, quatre ans plus tard, par Cornwallis, qui promulgue l'ordre du « serment sans réserve ou l'évacuation dans les trois mois ». Mais en 1754, sir Th. Robinson devient secrétaire des Colonies et prescrit (13 août 1755) à Ch. Lawrence « de ne point agir contre les Acadiens sans ses ordres ». Les desseins du lieutenant étaient arrêtés et il les exécuta sans plus de souci. En résumé, d'une part les gouverneurs et les lieutenants-gouverneurs ont usé et abusé du serment contre les Acadiens comme du cheval de Troie, dénonçant à plaisir comme douteuse leur loyauté politique, redoutant leur désertion du pays et effrayés de la vengeance des indigènes; d'autre part, les Français de Louisbourg et de Québec les pressent d'émigrer en masse, renouvelant les promesses du roi concernant les vivres pour un an, l'exemption des taxes pour dix années, l'assurance du service religieux par des prêtres salariés de l'État, l'offre de vaisseaux de transport pour le mobilier et le bétail. Ainsi l'infortuné petit peuple se sentait ballotté dans l'alternative des propositions et des défenses : en réalité, sa sortie du pays se fut effectuée, sans la prohibition de se pourvoir des agrès nécessaires aux bateaux, la suppression de tout transport français, la suspension, par ordre de Philipps, de l'aplanissement du chemin commencé. Les administrateurs britanniques, par intérêt multiple, ont agi de mauvaise foi dans l'application de la Lettre de la reine et dans l'interprétation et l'exécution du traité d'Utrecht.
Toutefois, ils eurent à subir, en guise de représailles, plusieurs tentatives ou retours de la fortune de la part des Français et des indigènes. La première tentative (1711) eut lieu sous les murs de Port-Royal, lorsque 80 soldats de la garnison de Vetch sortirent à 12 milles au nord, et que le baron de Saint-Castin avec ses Abénaquis en tua 30 et fit les autres prisonniers, la place fut investie par 200 Micmacs que suivait leur missionnaire Gaulin, avec autant de raison que le Révérend Moody accompagnait, en 1710, les troupes anglaises du général Nicholson; mais l'artillerie faisant défaut et tardant à venir de Plaisance, le siège fut levé à l'apparition des vaisseaux de Boston. La seconde tentative (1724) fut conduite par un parti de 30 Malécites aidés de 26 Micmacs : la garnison eut deux tués et plusieurs blessés; Doucett irrité exila le Récollet Charlemagne Cuvier, mit le feu à trois habitations, exécuta un Sauvage qu'il détenait depuis deux ans. Un second parti de 8 Malécites s'empare, au-dessus de Canseau, d'un navire anglais à l'ancre, tuant le capitaine et cinq matelots, faisant trois autres prisonniers, dont le P. Félix Pain racheta l'un, Pierre Leblanc, un autre, Paul Mélanson le troisième. La troisième tentative (1744), durant le conflit européen, est provoquée par M. Du Quesnel, gouverneur de Louisbourg, qui envoie le capitaine Du Vivier, contre Annapolis, ainsi que le sieur de Gannes : tous deux escomptent l'appui effectif des Acadiens, qui se réfugient dans le serment de neutralité la plus stricte. L'année suivante, quatrième tentative de Paul Marin, sieur de la Malgue : nouveau refus de coopération de la part des Acadiens. Simultanément se prépare en France l'expédition navale du duc d'Anville : l'escadre puissante est battue et dispersée par la tempête au moment d'arriver à son but (13 septembre 1746). Le corps expéditionnaire de M. de Ramesay, qui devait opérer par terre (janvier 1747) vint infliger au colonel Noble la sanglante défaite de la Grand-Pré : les Neutres-Français sont encore fidèles à leur serment. Ce fut la cinquième tentative, qui stimula la haine des Anglais, même après la paix d'Aix-la-Chapelle (1748). Leurs agressions sur mer se prononcent par la capture de chaloupes et de leurs équipages à Saint-Jean et à l'lle-Royale, du Saint-François (1750) sur l'embouchure de la rivière Saint-Jean, de l'Alcide et du Lys sur les bancs de Terre-Neuve, bref saisie de plus de trois cents bateaux pêcheurs et marchands, avant toute déclaration de guerre. Agression sur terre, comme l'érection du fort Lawrence en sol français, l'arrestation des curés de Cobequid et de la Grand-Pré et leur internement à Halifax, le feu de salves sur un parti français de Beauséjour, l'attaque nocturne du fortin de Pont-à-Buot par 300 hommes; ces hostilités délibérées présagent le conflit officiel de 1756 et l'heure de la grande iniquité qui le précède en 1755.
Les personnages du drame ont la main faite d'avance : Shirley et Lawrence, Monckton et Winslow, Morris et Murray, Handfield et Tonge, Hussey et Scott, ainsi que Pichon le transfuge. Lawrence, le lieutenant-gouverneur, a réussi a condenser toute une série de griefs contre les innocents : relations avec les Français voisins, pour qui ils travaillent et à qui ils vendent leurs denrées; émigration illégale d'un certain nombre d'habitants; connivence tacite avec l'ennemi dont ils ne dénoncent point les secrètes intelligences; informations sûres du traître Pichon, enrôlement - qui a été imposé de force - de 300 Acadiens sous le fort Beauséjour. Ces griefs allument sa fureur : ordre de saisir environ 2,400 fusils à domicile: refus d'agréer toute requête contraire à cet ordre; arrestation de 24 délégués à Halifax et leur séquestration dans l'île voisine; prestation du serment immédiate et absolue; siège et prise du fort Beauséjour le 15 juin 1755; consultation et acquiscement des amiraux Boscawen et Mostyn qui mouillent dans la rade; instructions données aux affidés au nom du roi, le 31 juillet.
Les actes du drame vont se dérouler sur l'immense théâtre : convocation à l'église de la Grand-Pré; arrestation des hommes valides qui sont déclarés prisonniers politiques; embarquement à Beaubassin des paroissiens de la Grand-Pré et de ceux des Gaspareaux, environ 1559 personnes, le 10 septembre; puis, le mois suivant, enlèvement à la Rivière-aux-Canards et à celle des Habitants, ainsi qu'à Annapolis et les environs, à Pisiquid, environ 1730 âmes. Et la chasse à l'homme se poursuit dans les régions de Cobequid, de la rivière Saint-Jean, du cap Sable. « Avec un inconcevable plaisir, écrit le capitaine Knox, on a vu les misérables Français et Aborigènes payer cher et porter le poids de notre juste ressentiment ».
Les résultats sont en effet très édifiants : 13,000 infortunés Acadiens, chassés ou exilés au loin, dépouillés de tous leurs biens, souvent séparés des membres de la parenté, jetés sur toutes les plages comme les esclaves nègres, mourant à bord ou expirant en terre inconnue; pillage du butin, récompense des bourreaux qui se partagent : 43,500 bêtes à cornes, 38,500 moutons, 23,500 porcs, 2,800 chevaux, ou un total de 110,300 animaux domestiques, saisis dans l'Acadie anglaise ou en N.-E. seulement; car il convient d'y ajouter le butin de l'Acadie française ou N.-B., Saint-Jean et le Cap-Breton. Sans tenir compte du numéraire confisqué. Tel est le bilan du drame social. En 1758, Lawrence convie les colons américains à la curée, promettant de les gratifier de terres toutes faites, de présents utiles et de biens nécessaires à leur établissement. Retour à la page sur les Acadiens
Source : LE JEUNE, L., « Les Acadiens », dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 1, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 862p., pp. 12-14.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |