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revised: 23 August 2000 | Siegfried:
the Race Question
Le Québec
une société dominée ? Réactions québécoises au livre d'André Siegfried (1906-1907) par
Lise et Pierre Trépanier* [Note
de l'éditeur : Les notes, mises entre parenthèses, ont été renumérotées et
placées à la fin de l'article. On les consultera attentivement puisqu'elles contiennent
des indications et des informations intéressantes. Le format a été aussi adapté
: l'article original, publié en trois sections, a été remis en un texte continu,
les guillemets français remplacent les originaux, et quelques petites erreurs
d'édition ont été corrigées.] André
Siegfried (1875-1959), Français protestant initié dès l'enfance à la
politique - son père fut député ou sénateur de 1875 à 1922, écrivit
le Canada, les deux races après avoir séjourné trois fois au
pays, en 1898, 1901 et 1904 (1). II venait de défendre une thèse sur
la démocratie en Nouvelle-Zélande et se préparait à l'enseignement des
sciences politiques et économiques.
De
plus de quatre cents pages, le Canada, les deux races se divise en quatre
grandes parties : 1) l'influence de l'Église, de l'école et des sentiments nationaux
dans la formation psychologique des « races » française et anglaise au Canada;
2) la vie politique canadienne vue à travers la constitution, les partis et les
élections; 3) l'avenir des « races » canadiennes; 4) les relations étrangères
du Canada. Le mot race était alors une expression courante qui signifiait
ethnie, nation, peuple. Siegfried
analyse les dominations qui, à son avis, s'appesantissent sur la société québécoise
au tournant du siècle : la domination de la société anglo-canadienne sur la société
québécoise; la domination de l'Église sur cette dernière. Particulièrement lucide
apparaît son constat sur la « race conquise (2) » : « Le Canada français porte
encore le poids de la conquêtes (3) ! » Politiquement, les Canadiens français
se sont bien défendus, mais ils ne sont pas les « maîtres du Canada (4) ». En
effet, « la clef des grandes avenues de la richesse appartient en général aux
Anglo-Saxons, qui règnent ainsi sur le pays aussi sûrement que par le bulletin
de votes (5) ». Les raisons ? L'enseignement, où l'influence de l'Église est prépondérante,
ne prépare pas autant les Canadiens français au commerce et à l'industrie que
leurs compatriotes anglophones; « leurs traditions, leurs habitudes de famille,
leurs penchants les poussent à embrasser des carrières où l'on gagne la considération,
la renommée quelquefois, mais rarement la fortune (6) »; mais aussi ces faits
fondamentaux, inéluctables : la faiblesse de la colonisation française et la conquête
: Si
dans leur lutte avec la civilisation britannique, ils n'ont pas remporté une entière
victoire, ce n'est ni faute d'intelligence, ni faute de courage; c'est peut-être
parce que - dès le commencement et beaucoup par notre faute - ils se sont trouvés
insuffisamment armés en face d'adversaires qui l'étaient puissamment (7) . Quant
à l'Église, la place qu'elle occupe au Québec atteint, selon lui, les proportions
d'un cléricalisme tout-puissant : « l'individu, la famille, les relations mondaines
sont entourés d'un réseau serré d'influences ecclésiastiques, auxquelles il leur
est presque impossible d'échapper (8) ». Il en déduit que « la conception de la
laïcité ne semble pas (...) avoir pénétré dans la Nouvelle-France (9) ». L'Église
tient particulièrement à sa mainmise sur l'éducation. Elle en fait « une question
de vie ou de mort; son avenir même en dépend (10) ». Son but est de « maintenir
français les Canadiens pour les maintenir catholiques (11) »
et elle s'applique à cette fin à les isoler pour les soustraire aux « deux
puissantes tendances de la vie contemporaine » , le protestantisme anglo-saxon
et la libre pensée française, avec, pour résultat, « l'étonnante persistance de
leur personnalité ». Mais cette protection de l'Église, si précieuse soit-elle,
se paie « d'un prix exorbitant (12) » : la
sujétion intellectuelle où le clergé voudrait les tenir, l'autorité étroite qu'il
leur impose, les conceptions démodées qu'il persiste à leur inculquer en matière
de foi ne sont-elles pas de nature à ralentir l'essor de la société canadienne-française
et à lui rendre la lutte bien difficile, en face de ses rivaux anglo-saxons, qui
sont autrement dégagés du passé et de ses formes vieillies ? À
tort, comme l'a prouvé la révolution tranquille, l'auteur y discerne un inquiétant
dilemme : ou
bien les Canadiens français resteront étroitement catholiques, et alors ils auront,
dans leur isolement un peu archaïque, quelque peine à suivre la rapide évolution
du Nouveau Monde; ou bien ils laisseront se détendre les liens qui les unissent
à l'Église, et alors, privés de la cohésion merveilleuse qu'elle leur donne, plus
accessibles aux pressions étrangères, ils verront peut-être de graves fissures
se produire dans le bloc séculaire de leur unité. Objectivement
parlant, autant que l'étude de la question religieuse, l'analyse de leur situation
de colonisés aurait dû retenir l'attention des Québécois. Derrière l'apparente
égalité politique, Siegfried démasquait la très réelle « suprématie britannique
(13) ». Les rapports linguistiques la trahissaient de trop flagrante façon pour
qu'on pût s'y tromper : Quel
Français de France ne s'est senti choqué de voir que, dans des cités aussi françaises
par la population que Montréal ou Québec, une civilisation autre que la sienne
domine manifestement et sans conteste ? Québec par exemple ne donne pas immédiatement
l'impression d'une cité qui soit nôtre( ...). (...) nombreux sont les endroits
où notre langue n'est pas comprise; plus exactement peut-être : où on ne veut
pas la comprendre. Dans les chemins de fer, elle est tolérée, tout au plus. À
l'hôtel Château Frontenac, (...) les employés supérieurs la comprennent peut-être,
mais refusent de la parler. II est vrai qu'à l'office et à la cuisine vous pourrez
vous faire entendre tout à votre aise. Mais n'est-il pas pénible que l'anglais
semble être la langue des dirigeants et le français celle des inférieurs ? Devant
cette obstination tant soit peu malveillante, les Canadiens ont fini par s'incliner.
Ils apprennent l'anglais, ce en quoi ils ont raison; mais ils n'ont jamais pu
amener leurs rivaux à parler français. Et il faut voir là malheureusement une
défaite significative. II
en est de même à Montréal. Certains étrangers peuvent y séjourner des semaines
entières (...) sans se douter le moins du monde que la ville est en grande majorité
française. La société britannique affecte de l'ignorer et elle vit et se comporte
comme si elle n'avait pas de voisins. Cent mille des siens regardent Montréal
comme leur appartenant. Puisque ce n'est ni par l'élection, ni par le droit du
nombre, il faut bien avouer qu'au fond de leur esprit subsiste encore et malgré
tout la vieille notion, non oubliée, du droit de conquête. Considérez les civil
servants des Indes et vous comprendrez mieux les maîtres du Canada. Cet
éclairage cru, les Québécois pouvaient-ils le supporter, surtout de la part d'un
étranger, en particulier d'un Français ? La susceptibilité du colonisé mise à
part, l'idéologie dominante - le traditionalisme catholique risquait-elle de le
filtrer et de brouiller les perspectives ? Ce serait une preuve de plus que l'idéologie
est, par nature, déformante. Les
Québécois apercevaient la France et son évolution récente à travers le réseau
des « amis du Canada » , presque tous catholiques et conservateurs. La moindre
observation, même irréfutable, venant d'éléments un tant soit peu associés à la
France moderne et impie, était suspecte. En France, la critique a accueilli favorablement
l'ouvrage de Siegfried, à l'exception des « amis du Canada » , qui y décelaient,
comme le royaliste Henry de Bruchard, « une nouvelle forme de l'action anti-française
(14) ». Au Québec, quelles ont été les réactions ? Pour le savoir, nous avons
constitué un dossier, dont nous présenterons ici les principales pièces, en en
proposant une interprétation. 1 -
Les premières réactions Dès
le mois d'avril 1906, au moment où l'ouvrage voit le jour, paraissent des comptes
rendus dans les revues et journaux canadiens. Aegidius
Fauteux, dans la Patrie, soutient que c'est l'enquête « la plus judicieuse
et la plus complète » qui ait été faite sur la condition du Canada et qu'aucun
livre sur le Canada n'a été « aussi rempli d'idées, aussi riche d'observations
et aussi généralement exact (15) ». « Jamais personne, poursuit-il, ne nous a
encore présenté un miroir aussi fidèle où nous nous reconnaissons. M. Siegfried
nous révèle presque à nous-mêmes. (...) Notre race y est traitée d'une façon toujours
sympathique mais sans flatterie. » Fauteux reproche néanmoins à Siegfried de voir
le Canada en protestant et en libre penseur. Siegfried n'a pas compris que l'Église
maintenait les Canadiens français catholiques et que cela suffisait pour les maintenir
français, et que si l'Église exerçait une emprise considérable sur le peuple canadien,
c'était parce que celui-ci lui reconnaissait un rôle surnaturel. De plus Siegfried
exagère les craintes du clergé canadien à l'endroit du protestantisme, de la France
moderne et des mariages mixtes. Pour Fauteux, la conclusion de Siegfried - à savoir
que les Canadiens français devront choisir entre l'unité, en restant étroitement
catholiques, et le progrès, en desserrant les liens avec l'Église - est l'expression
de « la théorie depuis longtemps réfutée de l'infériorité des peuples catholiques
». En revanche, Fauteux se plaît à souligner cette autre conclusion de Siegfried
: « le maintien du catholicisme semble être la principale condition de la persistance
de notre race et de notre langue au Dominion ». Enfin, ce que Siegfried écrit
sur l'avenir de la nation canadienne-française et la suprématie britannique lui
paraît « un chapitre humiliant pour nous » , que pourtant il aimerait « pouvoir
citer en entier ». Hector
Garneau, petit-fils de l'historien, à qui Siegfried a envoyé un exemplaire de
son livre, s'entoure de moins de prudence (16) . À son avis, c'est « une étude
singulièrement pénétrante et fouillée » , la meilleure « qui soit encore parue
sur notre pays ». Siegfried « a fort bien compris et mis dans son vrai
jour la situation privilégiée, parmi nous, de notre tout-puissant clergé (17)
». Sans récuser la formule de Siegfried : « l'Atlantique et la Révolution nous
séparent » , Garneau croit devoir observer :
Si nous n'avons pas fait notre
1789, nous admirons toutefois l'éclat superbe et l'immense portée du vôtre. Mais
à défaut de 1789, nous avons fait 1837. (...) Nous aussi, nous avons conquis l'égalité
et la liberté. Nous les vaincus de 1759, nous avons arraché à une oligarchie (...)
l'autonomie législative et provinciale. Et cette victoire, achetée par le sang
et l'exil des nôtres, nous l'avons remportée tout seuls, avec nos seules forces.
