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Last revised:
23 August 2000


Siegfried: the Race Question

Le Québec une société dominée ? Réactions québécoises au livre d'André Siegfried (1906-1907)

par Lise et Pierre Trépanier*

[Note de l'éditeur : Les notes, mises entre parenthèses, ont été renumérotées et placées à la fin de l'article. On les consultera attentivement puisqu'elles contiennent des indications et des informations intéressantes. Le format a été aussi adapté : l'article original, publié en trois sections, a été remis en un texte continu, les guillemets français remplacent les originaux, et quelques petites erreurs d'édition ont été corrigées.]

André Siegfried (1875-1959), Français protestant initié dès l'enfance à la politique - son père fut député ou sénateur de 1875 à 1922, écrivit le Canada, les deux races après avoir séjourné trois fois au pays, en 1898, 1901 et 1904 (1). II venait de défendre une thèse sur la démocratie en Nouvelle-Zélande et se préparait à l'enseignement des sciences politiques et économiques.

De plus de quatre cents pages, le Canada, les deux races se divise en quatre grandes parties : 1) l'influence de l'Église, de l'école et des sentiments nationaux dans la formation psychologique des « races » française et anglaise au Canada; 2) la vie politique canadienne vue à travers la constitution, les partis et les élections; 3) l'avenir des « races » canadiennes; 4) les relations étrangères du Canada. Le mot race était alors une expression courante qui signifiait ethnie, nation, peuple.

Siegfried analyse les dominations qui, à son avis, s'appesantissent sur la société québécoise au tournant du siècle : la domination de la société anglo-canadienne sur la société québécoise; la domination de l'Église sur cette dernière. Particulièrement lucide apparaît son constat sur la « race conquise (2) » : « Le Canada français porte encore le poids de la conquêtes (3) ! » Politiquement, les Canadiens français se sont bien défendus, mais ils ne sont pas les « maîtres du Canada (4) ». En effet, « la clef des grandes avenues de la richesse appartient en général aux Anglo-Saxons, qui règnent ainsi sur le pays aussi sûrement que par le bulletin de votes (5) ». Les raisons ? L'enseignement, où l'influence de l'Église est prépondérante, ne prépare pas autant les Canadiens français au commerce et à l'industrie que leurs compatriotes anglophones; « leurs traditions, leurs habitudes de famille, leurs penchants les poussent à embrasser des carrières où l'on gagne la considération, la renommée quelquefois, mais rarement la fortune (6) »; mais aussi ces faits fondamentaux, inéluctables : la faiblesse de la colonisation française et la conquête :

Si dans leur lutte avec la civilisation britannique, ils n'ont pas remporté une entière victoire, ce n'est ni faute d'intelligence, ni faute de courage; c'est peut-être parce que - dès le commencement et beaucoup par notre faute - ils se sont trouvés insuffisamment armés en face d'adversaires qui l'étaient puissamment (7) .

Quant à l'Église, la place qu'elle occupe au Québec atteint, selon lui, les proportions d'un cléricalisme tout-puissant : « l'individu, la famille, les relations mondaines sont entourés d'un réseau serré d'influences ecclésiastiques, auxquelles il leur est presque impossible d'échapper (8) ». Il en déduit que « la conception de la laïcité ne semble pas (...) avoir pénétré dans la Nouvelle-France (9) ». L'Église tient particulièrement à sa mainmise sur l'éducation. Elle en fait « une question de vie ou de mort; son avenir même en dépend (10) ». Son but est de « maintenir français les Canadiens pour les maintenir catholiques (11) » et elle s'applique à cette fin à les isoler pour les soustraire aux « deux puissantes tendances de la vie contemporaine » , le protestantisme anglo-saxon et la libre pensée française, avec, pour résultat, « l'étonnante persistance de leur personnalité ». Mais cette protection de l'Église, si précieuse soit-elle, se paie « d'un prix exorbitant (12) » :

la sujétion intellectuelle où le clergé voudrait les tenir, l'autorité étroite qu'il leur impose, les conceptions démodées qu'il persiste à leur inculquer en matière de foi ne sont-elles pas de nature à ralentir l'essor de la société canadienne-française et à lui rendre la lutte bien difficile, en face de ses rivaux anglo-saxons, qui sont autrement dégagés du passé et de ses formes vieillies ?