(...)1837 représente une révolution féconde et une heure marquante dans l'histoire
coloniale du monde, C'est à cette époque que notre nationalité, en dépit de ses
revers, devint maîtresse d'elle-même et prit conscience de ses forces nouvelles
et de son avenir triomphant. Quant
aux distances entre le Canada et la France, Garneau veut détromper Siegfried :
Nous recevons de Paris,
de Londres, de New York, les grandes revues et les nouvelles publications. Que
notre clergé s'emploie à empêcher, parmi nous, la vente de romans obscènes qui
calomnient la probité et l'honneur français, il y a de quoi assurément, l'en féliciter.
Quant au reste, les bibliothèques anglaises et les librairies canadiennes-françaises
nous offrent le meilleur du génie et de la science de la France (18). Garneau
termine son compte rendu en vantant l' « impartialité si courtoise et bienveillante
à la fois » de l'écrivain français. La
critique de Thomas Chapais se rapproche beaucoup de celle de Fauteux (19). II
reconnaît sans ambages que l'ouvrage est « l'un des plus considérables qui aient
été consacrés à notre pays, par un écrivain français en ces dernières années »
et qu'il est d'excellente qualité : Ce
n'est pas un livre banal, tant s'en faut. C'est une oeuvre remarquable, sous beaucoup
de rapports. L'auteur (...) a saisi la complexité du problème canadien; il a compris
mieux qu'un grand nombre d'auteurs étrangers la vraie nature de notre situation
politique et de nos sentiments nationaux. Tel de ses chapitres est un chef-d'oeuvre
d'exposition. Nous ne saurions trop louer dans cet ouvrage la précision et la
clarté des analyses, la justesse des formules, la sûreté des informations. Chapais
n'en juge pas moins que ce livre n'est
pas un bon livre. II est faux et injuste en beaucoup d'endroits, parce que l'auteur
est animé de l'esprit sectaire qui fait vaciller son jugement et dévier son regard. (...)
Ce qui ennuie M. Siegfried c'est que, d'après lui, nous sommes trop sous la tutelle,
sous la direction de l'Église. Dans
tout le reste de l'article, Chapais s'applique à dénoncer le traitement que réserve
l'auteur à la question religieuse. Faisant allusion au combisme et à la loi de
la séparation des Églises et de l'État, il invite l'auteur à pleurer, non pas
sur le Canada français, mais sur la « France de nos aïeux qui nous est restée
si chère » et « où l'ostracisme, la spoliation, l'arbitraire, la tyrannie la plus
odieuse sont devenues l'essence même de la domination jacobine ». Répliquant
à Chapais, /e Canada lui reproche de ne pas respecter les conclusions
de Siegfried : Est-ce
parce que M. Siegfried est protestant comme d'ailleurs Parkman qui a écrit de
si belles pages sur notre histoire et notre pays, que M. Chapais le dénonce comme
libre penseur ? M. Siegfried
est parfaitement connu comme un esprit modéré et sa grande probité d'écrivain
aurait dû le mettre à l'abri de l'imputation malveillante que lui lance l'ancien
pontife du « Courrier du Canada ». Nous
pouvons retourner à celui-ci le « compliment » qu'il adresse à M. Siegfried. Pour
le style, pour la question de faits, etc., M. Chapais peut être irréprochable.
Mais il devient très injuste dans ses conclusions, pour s'y laisser inspirer par
ses idées abstraites et son sectarisme à rebours (20).
L'Événement reproduit
le compte rendu de Chapais (21) et attaque à son tour le Canada : c'est
Siegfried que Chapais a traité de libre penseur, mais le directeur du Canada,
Godefroy Langlois, réagit comme s'il se sentait visé (22). La
critique la plus sévère vient du dominicain Ceslas Gonthier (23), pour qui l'ouvrage
de Siegfried, malgré « l'ordre et la clarté de l'exposition » et sa fidélité à
dire ce qu'il a vu, contrairement à nombre d'Européens, est un livre « perfide
» et « médiocre » , qui « ne vaut pas la réputation qu'on lui veut faire ». L'auteur
s'est laissé guider par « son préjugé sectaire » et « ses vues n'ont en général
aucune élévation ni profondeur ». Deux handicaps l'empêchent de comprendre le
Canada français : « il est huguenot de naissance et libre penseur de profession
». Ces reproches s'adressent surtout à la première partie du livre (la formation
psychologique des races canadiennes), « la plus faible et la plus défectueuse
» , celle qui montre le mieux « l'esprit du livre qui est le plus pur esprit du
laïcisme français ». Le premier chapitre, par exemple, est truffé d'inexactitudes
sur le statut de l'Église et d'erreurs de fait. Sur les autres parties, le P.
Gonthier se montre moins rigoureux. II reproche cependant à Siegfried de ne pas
avoir proposé une amorce de solution au problème des deux races. Pour
sa part, le Messager canadien du Sacré-Coeur de Jésus (24), ayant
relevé les commentaires de Chapais et du P. Gonthier, conclut dans la même veine
de pensée : L'auteur
porte des lunettes défectueuses mais il est des questions dans lesquelles il peut
voir juste et parler franc. Qu'on le renseigne pour la prochaine édition. Nombreux
sont les journaux québécois à publier des extraits de la presse française, avides
qu'ils sont des moindres commentaires qu'on peut y découvrir sur le Canada. Ainsi
Gringoire, dans la Libre Parole (25), offre à ses lecteurs une revue de
presse. II observe que le Canada, les deux races a créé une fausse impression
dans l'esprit des Français en leur laissant croire « que l'âme canadienne est
tenue par l'Église dans une servitude excessive ». À titre d'exemple, Gringoire
cite le Phare de la Loire (Nantes, le 17 avril) qui fait paraître un compte
rendu par J. Auvray. Ce dernier note : Le
catholicisme canadien ne s'est pas américanisé. II n'en est pas de plus farouchement
intransigeant. Les pasteurs tiennent leurs ouailles jalousement enfermées dans
une sorte de forteresse pour les préserver des contacts qui les pourraient corrompre
(...) Il est incontestable
que nous devons à ce catholicisme le maintien de notre race au Canada. Mais l'Église
fait payer cher sa protection. La sujétion intellectuelle où le clergé tient la
société canadienne-française est de nature à ralentir son essor (...) Gringoire
juge plus avisés les propos que signe, dans les Annales coloniales (Paris,
numéro d'avril), un certain M. R. Ce dernier assimile les tirades contre
l'oppression cléricale à de la prose électorale (Siegfried, affirme-t-il, « est
pour la troisième fois, candidat à la députation » ) : « Franchement, ceci est
bien plus de la littérature de meeting que de la prose de savant. » Maurice Hodent
est aussi un bon Français aux yeux de Gringoire puisque, dans le numéro d'avril
du Bulletin de la Canadienne (p. 101), il a défendu le clergé et
reproché à Siegfried « de discuter les idées et les sentiments des Canadiens français
sans chercher à y accommoder son esprit, et de les présenter comme tenus dans
une servitude qui n'existe pas ». De
la critique de Gaston Deschamps, parue dans le Temps de Paris, le Nationaliste
(26) ne retient que la partie qui traite des moeurs électorales, pour les
condamner. Notre recherche nous a montré, à notre grande surprise, que le Nationaliste,
n'a pas consacré d'article sérieux au livre de Siegfried. Comment Olivar Asselin
et ses amis de la Ligue nationaliste canadienne ont-ils pu résister à la tentation
de brandir cette oeuvre comme une somme à l'appui de leurs thèses ? Faut-il y
voir l'influence modératrice de Bourassa ? ou la crainte de paraître approuver,
même indirectement, un adversaire du cléricalisme ? Le
correspondant parisien du Soleil de Québec, Jacques Péricard, affirme que,
contrairement à bien des publications françaises sur le Canada, le livre de Siegfried
est sérieux et documentée (27). S'inspirant du Temps, il attire
l'attention sur la « conception toute religieuse de l'unité nationale » qui a
cours dans le Domi- nion,
surtout au Canada français. La France de l'ancien régime se survit dans la province
de Québec : « Nulle part un voyageur français de France n'a plus fortement la
révélation du changement qu'a produit en notre pays 1789 opposant la raison et
la tradition, introduisant dans la pensée nationale un libéralisme humanitaire
(...) » Le Courrier
de Saint-Hyacinthe, de son côté, reproduit
un extrait d'un texte que Jean Lionnet, un « ami du Canada » , a fait insérer
dans la Revue hebdomadaire de Paris. Lionnet qualifie Siegfried d' « adversaire
» de l'Église canadienne et son livre, d' « intéressant, mais tendancieux au point
de vue religieux (28) ». A.-Léo
Leymarie, courriériste parisien du Canada français et le Franco-Canadien, de
Saint-Jean d'Iberville, signale la parution de l'étude de Siegfried, à la « charpente
sérieuse » , mais dont un Français ne peut apprécier que la forme (29). On
trouve dans la Presse un témoignage intéressant sur l'influence qu'exerce
déjà le Canada, les deux races. En août 1906, Georges de Jerphanion (30),
officier à bord du croiseur français Jurien de la Gravière, visite les bureaux
du journal, qui rapporte ainsi ses propos :
Je vois votre pays tel que j'avais
appris à le connaître par l'intéressant ouvrage de M. Siegfried sur le Canada.
Je suis heureux comme tous mes camarades, de me retrouver ici en France. (...)
Le livre de M. Siegfried m'avait fait aimer d'avance les Canadiens, (...) mon
séjour si agréable à Québec fera que je ne les oublierai jamais (31). Ainsi,
des deux côtés de l'Atlantique, mais surtout au Québec, l'ouvrage de Siegfried
a connu un retentissement considérable. Quelques mois à peine après sa parution,
des tendances se dessinaient nettement dans l'opinion publique franco-québécoise.
Si le Canada, les deux races trouvait un écho sympathique dans les milieux
et organes libéraux, il s'attirait la réprobation, plus ou moins complète, des
milieux et organes conservateurs, ultramontains et religieux. En outre, la question
religieuse dominait si nettement le débat qu'on aurait pu croire que l'ouvrage
y était entièrement consacré. Du colonialisme dont Siegfried offrait pourtant
une si pénétrante analyse, il n'était presque pas fait mention. Mais la discussion
- bien qu'impressionnante - s'amorçait seulement et on n'en était pas encore à
la polémique. 2 - L'intervention de
Fernand Rinfret L'analyse
la plus importante et la plus percutante du Canada, les deux races, parait
dans l'Avenir du Nord de Saint-Jérôme : sous la signature de Fernand Rinfret,
quatre longs articles, qui commentent tous les points traités par Siegfried et
déclenchent un débat animé, qui tournera à la polémique (32). Rinfret
regrette que le public canadien ait accordé si peu d'attention au livre de Siegfried,
« dont nous pouvons tirer grand profit (33) ». II fait exception pour l'étude
« quelque peu partiale » de Chapais et le « court mais excellent article de Garneau
». Selon Rinfret, ce
livre est « consacré à la solution du problème économique au Canada » - d'une
part, la coexistence dans un même pays de deux races qu'opposent la religion,
la langue, la formation sociale, les ambitions, les sentiments et les traditions,
et, d'autre part, l'envahissement de ce pays par son puissant voisin, symbole
du monde moderne. Siegfried
met l'accent sur le premier volet de la question. II veut expliquer la psychologie
de ces deux races cohabitant sur un même territoire par deux influences,
la religion et l'école, qu'il juge prépondérantes. Mais Rinfret, en bon leplaysien,
lui reproche de ne pas être remonté plus haut
car ni la religion, ni l'école
ne sont des produits spontanés : on peut les transporter et les implanter où l'on
veut. Ils ne tiennent ni au sol, ni à l'individu par des liens inébranlables.
Tandis que les conditions du lieu que l'on habite, c'est-à-dire le climat, la
production du sol et ses richesses, la situation géographique; les conditions
ensuite du travail déterminé par le lieu, la possibilité de culture, ou de travaux
miniers, ou de transports commerciaux; les conditions enfin de la formation familiale,
nécessairement adaptée à ces conditions de lieu et de travail et liée à elles
par un lien logique et réel; voilà, ce me semble, le triple aspect, sous lequel
un peuple se doit d'abord examiner. Rinfret
poursuit son argumentation en s'inspirant aussi du libéralisme :
Mais je n'ai pu affirmer
avec lui que les deux influences formatrices d'une race puissent se retrouver
dans sa religion et dans son éducation : parce que la religion ne porte que sur
le côté moral de l'individu, l'histoire nous ayant également montré des catholiques
particularistes ou communautaires, comme elle nous a fait voir des protestants
d'initiative et des protestants chez qui l'action individuelle est comprimée;
parce qu'encore l'école n'est que le résultat d'influences antérieures, l'enfant
étant formé en vu (sic) du lieu, et du travail possible en ce lieu. La
religion et l'école sont des réactions plutôt que des influences : car elles sont
elles-mêmes ou en dehors, ou dépendantes d'autres influences plus essentielles. II
félicite cependant Siegfried d'avoir fait une distinction entre religion et école,
indiquant par là que chacune a son influence propre. Rinfret
n'attribue pas à des causes purement religieuses la « compression individuelle
(34) » chez les Canadiens français - « il faudrait remonter bien au-delà pour
en établir l'origine » -, mais il dénonce l'ingérence de l'Église canadienne,
« institution intransigeante et antilibérale » , à tous les niveaux de leur vie
collective. II soutient, avec Siegfried, que « c'est un de ces cas où la liberté
figure dans les lois, mais n'existe pas encore dans les moeurs ». Toutefois, comme
Siegfried, il reconnaît qu'il n'est
pas facile de prévoir comment on pourra évoluer vers le progrès - ce qui est indispensable
- sans compromettre l'unité où la politique de l'Église nous a maintenus. Rinfret
se réjouit de voir Siegfried si bien comprendre la question des écoles au Canada
: effort des Canadiens anglais vers l'école neutre et effort parallèle de l'Église
vers l'école catholique et française. La supériorité de l'école chez les Canadiens
anglais tient à ce « qu'elle existe purement dans un but d'éducation, et non pas
aux fins d'appuyer leur cause religieuse ». Rinfret n'admet pas que l'Église -
dont il admire pourtant l'oeuvre nationale - dirige l'enseignement sans le concours
des laïcs : L'Église
canadienne, avec sa crainte du libéralisme, c'est-à-dire d'une tendance vers le
progrès matériel qu'on peut toujours concilier avec les exigences surnaturelles,
ne saurait nous lancer à pleines voiles vers l'avenir. Siegfried
a raison, pense Rinfret, de soutenir que la vie politique au Canada ressemble
à celle des États-Unis, où le bien-être et l'économie sont les préoccupations
majeures. Et il est bon qu'il en soit ainsi. La confédération a consacré « l'avortement
d'un grand projet (35) » : l'assimilation d'un groupe ethnique par l'autre. Parce
que « la nation canadienne est double (36) » , parce que notre politique est «
le gouvernement de presque deux nations et la fusion, toujours difficile, de deux
tendances contraires » , il y faut « plus qu'une habileté de faiseurs d'élections
». Enfin, si les partis politiques canadiens, comme le note Siegfried, ne se distinguent
guère au point de vue doctrinal, il existe malgré tout « une certaine tradition
de parti » , source de nuances idéologiques. N'a
pas non plus échappé à Siegfried, la nature des sentiments des Canadiens Français
pour l'Angleterre (un loyalisme calculé), le Canada anglais (la rivalité), la
France (l'affection) et les États-Unis (l'intérêt) (37). Les Canadiens Français
tendent « vers une autonomie de plus en plus décisive » , ce que Siegfried a appelé
« la défense passionnée de l'intégrité de la race française canadienne » , plutôt
que vers l'indépendance. Rinfret préfère cette orientation à un mouvement politique
de libération nationale : Les
Canadiens-Français font mieux de pénétrer lentement le Dominion plutôt que de
s'en séparer; et de préférer aux satisfactions précaires de l'indépendance absolue,
les riches et substantielles réalités de l'autonomie. C'est par notre diplomatie
dans le règlement des affaires publiques, par notre activité commerciale et industrielle,
par le mouvement pondéré de nos sentiments, par la patience intelligen(t)e de
nos efforts que nous procurerons le développement et l'épanouissement de la race
: on voit le chemin à parcourir! Et,
comme ce sera la mode un demi-siècle plus tard, au moment de la révolution tranquille,
Rinfret croit que la clé de ce progrès lent mais sûr, c'est l'éducation : « une
formation virile, pratique et progressiste ». Aussi ajoute-t-il cette mise en
garde : « toute puissance, si vénérable soit elle par d'autres côtés, qui se refuse
aux réformes éducatrices (...) fait une oeuvre anti-patriotique ». 3
- Le débat qu'elle provoque Tandis
que le Canada s'empresse de reproduire un extrait du compte rendu de Rinfret,
en le qualifiant d' « excellent (38) » , la Vérité dénonce le Canada,
les deux races comme « mauvais, faux, dangereux, perfide (39) »
». Siegfried juge de tout en libre penseur; il « a puisé trop souvent à des sources
radicales et (...) il a été inspiré par nos émancipateurs ». Le livre induira
en erreur tous ceux dont la formation religieuse n'est pas solide; « il flatte
les instincts des tenants du libéralisme parce qu'il présente cette aberration
comme une planche de salut pour nous ». La Vérité appuie donc les critiques
de Chapais et de Gonthier, que nous avons déjà vues, ainsi que celles de l'abbé
Élie Auclair, dans le Propagateur, et de la Semaine religieuse de Montréal.
Bien qu'il mette sur un pied d'égalité Siegfried, d'une part, et Rameau de Saint-Père
et Xavier Marmier, d'autre part, au point de vue de la documentation et de l'analyse
des sentiments nationaux, l'abbé Auclair juge de son devoir de mettre en garde
les catholiques contre « l'esprit général de l'auteur (40) ». Il approuve
les propos de Mgr Bernard, évêque de Saint-Hyacinthe, qui avait déclaré, lors
du cinquantième anniversaire de fondation de la paroisse d'Upton, que l'erreur
fondamentale de Siegfried, dans son livre « entaché d'esprit sectaire » et au
vocabulaire « maçonnique » , était d'accuser l'Église catholique - même s'il en
reconnaissait les bienfaits - d'être dépassée et de brimer les Canadiens Français.
Enfin, Auclair défend le clergé dans le domaine de l'éducation en proclamant qu'il
est loin d'être hostile aux réformes. Quant à la Semaine religieuse, elle
voit dans la critique de Chapais « le jugement le plus précis et le plus juste
qu'un fils de notre race portera jamais sur l'oeuvre de l'auteur du livre le
Canada - Les deux races (41) ». Mais
la Vérité s'en prend aussi à Rinfret lui-même, qu'elle accuse de vouloir
réhabiliter le livre de Siegfried aux yeux du public, entreprise qui donne des
« nausées » à la Vérité. Le compte rendu de Rinfret est aussi faux et dangereux
que le livre « au point de vue des principes catholiques » et « entaché du libéralisme
le plus nocif ». Elle reproche aussi à Rinfret d'être un partisan de Godefroy
Langlois dans la réforme de l'enseignement (42). La
riposte ne tarde pas. Rinfret déclare qu'il n'est pas le seul à se sentir blessé
par l'attaque de la Vérité, car, écrit-il, « il y en a un grand nombre
que je ne connais pas du tout, qui ont lu le livre de M. Siegfried et l'ont compris
dans le sens de mon étude (43) ». Celle-ci doit être considérée comme « l'expression
courageuse d'une opinion flottante ». II se défend bien d'avoir porté quelque
jugement définitif que ce soit sur l'action du clergé canadien; son étude, comme
le livre de Siegfried, s'est limitée à l'observation des faits. 4
- La question de l'enseignement Le
livre de Siegfried paraît au moment où le public québécois se passionne pour une
nouvelle querelle des anciens et des modernes, opposant les tenants d'un enseignement
humaniste et les zélateurs d'un enseignement pratique. À cause du rôle que le
clergé joue dans le domaine de l'éducation, la querelle ne peut manquer de mettre
en cause l'influence sociale du clergé. D'autant que, si Robert Rumilly a raison,
« les champions des modernes étaient, pour beaucoup, des partisans, avoués ou
honteux, de la « laïcité » (44) ». Bon gré, mal gré, Siegfried se trouve à participer
au débat. Pour une fois,
la catholique Libre Parole se recommande de Siegfried :
M. Siegfried, parlant
de notre système d'instruction dans son livre Le Canada dit : « En principe
l'instruction est payante, mais en fait elle est gratuite, parce que le droit
d'écolage est insignifiant. » L'instruction se trouve à trop bon marché, alors
faut-il s'étonner qu'on nous livre un produit de second ordrel (45) ?
La Vérité publie
un article de Camille Roy, alors professeur de rhétorique au Séminaire de Québec.
Roy nous apprend que l'ouvrage de Siegfried connaît « beaucoup de succès auprès
d'un grand nombre de lecteurs canadiens (46) ». Mais Roy ne comprend pas les critiques
de Siegfried à l'égard des collèges classiques :
M. André Siegfried a trouvé que
nous avons ici un respect exagéré pour les langues mortes. Si par là cet écrivain,
qui est doublé d'un observateur sagace, veut entendre que nous avons ici trop
de collèges classiques et pas assez d'écoles d'enseignement secondaire industriel
ou commercial, nous sommes bien près d'être d'accord avec lui; si, au contraire,
il déclare par là que nous consacrons trop de temps dans nos collèges et petits
séminaires à l'enseignement du grec et du latin, nous pourrions lui répondre facilement
que le programme de nos études classiques est calqué sur le programme des études
classiques françaises, sur celles-là qui préexistaient à la réforme de 1900, et
que l'on a maintenues dans l'un des cycles de l'organisation nouvelle. S'il
ne saurait être question de réformer le cours classique au profit des études techniques,
il faut à coup sûr mettre l'accent sur le perfectionnement des maîtres. On se
gardera, par excès de prudence, d'empêcher les étudiants canadiens de se rendre
à Paris, où d'ailleurs l'École des carmes (l'Institut catholique) est au-dessus
de tout soupçon. L'abbé Émile Chartier abonde dans le même sens et propose, comme
sauvegarde, un stage à Rome avant les études à Paris et la fondation d'une résidence
canadienne près de l'Institut catholique ou des facultés provinciales (47). Dans
l'Enseignement primaire, Charles-Joseph Magnan met en garde la jeunesse
canadienne-française contre le Canada, les deux races : « plusieurs de
ses pages sont injustes pour l'Église et entachées de fausses doctrines (48) ».
En protestant et en libre penseur, Siegfried traite l'Église uniquement comme
une puissance politique, « affectant d'ignorer le côté divin de la religion catholique
». Cependant, Magnan loue les trois dernières parties de l'ouvrage tout en reprochant
à l'auteur - ce qui introduit une note originale dans le débat - de ne pas attacher
assez d'importance « au rêve d'une Nouvelle-France ou plutôt d'un Canada
français libre et indépendant ». Sous
le pseudonyme de Tolérance, un lecteur de Québec accuse Magnan, dans le Canada,
de confondre libre pensée et protestantisme et se porte à la défense de Siegfried
: Le
livre de M. Siegfried est probablement l'ouvrage le plus intéressant qui ait été
écrit sur notre pays. Seulement, il ne faut pas exiger d'un protestant qu'il envisage
les hommes et les choses comme nous les envisageons nous-mêmes (49) .
La Croix,
relevant l'attaque de tolérance, ne s'en formalise pas puisque le Canada -
c'est bien connu - est l'adversaire déclaré de Magnan (50). Mais elle s'étonne
de voir tant d'écrivains catholiques commenter le livre de Siegfried.
Si tout d'abord, lorsqu'il
a paru, on avait tenu le silence autour de lui, aujourd'hui il ne serait guère
lu. Mais une grande librairie catholique de Montréal, sans savoir sans doute que
c'était un mauvais livre, a commencé par le mettre en vente, l'afficher même dans
sa vitrine et l'annoncer dans une revue mensuelle qu'elle publie, et maintenant
cette malfaisante nouveauté littéraire fait le tour de la Province. Elle est le
flot qu'on aurait pu endiguer, la vague qu'on aurait pu éviter, la peste qu'on
a répandue, la maladie dont on a semé les germes (51). La
conspiration du silence, la mise en quarantaine que proposait la Croix
ne se sont jamais réalisées. Une certaine discussion était donc possible dans
le Québec du tournant du siècle. Mais la domination cléricale monopolisait l'attention
aux dépens d'une autre domination, celle de tout un peuple par un autre. L'ouvrage
de Siegfried offrait l'occasion d'une nécessaire réflexion collective sur cette
dernière domination. Elle n'eut pas lieu. Celui qui était le mieux préparé pour
la diriger, Fernand Rinfret, passa à côté. Charles-Joseph Magnan avait beau évoquer
furtivement le rêve de l'indépendance nationale, il n'avait ni la liberté d'esprit,
ni la marge de manoeuvre (il était fonctionnaire) (52) pour aborder la question
du Québec dans sa juste perspective : celle du colonialisme. 5.
La polémique Rinfret-Gonthier Le
livre de Siegfried proposait une analyse de la situation coloniale avec laquelle
étaient aux prises les Franco-Québécois. Mais jusque-là le débat avait presque
uniquement porté sur le rôle national et social de l'Église, qui, selon l'observateur
français, était le facteur premier de cohésion du groupe en même temps que le
principal obstacle à son progrès. La polémique Rinfret-Gonthier n'allait nullement
faire progresser la discussion. Elle compromettrait même les chances d'un examen
serein de la question du colonialisme. Finalement, les combattants auront déposé
les armes avant que cet examen n'ait été vraiment entrepris. Gonthier
revient donc à la charge contre un livre qui « fait bien l'affaire de notre école
de laïcisateurs plus ou moins conscients et de maçons plus ou moins enragés »
, parmi lesquels il range Rinfret ainsi que « d'autres, et non des moins huppés,
[qui] le lisent avec enthousiasme et le commentent avec ferveur en petit comité
(53) ». Et voici, de la même encre, son opinion de l'Avenir du Nord, qui,
comme on sait, publie la prose de Rinfret :
Cette feuille, où écrivent habituellement
sous des noms d'emprunt des maçons de marque et quelques libres-penseurs qui font
leurs dents, semble vouloir continuer le défunt Écho des Deux-Montagnes ou
peut-être les Débats de Montréal. Rinfret
réplique vigoureusement à Gonthier et à son alliée, la Croix (54), en stigmatisant
ces insinuations « aussi dégoûtantes que lâches et vides (55) ». D'ailleurs le
rédacteur en chef de l'Avenir du Nord appuie inconditionnellement son collaborateur
: À
l'Avenir du Nord il n'y a pas de libres
penseurs, mais des penseurs libres qui ont des principes religieux inébranlables
qu'ils ne se croient pas obligés de faire « sonner comme des éperons » à chaque
pas qu'ils font (56). Après
avoir stigmatisé ses adversaires, Gonthier s'emploie à réfuter Siegfried : ce
dernier exagère l'opposition du clergé à la France moderne; il dénature l'autorité
morale de l'Église sur ses fidèles, autorité qui n'a pas le caractère tyrannique
qu'il veut lui prêter et qui ne met aucunement en péril la liberté des Canadiens
français; il se méprend sur l'intervention de l'Église dans la politique, preuve
qu'il n'a puisé ses renseignements qu'auprès d'anticléricaux. Quant au rôle du
clergé dans la formation de la « race » , Gonthier donne raison à Siegfried contre
Rinfret et son interprétation leplaysienne. II se plaît aussi à souligner la justesse
du portrait qu'a brossé Siegfried des journalistes québécois : plusieurs sont
libéraux, même anticléricaux, mais dissimulent leurs principes. Il s'en doutait
bien! En réponse, Rinfret
consacre un long article à démontrer qu'il n'y a pas de divergence entre la foi
catholique et la science sociale et que l'influence de l'Église s'exerce dans
la formation psychologique d'un peuple, mais parallèlement à d'autres facteurs
(57). Gonthier ne baisse
pas pavillon. II adresse de nouvelles remontrances à Rinfret sur la question de
la rivalité entre clergé séculier et régulier, des discordes entre les ordres
religieux et les évêques : « l'aigle de SaintJérôme s'est empêtré les serres dans
une proie trop pesante pour ses ailes (58) ». Puis il revient à l'éternelle question
de l'enseignement. II reproche à Siegfried de s'être laissé renseigner par les
réformistes de l'enseignement. Voilà pourquoi le visiteur français pense que l'enseignement
primaire au Québec est inférieur parce qu'il est catholique et qu'il n'est pas
dirigé par un ministre de l'Instruction publique. Et Gonthier de proposer sa propre
version, inédite, de l'échec du gouvernement Marchand dans sa tentative de rétablir
un ministère de l'Instruction publique. Pour
sa part, Rinfret se refuse à poursuivre la discussion tant que Gonthier n'aura
pas prouvé ou retiré ses imputations de maçonnerie et d'anticléricalisme (59).
Heureusement pour Rinfret, le Canada-Français et le Franco-Canadien vient
verser du baume sur ses plaies : [...]
son appréciation du fameux livre de Siegfried sur le Canada nous a révélé que
nous avions ici un véritable maître de la critique, portant des jugements impartiaux
sur les oeuvres et les choses (60) . L'abbé
Auclair du Propagateur intervient de nouveau pour s'étonner qu'un catholique
puisse mettre en doute l'influence de la religion et de l'éducation dans la formation
des « races » comme des individus. Rinfret « rêve d'une religion large et libérale.
[..] Ceci expliquerait peut-être certaines de ses idées étranges (61) ». La
Vérité reproduit et entérine (62). Rinfret se sent obligé à une nouvelle mise
au point. On l'a mal compris. Comment peut-on encore lui reprocher « de proclamer
que la formation religieuse n'est pas désirable pour une société [?] [...] II
y a là un mépris si absolu de tout ce que j'ai fait pour établir mes opinions
de sociologue catholique que j'en suis tout ébahi (63) ». II a pourtant expliqué
aussi clairement qu'il a pu que ce qu'il entendait par formation sociale
était d'un tout autre
ordre que la formation religieuse; qu'elle s'occupait de l'organisation du travail,
sous l'influence du lieu, et de la création du type de famille, sans cesser d'être
catholique; que cette théorie sociale était orthodoxe, et ne niait nullement l'action
divine de l'Église sur les moeurs; qu'elle lui concédait même une action sociale
quelconque, quoique non primordiale, puisque le catholicisme se retrouve chez
des peuples d'organisation sociale différente. Quant
au P. Gonthier, il publie sa dernière contribution au débat. Ses réflexions portent
sur l'enseignement secondaire. Siegfried aurait dû tenir compte de l'enseignement
commercial dont les Canadiens français se sont dotés. Néanmoins cet enseignement
ne suffit pas à vaincre la supériorité anglophone dans le commerce et l'industrie
car cette supériorité tient « à une aptitude spéciale de la race » et à « une
mise plus considérable de capitaux (64) ». Enfin, Gonthier admet que le livre
de Siegfried tire sa valeur des trois dernières parties et des quatre chapitres
sur les sentiments nationaux. Par
une intervention personnelle - une lettre qu'il adresse à Rinfret pour lui donner
raison - Siegfried semble clore le débat :
Vous avez parfaitement compris
dans quel esprit j'avais écrit ce livre. [...] Votre résumé est des plus consciencieux,
des plus clairs et des plus fidèles. Les reproches de la Vérité, dans ces
conditions, ne sont évidemment pas justifiés (65) . Mais
la Vérité veut avoir le dernier mot. Elle assimile Rinfret à « ceux qui
ont entrepris une campagne de dénigrement contre tout ce qui a fait dans le passé
notre force et notre progrès [...], ceux qui importent et répandent parmi nous
les idées et les pratiques de la maçonnerie française (66) ». À
toutes fins utiles, le débat est terminé, du moins publiquement. De temps à autre,
un article ou une conférence y feront écho (67) . 6.
Opinions d'hommes politiques et d'un haut fonctionnaire Quelques
hommes politiques se sont prononcés en public sur le Canada, les deux races.
Ainsi, dans un discours prononcé à la Chambre des communes le 9 avril 1907,
le ministre des postes, Rodolphe Lemieux, jugeait que c'était là
le meilleur ouvrage
publié sur le Canada depuis vingt-cinq ans. Voici un Français qui a visité notre
pays, qui connaît notre population et qui a écrit des chapitres d'un vif intérêt
et qui ont créé une profonde sensation parce qu'on n'aurait jamais supposé qu'un
Français pouvait saisir aussi bien les questions canadiennes (68) . Dans
une lettre, le premier ministre, Wilfrid Laurier, abondait dans le même sens :
« Son livre, je pense, est un exposé assez fidèle de la situation au Canada (69)
». Siméon Le Sage, sous-ministre des Travaux publics et du Travail du Québec,
conservateur en politique, a lui aussi livré ses impressions privément, avec l'émotivité
du colonisé dont la fierté a été blessée. II ne peut accepter que ce soit un Français
qui vienne nous lancer à la figure que « parce que nous nous sommes obstinés à
vouloir rester nous-mêmes [...] nous sommes restés et resterons des vaincus (70)
». D'après
lui nous avons eu tort de tolérer le joug du clergé, et tout de même il ne peut
s'empêcher de reconnaître que c'est à lui que nous sommes redevables de la conservation
de notre nationalité. Nous aurions dû dès le lendemain de la cession faire cause
commune avec nos nouveaux maîtres, adopter leur langue, leur religion et leur
mode d'éducation. Il
conclut, avec une pointe d'exaspération : « les Huguenots m'ont toujours fait
l'effet d'être de mauvais Français et celui-ci ne vaut pas mieux que les autres
». 7. L'attitude du Canada anglais Réédité
en 1907, l'ouvrage de Siegfried est traduit cette année-là en anglais (71). Les
intellectuels canadiens-anglais semblent lui réserver un accueil très favorable.
La Review of Historical Publications en vante « la valeur scientifique,
la sérénité et la pénétration (72) ». W.L. Grant, conférencier d'histoire coloniale
à l'université d'Oxford, avait déjà publié un compte rendu très louangeur de l'édition
française : Peut-être
est-ce la première fois qu'on traite du Canada scientifiquement. Il y a quelque
chose de presque inhumain dans le détachement de M. Siegfried [
]. Bien que
Français, protestant et anticlérical, il n'a presque rien laissé transparaître,
dans son livre, de sa nationalité, de sa religion ou de ses convictions politiques.
Bien que sans parti pris, il n'est pas terne; il s'est gardé de toute simplification
excessive et il n'a pas essayé de réduire la vie nationale du Canada à quelques
catégories (73) . Le
doyen de la faculté de droit de l'Université McGill, F.P. Wallon, voit dans ce
livre « un bel exemple de l'admirable lucidité de l'esprit français (74) ». Or
bien des passages du Canada, les deux races, par exemple l'analyse des
partis politiques canadiens, étaient de nature à mécontenter les Canadiens anglais.
F.H. Underhill le reconnaît, qui écrit : « J'en déduis qu'il a froissé la plupart
des Canadiens non-universitaires qui l'ont lu en 1907 (75) » Conclusion Les
réactions québécoises au livre de Siegfried nous paraissent très révélatrices,
par ce qu'elles taisent comme par ce qu'elles expriment. En histoire des idéologies,
les silences peuvent être aussi éloquents que les formulations. Ils illustrent,
en creux, les postulats tacitement reçus dans une culture, la structuration de
l'espace social et, au sein d'une collectivité donnée, les rapports de force auxquels
renvoient inévitablement les idéologies. Les groupes dans la société sont en effet
engagés dans une lutte d'influence : leur discours et leur action tendent à réaliser
un consensus autour de leur vision du passé, du présent et de l'avenir. Cette
vision parliculière à chaque groupe s'enracine dans des intérêts matériels : ceux-ci
entretiennent avec celle-là d'intimes relations de causalité. Mais elle aspire
aussi à l'actualisation d'un certain idéal, d'un certain archétype. Ce serait
appauvrir l'histoire, nous semble-t-il, que de réduire les idéologies à des occultations
plus ou moins machiavéliques d'intérêts égoïstes. Elles le sont assez souvent
qui oserait le nier, - mais assez souvent aussi elles sont des approximations
d'un rêve généreux : l'état social le mieux accordé à la nature de l'homme et
à son environnement, ainsi qu'à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires
comme les plus nobles. Une idéologie, assez souvent, c'est donc une tension entre
des intérêts et un idéal. On ne saurait s'étonner de la présence d'idéal ou même
d'utopie dans les idéologies, du moins telles que les pensent les élites intellectuelles,
en quelque sorte commises à leur production par les groupes sociaux en lutte. Nous
pouvons invoquer, à l'appui de cette assertion, deux des grands courants de pensée
des XIXe et XXe siècles. Le libéralisme et le socialisme, bien qu'historiquement
liés à une classe sociale en particulier, sont devenus le patrimoine de l'humanité
tout entière. La bourgeoisie a donné à la société globale les libertés et la démocratie.
De même la société globale s'est assimilé certains éléments du socialisme, idéologie
des classes laborieuses : reconnaissance des syndicats, État-providence, sécurité
sociale, etc. Le défi de l'Occident de nos jours est peut-être de chercher l'harmonisation
d'une certaine tendance à l'égalitarisme et au partage avec la préservation et
l'affermissement des libertés. A cette fin, la multiplicité des centres de décision
paraît indispensable. En regard de cet objectif, le coopératisme se révèle une
formule prometteuse alors que le collectivisme, du moins tel qu'il a fonctionné
jusqu'à ce jour, semble dangereux. (Nous pensons que le drame du communisme est
d'avoir d'abord pris le pouvoir aux marches de l'Occident, dans des territoires
sans traditions libérales.) Comme
on démontre le mouvement en marchant, nous venons d'exposer l'une des contradictions
de la condition d'historien des idéologies : analyser et expliquer scientifiquement
les idéologies alors qu'on est soi-même, consciemment ou non, imprégné de
l'une d'entre elles. Aussi l'historien trouvera-t-il prudent de se rappeler constamment
qu'une idéologie peut être une tension entre des intérêts et un idéal et que bien
des protagonistes, dans la lutte idéologique, méritent qu'on ne conteste pas leur
sincérité (76). Dans
son entreprise, l'historien doit être à l'affût des occasions propices, celles
où les idéologies se laissent plus facilement saisir qu'en temps ordinaire. Une
controverse en est une. Bien que ponctuelle, elle permet l'affleurement de tendances
durables (structures). Tel nous apparaît l'accueil réservé au Canada, les deux
races. II
nous faut donc, dans la présente conclusion, expliquer les réactions et les silences.
Ce qui frappe le plus, dans l'analyse du dossier que nous avons constitué, c'est
le quasi-monopole que détient la question religieuse. Pourtant, la domination
coloniale qui pèse sur le Canada français est fort lucidement décrite par Siegfried,
avec les nuances qu'impose l'originalité du cas québécois. On ne peut assimiler
purement et simplement la situation des Québécois à celle des peuples du Tiers-Monde.
Or les critiques, avons-nous dit, se sont braqués le plus souvent sur l'aspect
religieux même si, comme Thomas Chapais et le P. Gonthier, ils admettaient la
qualité des chapitres consacrés à d'autres sujets. Plus tard, des nationalistes
feront l'éloge du livre. Ce ne sera certainement pas le traitement réservé à la
question religieuse dans cet ouvrage qui portera Lionel Groulx à l'admirer. Comme
F.H. Underhill, Groulx comparera Siegfried à Tocqueville (77). Dans une conférence
prononcée à Sherbrooke, en mars 1927, il citera un passage du Canada, les deux
races, commençant par cette phrase : « Le Canada français porte encore le
poids de la conquête. » II accompagnera cette citation de ce commentaire : « ouvrage,
discuté, mais le plus fort peut-être qu'on ait publié sur notre pays (78) ». Cet
éloge, la plupart des Québécois cultivés pouvaient sans doute y souscrire. Largement
diffusé, l'ouvrage se trouvait d'ailleurs dans toutes les bibliothèques importantes
(79) . Au dire de Victor Barbeau, les livres sur le Canada de ce « doctrinaire
sentencieux et grave » qu'était Siegfried « faisaient autorité d'office, chez
nous aussi bien qu'en France (80) ». En 1936, F.-A. Angers n'hésitera pas à soutenir
que Siegfried est « le Français qui a le mieux compris le Canada, notamment le
Canada français (81) ». L'année suivante, André Laurendeau observera, au sujet
cette fois d'un autre ouvrage de Siegfried, le Canada, puissance internationale
: Si
nous faisions l'analyse de ce livre, nous aurions à faire quelques réserves importantes.
Mais ces différences sont dépassées par un désir qui emporte tout, celui de comprendre
(82) [...] Et
en 1956, Pierre de Grandpré classera Siegfried parmi les « meilleurs praticiens
de la psychologie des peuples (83) ». Pourquoi donc un ouvrage de qualité d'un
auteur aussi généralement respecté n'a-t-il été commenté que partiellement ? Si
la polémique a porté sur la question religieuse, c'est en partie parce que l'auteur
abordait un aspect très délicat, mettant en cause l'exercice du pouvoir dans la
société québécoise, mettant en cause, plus précisément, la puissance de l'Église,
son influence, son autorité. Les réactions ainsi déclenchées se comprennent mieux
quand on les replace dans le contexte de la vieille lutte entre ultramontanisme
et libéralisme. Cette rivalité a profondément marqué l'évolution des idéologies
québécoises dans la seconde moitié du XIXe siècle. L'ultramontain avait une conception
éminemment sociale de la religion, qui devait imprégner et diriger toute la vie
de la collectivité. L'Église, dépositaire de la Vérité révélée, était supérieure
à l'État, auquel elle devait par conséquent prodiguer ses directives. Le libéral,
au contraire, distinguait entre le domaine de l'État et du savoir, d'une part,
et le domaine de l'Église et de la Révélation, d'autre part. L'individu devait
avoir droit à la libre discussion dans la recherche de la vérité, désormais relative
plutôt qu'absolue. La religion, affaire privée, ne relevait plus que des consciences
et des familles. Cependant le nationalisme s'interposait, pour ainsi dire, entre
les deux tendances qui s'affrontaient : l'Église, admettait-on règle générale,
avait protégé l'intégrité de la nation et assuré sa survie. Ce facteur, avec d'autres,
a contribué à rendre moins tranchées les distinctions entre les deux camps. En
effet, les doctrinaires, qu'ils fussent libéraux ou ultramontains, étaient minoritaires
dans la société québécoise de sorte que l'idéologie la plus répandue était, nous
semble-t-il, une sorte de traditionalisme modéré. Or ce conservatisme admettait
la prépondérance de l'Église dans nombre de secteurs de la vie collective. Lors
de la parution du Canada, les deux races, cette influence atteignait son
apogée. C'était l'aboutissement de la cléricalisation progressive de la société
québécoise à partir de l'échec révolutionnaire de 1837. L'augmentation des effectifs
cléricaux et l'évolution dans le domaine de l'éducation témoignent de ce phénomène.
Cette force de l'Église, conjointement avec le poids de la civilisation rurale,
par définition antipluraliste, dans le Québec d'alors, entraînait un conformisme
assez contraignant, aux yeux de certains. Des esprits libres, curieux, novateurs
pouvaient se sentir brimés, opprimés, comme en fait foi cette remarque de Rinfret
: « dans ce pays de fourches caudines et de carcan [...], la liberté, quand il
s'agit d'intelligence, n'est qu'un vain mot (84) ». La controverse sur la question
religieuse aurait sans doute été encore plus animée, plus vive, si la crainte
n'avait retenu des libéraux et des crypto-anticléricaux de faire valoir publiquement
leur point de vue. Pour
constituer notre dossier, nous avons dépouillé 25 périodiques (85) . De ce nombre,
22 faisaient au moins mention du Canada, les deux races. Nous avons
observé une constante : l'accueil que lui réservent les périodiques libéraux,
au sens idéologique ou partisan du terme, est beaucoup plus favorable que celui
des périodiques conservateurs, cléricaux ou ultramontains. Si
le débat sur la question religieuse se comprend en termes de structures socio-idéologiques,
la conjoncture, comme facteur explicatif, doit aussi être retenue. Le livre, nous
l'avons vu, a paru à l'époque du combisme, qu'on interprétait ici comme une persécution
anti-catholique. Certains esprits pouvaient craindre la contagion, d'autant que
certains événements survenus au Québec depuis peu pouvaient prendre, à la lumière
de l'expérience française, un aspect menaçant, une valeur prémonitoire. II n'y
avait pas si longtemps, en 1893-95, le périodique avancé Canada-Revue n'avait-il
pas intenté une poursuite en dommages-intérêts contre l'archevêque de Montréal,
Mgr Fabre ? En 1897-98, les libéraux n'avaient-ils pas tenté de rétablir le ministère
de l'Instruction publique ? Bref,
structures et conjoncture prises en compte, les classes moyennes franco-québécoises
- que ses membres fussent ultramontains, traditionalistes ou libéraux modérés
- ne pouvaient que réprouver le sort que, dans son analyse, Siegfried faisait
à l'Église québécoise. Indépendamment de leurs convictions religieuses, elles
ne pouvaient tolérer que fût contestée une institution depuis toujours partie
intégrante de leurs univers, garantie et légitimation d'un ordre social où apparemment
elles dominaient. Voilà pour l'ampleur de la controverse sur la question religieuse. Mais
comment expliquer directement et précisément l'absence de débat sur le problème
national des Québécois, sur le colonialisme qui pèse sur leur destin. En public,
ce fut le silence ou peu s'en faut. En privé, l'exaspération pouvait plus facilement
se donner libre cours. On a vu Siméon Le Sage, par exemple, conservateur mais
nullement ultramontain, se récrier, dans sa correspondance, contre l'étiquette
de vaincue que Siegfried voulait accoler à sa nation. D'autres, même en public,
admirent implicitement leur état de dominés : Aegedius Fauteux trouvant humiliantes
pour nous certaines constatations de Siegfried, mais incapable, semble-t-il, de
les réfuter; Fernand Rinfret, repoussant une solution politique globale, mais
préconisant une réforme de l'enseignement; Charles-Joseph Magnan, évoquant rapidement
le rêve d'une Nouvelle-France indépendante, - le rêve de Jules-Paul Tardivel,
mort en 1905, un an avant la parution du Canada, les deux races. Mais personne
n'a eu le courage ou la lucidité d'affronter le constat global dressé par Siegfried.
Le libéral Hector Garneau, interprétant la révolution avortée de 1837, y discernait
une éclatante victoire : « C'est à cette époque que notre nationalité en dépit
de ses revers, devint maîtresse d'elle-même et prit conscience de ses forces nouvelles
et de son avenir triomphant. » Ce discours aberrant, transmuant un désastre national
en triomphe, n'est pas innocent : il porte sur le pouvoir dans la société. Pour
Garneau, en effet, 1837-38 avait abouti, dix ans plus tard, à la conquête de la
responsabilité ministérielle, qui, bien que ne constituant à nos yeux qu'une libération
collective toute formelle, n'en était pas moins le fondement du statut de notre
classe dirigeante laïque. De ce fait, le Canada anglais avait associé à l'exercice
du pouvoir politique les professions libérales franco-québécoises et les avait
reconnues comme classe dirigeante à l'intérieur de leur sous-structure ethnique.
Ce pacte tacite entre les groupes dirigeants de la société dominante, canadienne-anglaise,
et les groupes dirigeants de la société dominée, franco-québécoise, était trop
fondamental, par rapport à l'ordre de choses existant, pour qu'on pût adopter
une autre attitude que le silence, sans risquer la subversion idéologique (86)
. Les Québécois ne
pouvaient polémiquer autour de la question du colonialisme parce que, à cette
étape de leur évolution collective, ils en étaient incapables, ou plutôt leurs
élites en étaient incapables. Aux enivrantes périodes de l'abbé Pâquet sur la
glorieuse mission du Canada français, Siegfried opposait une impitoyable analyse
de la précarité d'un petit peuple et de l'insignifiance objective de sa classe
dirigeante. Ce tableau rien moins que fardé jurait trop sur la toile de fond que
nous nous étions imaginée. Non content de ramener notre XIXe siècle à ses proportions
réelles, Siegfried mettait à nu l'indigence de notre projet collectif, de notre
programme d'avenir politique et économique. Les élites qui en étaient les auteurs
ne pouvaient que réagir émotivement et négativement. Seuls ceux qui auraient le
courage intellectuel de méditer les dures leçons de Siegfried seraient en mesure,
quelques années plus tard, d'y puiser les éléments d'un nouveau projet de société.
Groulx fut de ceux-là. Enfin,
notre dossier sur les réactions québécoises au Canada, les deux races nous
amène à voir, dans la polémique Rinfret-Gonthier, une anticipation de l'opposition
qui caractérisera l'évolution du Québec dans les années 50 et pendant la révolution
tranquille : le choc des nouveaux savoirs des sciences sociales avec les anciennes
certitudes doctrinales de l'Église d'ici. De
nos jours, l'Église n'étant plus ce qu'elle était au tournant du siècle et le
pluralisme régnant sur la cité, la question religieuse ne monopoliserait plus
la discussion. D'ailleurs les Québécois en sont rendus à cette étape où ils peuvent
placer en pleine lumière le problème de leur domination comme le démontre le débat
sur la souveraineté-association. D'autant qu'ils savent que Siegfried était trop
pessimiste et que, dans une certaine mesure, l'homme peut agir sur l'histoire.
Le coopératisme, la nationalisation de l'électricité, l'intervention de l'État,
directement ou par des sociétés mixtes, ont amorcé leur libération économique.
La loi 101 a solidement engagé leur libération culturelle. Ces deux évolutions
pointent vers leur libération politique. On tirerait grand profit de la lecture
du Canada, les deux races : la comparaison de la situation telle
que la décrivait Siegfried avec la situation actuelle montrerait le chemin déjà
parcouru en regard de ce qu'il reste à parcourir. Alors qu'on sort de la poussière
de vieux ouvrages qui peut-être ne méritent pas tant d'honneur, qui nous offrira
une réédition de la prose pénétrante et limpide d'André Siegfried ? 1.
André Siegfried, Le Canada, les deux races, Problèmes politiques contemporains,
Paris, Armand Colin, 1906 et 1907, 415 p. En 1901, il publie un article intitulé
« La politique canadienne jugée à l'étranger » dans la Revue canadienne (t.
40, p. 214-219, 284-291). En 1905, il répond à une enquête lancée par le Canada
sur les relations franco-canadiennes au point de vue économique et intellectuel
(Le Canada, 11 mai 1905). II séjournera de nouveau au Canada en 1914, ce
qui nous vaudra Deux mois en Amérique du Nord à la veille de la guerre (Paris,
A. Colin, 1916), puis en 1919, 1929, 1935 et 1945. En 1937, paraîtra le Canada,
puissance internationale, Paris, A. Colin (2e édition en 1947). Siegfried
enseignera à l'École libre des Sciences politiques et au Collège de France. Voir
l'excellente introduction qu'a écrite F.H. Underhill pour l'édition dans la Carleton
Library : A. Siegfried, The race question in Canada, (Toronto), McClelland
and Stewart, (1966). Quand donc nos éditeurs nous donneront-ils une réédition
en langue française ? 2.
A. Siegfried, op. cit., p. 130. 3.
Ibid., p. 304. 4.
Ibid., p. 306. Siegfried, sans employer le mot de colonialisme,
le décrit. La phrase complète est : "Considérez les civil servants
des Indes et vous comprendrez mieux les maîtres du Canada." 5.
Ibid., p. 307. 6.
Loc. cit. 7. Ibid.,
p. 308. 8. Ibid.,
p. 41. 9. Ibid., p.
16. 10. Ibid.,
p. 42. 11.
Ibid., p. 22. 12.
Ibid., p. 68. 13.
Ibid., p. 305-306. 14.
H. de Bruchard, « Une nouvelle forme de l'action antifrançaise. Les pamphlets
contre le Canada français », Revue critique des idées et des livres, t.
7, oct.-déc. 1909, p. 431-468. Voir, sur l'accueil que réserve la critique à l'ouvrage
de Siegfried, l'excellent travail de S. Simard. L'image du Canada en France,
1850-1914, thèse manuscrite de doctorat, Bordeaux, 1975, p. 544. 15.
A. Fauteux, « M. André Siegfried, Le Canada : les deux races ». La Patrie,
14 avril 1906. La Patrie est un journal libéral. 16.
H. Garneau, « Notre état d'âme national. À propos du livre de M. Siegfried »,
Le Canada, 26 avril 1906, p. 4. Le Canada est un journal libéral. 17.
Art. cit. 18.
Faut-il voir dans cette dernière phrase un témoignage sur la vie intellectuelle
au Canada français à l'époque ? Cela veut-il dire qu'il n'y avait pas de grandes
bibliothèques canadiennesfrançaises ou bien que seules les librairies échappaient
à la censure cléricale ? 19.
T. Chapais, « À travers les faits et les oeuvres » , La Revue canadienne, août
1906, p. 100-104. La Revue canadienne est catholique. 20.
« M. Chapais et M. Siegfried » , Le Canada, 18 juil. 1906, p. 4. Le
Canada a aussi publié un résumé : « Le Canada jugé par un Français » (14 avril
1906, p. 4) et deux extraits de l'ouvrage de Siegfried : « L'avenir du Canada
dans l'Amérique du Nord » (14 avril 1906, p. 9) et « Le Canada et la civilisation
américaine » (19 avril 1906, p. 9). 21.
« Le Canada de M. André Siegfried » , L'Événement, 21 juil. 1906, p. 2.
L'Événement est à l'époque un journal conservateur dirigé par des castors
(ou ultramontains, c'est-à-dire intégristes, intransigeants). 22.
« M. Langlois se sent-il atteint ? » , L'Événement, 21 juil. 1906, p. 4.
Langlois est franc-maçon. 23.
Le P. Gonthier, o.p., écrivait sous le pseudonyme de Raphaël Gervais. Raphaël
Gervais, « Erreurs et préjugés » , La Nouvelle-France, juil. 1906, p. 340-353.
Cette revue a pour sous-titre : « Revue des intérêts religieux et nationaux du
Canada français ». 24.
« Çà et là, Le Canada de M. Siegfried » , Le Messager canadien
du Sacré-Coeur, sept. 1906, p. 429. Le Messager est la propriété des
Jésuites. 25. Gringoire,
« Le Canada en Europe » , La Libre Parole, 26 mai 1906, p. 3. La
Libre Parole est un journal catholique et se veut indépendante. Selon R.
Rumilly (Hist. de la P. de Québec, t. 12, p. 76-77), son programme est
assez semblable à celui du Nationaliste. 26.
G. Deschamps, « Nos moeurs politiques » , Le Nationaliste, 26 août 1906,
p. 2. Le Nationaliste diffuse les doctrines de Bourassa. Dans le
même numéro, même page, voir « Échos et commentaires ». 27.
J. Péricard, « Chronique parisienne » , Le Soleil, 14 mai 1906, p. 3. Le
Soleil est un journal libéral. 28.
« Les Canadiens et la France » , Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 8 juin
1907, p. 1. Le Courrier est un journal conservateur. 29.
A.-Léo Leymarie, « Courrier de Paris » , Le Canada français et le
Franco-Canadien, 11 mai 1906, p. 1. Le Canada français est
un journal libéral. 30.
Jerphanion est l'ami intime du Français Jean-Émile-Marie Flahault, titulaire de
la chaire de chimie à l'Université Laval, que La Presse (27 août 1906,
p. 12) qualifie d' « illustre savant et grand chrétien ». 31.
« Nos frères de France. Comment les marins français actuellement à Québec utilisent
leurs congés » , La Presse, 23 août 1906, p. 11. La Presse est un
journal conservateur du 11 oct. 1904 au 2 nov. 1906. À partir de cette date, Trefflé
Berthiaume en fait un journal libéral mais d'inspiration catholique. 32.
F. Rinfret, « Le Canada et le livre de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 24
août, 1906, p. 1; 31 août 1906, p. 1; 7 sept. 1906, p. 1 et 14 sept. 1906, p.
1. L'Avenir du Nord est un journal libéral, qui, selon R. Rumilly, « suscitait
la surveillance et parfois les remontrances de Mgr Bruchési pour ses idées en
matière d'enseignement » (Hist. de la prov. de Québec, t. 12, p.
89). 33. F. Rinfret,
« Le Canada et le livre de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 24 août 1906,
p. 1. 34 . Id., ibid.,
31 août 1906, p. 1. 35.
Id., ibid., 24 août 1906, p. 1. 36.
Id., ibid., 7 sept. 1906, p. 1. 37.
Rinfret écrit, en parlant des États-Unis : « Cette lutte très inégale de notre
or contre le leur est une question économique des plus graves; cela demanderait
une étude spéciale" (L'Avenir du Nord, 14 sept. 1906, p. 1.). 38.
« Le Canada et le livre de M. Siegfried », Le Canada, 1er sept. 1906, p.
4. 39. «La réhabilitation
», La Vérité, 8 sept. 1906, p. 6-7. La Vérité est un journal ultramontain. 40.
É. Auclair, « Chronique mensuelle », Le Propagateur, juill. 1906, p. 261-263;
août 1906, p. 295-296. Le Propagateur est un organe du clergé. 41.
Article reproduit dans le Progrès du Saguenay, 13 sept. 1906, p. 5 et 8.
Le Progrès est un journal conservateur au XIXe siècle et catholique de 1907
à 1960. 42. « La réhabilitation
», La Vérité, 8 sept. 1906, p. 6-7. Rinfret, qui en 1907 remplace G. Langlois
comme rédacteur en chef du Canada, est un « libéral très sûr, mais trop
féru de lettres et de musique, trop dilettante pour être fanatique » (R. Rumilly,
Hist. de la prov. de Québec, t. 14, p. 121). 43.
F. Rinfret, « Le livre de M. Siegfried et un article de la Vérité, de Québec
», L'Avenir du Nord, 21 sept. 1906, p. 1. 44.
R. Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, t. 12, p. 202. 45.
Réformiste, « Les réformes scolaires », La Libre Parole, 16 juin 1906,
p. 3. 46. C. Roy,
« À propos de notre enseignement secondaire », La Vérité, 14 juill. 1906,
p. 1-2. 47. É. Chartier,
« Notre enseignement secondaire, Formation des professeurs », La Vérité,
25 août 1906, p. 4-5. 48.
C.-J. Magnan, « Nouveaux livres », L'Enseignement primaire, 28e
année, n. 1, sept. 1906. p. 18-19. L'Enseignement primaire est une revue
catholique de pédagogie. Magnan « s'appliquait à défendre et à conserver le caractère
franchement confessionnel de l'école canadienne-française » (R. Rumilly, Hist.
de la prov. de Québec, t. 12, p. 87.). 49.
Tolérance, « Tribune libre. Le livre de M. Siegfried », Le Canada, 18 sept.
1906, p. 4 50. « Notes
et critiques. À propos du livre de Siegfried », La Croix, 22 sept. 1906,
p 1. La Croix est un journal catholique. 51.
« Autour d'un mauvais livre », La Croix, 22 sept. 1906, p. 2. 52.
Professeur à I école normale de Québec depuis 1889, Magnan deviendra en 1911 inspecteur
général de l'enseignement primaire catholique. 53.
R. Gervais, « Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, sept. 1906, t.
5, no 9, p. 436-447. 54.
« Autour d'un mauvais livre », La Croix, 22 sept. 1906, p. 2; voir
aussi Franc et sans dol, « Lisez ça », ibid., 13 oct. 1906, p. 4. 55.
F. Rinfret, « Doucereuse insinuation de La Croix », L'Avenir du Nord,
5 oct. 1906, p. 1. 56.
« Note de la rédaction », L'Avenir du Nord, 5 oct. 1906, p. 1. 57.
F. Rinfret, « La science sociale et la foi catholique, d'après l'abbé Henri de
Tourville », L'Avenir du Nord, 28 sept. 1906, p. 1-2. Voir aussi cet autre
article de Rinfret, « M. Léon Gérin et la Science Sociale », L'Avenir du Nord,
19 oct. 1906, P. 1 : Rinfret croit faire oeuvre nationale en étudiant les
phénomènes sociaux. 58.
R. Gervais, « Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, t. 5, no 10, oct.
1906, p. 485-499. 59.
F. Rinfret, « Dernier mot », L'Avenir du Nord, 26 oct. 1906, p. 1. 60.
« Louis Fréchette par Fernand Rinfret », Le Canada Français et le Franco-Canadien,
30 nov. 1906, p. 2. 61.
E. Auclair. « Chronique mensuelle », Le Propagateur, sept. 1906, p. 327. 62.
« Rinfret-Siegfried », La Vérité, 13 oct. 1906, p. 8; « M. Rinfret et nous
», ibid., 3 nov. 1906, p. 4 : La Vérité se défend d'avoir attaqué
la personne de Rinfret, « car ce n'est pas à M. Rinfret que nous en voulons mais
bien à certaines de ses théories ». Elle n'a pas publié sa lettre « parce qu'elle
contient des plaintes imaginaires. Ainsi, M Rinfret semble avoir la manie de se
croire traiter par nous de libre-penseur, de non catholique. Cette manie tend
à devenir épidémique au Nationaliste et à L'Avenir du Nord. » 63.
« La "Vérité" et M. Rinfret », L'Avenir du Nord, 9 nov. 1906,
p. 1. 64. R. Gervais,
« Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, t. 5, no 11, nov. 1906, p.
544-555. 65. « Une lettre
de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 16 nov. 1906, p. 1. 66.
J.-A. de la Morandière, « Une théorie du progrès », La Vérité, 2 fév. 1907,
p. 6-7. Cet article est une réponse à l'article de Rinfret, « Une théorie du progrès
», L'Avenir du Nord, 21 déc. 1906; voir aussi L'Avenir du Nord, 8
fév. 1907 et J.-A. de la Morandière, « Procédé loyal », La Vérité, 16 fév.
1907, p. 8. 67. « Un
intéressant article de M. Arnould », La Presse, 10 nov. 1906, p. 16. Le
Nationaliste se moquera du compte rendu de La Presse (« Échos et commentaires
», 19 nov. 1906, p. 2). Voir aussi « Conférence au Havre », Paris-Canada, 1er
déc. 1906, p. 3-4 et « Livres et revues », Le Bulletin du Parler français au
Canada, t. 5, no 5, janv. 1907, p. 181. Le Bulletin a signalé la parution
du livre dans sa bibliographie (t. 4, no 10, juin-juill.-août 1906, p. 374). Commentant
un passage des Chroniques de Georges Dangon [il s'agit d'un récit de voyage
au Canada] où celui-ci dit : « Quoique anti-clérical convaincu, je dois avouer
que l'influence française n'est si grande que grâce au clergé catholique canadien-français
», Adjutor Rivard qui écrit sous le pseudonyme d'Antoine - y a décelé « une nouvelle
confirmation de ce que disait M. Siegfried » (Antoine, « Le Canada en France »,
ibid., t. 5, no 1, sept. 1906, p. 23). 68.
Le Canada reproduit intégralement le discours de Lemieux (« L'hon. M. Lemieux
[...]», 20 avril 1907, p. 9). 69.
APC, fonds W. Laurier, v. 467, no 126217 : lettre de Laurier à l'honorable Arthur
J. Balfour, ancien premier ministre de la GrandeBretagne, 11 juill. 1907. II s'agit
d'une lettre de recommandation pour Siegfried. Traduction des auteurs. 70.
ANQ, fonds Siméon Le Sage, 87, CC9, f. 341-342 : lettre de Le Sage à Léon de Tinseau,
12 déc. 1908. Dans une autre lettre à de Tinseau, Le Sage dit, en parlant d'un
article de Barrès dans le Gaulois intitulé « Le miracle canadien », que
« les adversaires du traité de commerce ne manqueront pas de trouver qu'il fait
mieux leur affaire que le livre Siegfried » (ANQ, fonds S. Le Sage B7, CC9, f.
350, lettre du 28 déc. 1908). 71.
A. Siegfried, The Race Question in Canada, London, Eveleigh Nash,
1907, VIII-343 p. 72.
Review of Historical Publications relating to Canada, t. XII, 1908, p.
137. Traduction des auteurs. 73.
Review of Historical Publications relating to Canada, t. XI, 1907, p. 144-148.
Traduction des auteurs. 74.
The University Magazine, avril 1907. Traduction des auteurs. 75.
Introduction to the Carleton Library Edition par F.H. Underhill dans A. Siegfried,
The Race Question in Canada, (Toronto, McClelland and Stewart, c1966, 252
p., p. 1-13. Traduction des auteurs. 76.
Carl Berger, par exemple, a insisté sur les convictions humanitaires de plusieurs
impérialistes canadiens (The sense or power, Studies in the ideas of Canadian
imperialism, 1867-1914, Toronto, 1970). 77.
Préface de L. Groulx au livre de Jean Ménard, Xavier Marmier et le Canada...,
P.U.L.. 1967, p. vii. F.H. Underhill, op. cit., p. 1. 78.
L. Groulx, « Notre histoire maîtresse de fierté », Maurice Filion, sous la dir.
de, Hommage à Lionel Groulx, Leméac, 1978, p. 192-3. 79.
A. Yon, Le Canada français vu de France (1830-1914), P.U.L., 1975, p. 207. 80.
V. Barbeau, « La Tentation du passé, Ressouvenirs », La Presse, 1977, p.
96-97. 81. F.-A. Angers,
« André Siegfried et le Canada », Actualité économique, v. 1, nos 5-6,
1936, p. 363. 82. A.
Laurendeau, « Lettres de Paris... », Le Devoir, 13 fév. 1937, p. 9. 83.
P. de Grandpré, « Civilisation canadienne-française », L'Action nationale,
v. 45, no 5, janv. 1956, p. 377. 84.
F. Rinfret, « Une théorie du progrès », L'Avenir du Nord, 21 déc. 1906. 85.
Tous mentionnés précédemment, sauf le Trifluvien, qui ne parle pas
du livre, et la Vigie, journal libéral, qui se borne à en signaler
la parution (8 sept. 1906, p. 1), ainsi que deux journaux acadiens. Le moniteur
acadien et l'Évangéline n'en soufflent mot, rendant la pareille à Siegfried,
dont le mutisme sur l'Acadie est étonnant. II y avait pourtant à peine 7 ans que
Rameau de Saint-Père, le grand « ami » des Acadiens, était décédé. Peut-être l'Acadie
ne présentait-elle pas le même intérêt pour Siegfried, protestant, républicain
et moderniste, que pour Rameau, catholique et passéiste ? Pour établir la tendance
des différents périodiques, nous nous sommes inspirés de l'excellent ouvrage d'André
Beaulieu et Jean Hamelin, La Presse québécoise des origines à nos jours,
P.U.L., 1973-77, 3 v. 86.
Remarquons que, du côté canadien-anglais, les réactions publiques ne laissent
entrevoir aucune prise de conscience du schéma de domination dont on vient de
parler. II n'est pas surprenant, dans ces conditions, que les intellectuels canadiens-anglais
de l'époque n'aient été aucunement enclins à l'autocritique. La possession tranquille
de la vérité n'était pas une exclusivité québécoise. *
[Note de l'éditeur : Cet article, en trois parties, fut rédigé originellement
pour la revue l'Action nationale, Vol. 68, No. 5 (janvier 1979) : 394-405,
Vol. 68, No. 6 (février 1979) : 517-525, Vol. 68, No. 7 (mars 1979) : 587-601.
Je remercie le professeur Pierre Trépanier qui a accepté que l'article soit reproduit
au site d'histoire du Québec.] ©
2004 Claude Bélanger, Marianopolis College
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