À tort, comme l'a prouvé la révolution tranquille, l'auteur y discerne un inquiétant dilemme :

ou bien les Canadiens français resteront étroitement catholiques, et alors ils auront, dans leur isolement un peu archaïque, quelque peine à suivre la rapide évolution du Nouveau Monde; ou bien ils laisseront se détendre les liens qui les unissent à l'Église, et alors, privés de la cohésion merveilleuse qu'elle leur donne, plus accessibles aux pressions étrangères, ils verront peut-être de graves fissures se produire dans le bloc séculaire de leur unité.

Objectivement parlant, autant que l'étude de la question religieuse, l'analyse de leur situation de colonisés aurait dû retenir l'attention des Québécois. Derrière l'apparente égalité politique, Siegfried démasquait la très réelle « suprématie britannique (13) ». Les rapports linguistiques la trahissaient de trop flagrante façon pour qu'on pût s'y tromper :

Quel Français de France ne s'est senti choqué de voir que, dans des cités aussi françaises par la population que Montréal ou Québec, une civilisation autre que la sienne domine manifestement et sans conteste ? Québec par exemple ne donne pas immédiatement l'impression d'une cité qui soit nôtre( ...). (...) nombreux sont les endroits où notre langue n'est pas comprise; plus exactement peut-être : où on ne veut pas la comprendre. Dans les chemins de fer, elle est tolérée, tout au plus. À l'hôtel Château Frontenac, (...) les employés supérieurs la comprennent peut-être, mais refusent de la parler. II est vrai qu'à l'office et à la cuisine vous pourrez vous faire entendre tout à votre aise. Mais n'est-il pas pénible que l'anglais semble être la langue des dirigeants et le français celle des inférieurs ? Devant cette obstination tant soit peu malveillante, les Canadiens ont fini par s'incliner. Ils apprennent l'anglais, ce en quoi ils ont raison; mais ils n'ont jamais pu amener leurs rivaux à parler français. Et il faut voir là malheureusement une défaite significative.

II en est de même à Montréal. Certains étrangers peuvent y séjourner des semaines entières (...) sans se douter le moins du monde que la ville est en grande majorité française. La société britannique affecte de l'ignorer et elle vit et se comporte comme si elle n'avait pas de voisins. Cent mille des siens regardent Montréal comme leur appartenant. Puisque ce n'est ni par l'élection, ni par le droit du nombre, il faut bien avouer qu'au fond de leur esprit subsiste encore et malgré tout la vieille notion, non oubliée, du droit de conquête. Considérez les civil servants des Indes et vous comprendrez mieux les maîtres du Canada.

Cet éclairage cru, les Québécois pouvaient-ils le supporter, surtout de la part d'un étranger, en particulier d'un Français ? La susceptibilité du colonisé mise à part, l'idéologie dominante - le traditionalisme catholique risquait-elle de le filtrer et de brouiller les perspectives ? Ce serait une preuve de plus que l'idéologie est, par nature, déformante.

Les Québécois apercevaient la France et son évolution récente à travers le réseau des « amis du Canada » , presque tous catholiques et conservateurs. La moindre observation, même irréfutable, venant d'éléments un tant soit peu associés à la France moderne et impie, était suspecte. En France, la critique a accueilli favorablement l'ouvrage de Siegfried, à l'exception des « amis du Canada » , qui y décelaient, comme le royaliste Henry de Bruchard, « une nouvelle forme de l'action anti-française (14) ». Au Québec, quelles ont été les réactions ? Pour le savoir, nous avons constitué un dossier, dont nous présenterons ici les principales pièces, en en proposant une interprétation.

1 - Les premières réactions

Dès le mois d'avril 1906, au moment où l'ouvrage voit le jour, paraissent des comptes rendus dans les revues et journaux canadiens.

Aegidius Fauteux, dans la Patrie, soutient que c'est l'enquête « la plus judicieuse et la plus complète » qui ait été faite sur la condition du Canada et qu'aucun livre sur le Canada n'a été « aussi rempli d'idées, aussi riche d'observations et aussi généralement exact (15) ». « Jamais personne, poursuit-il, ne nous a encore présenté un miroir aussi fidèle où nous nous reconnaissons. M. Siegfried nous révèle presque à nous-mêmes. (...) Notre race y est traitée d'une façon toujours sympathique mais sans flatterie. » Fauteux reproche néanmoins à Siegfried de voir le Canada en protestant et en libre penseur. Siegfried n'a pas compris que l'Église maintenait les Canadiens français catholiques et que cela suffisait pour les maintenir français, et que si l'Église exerçait une emprise considérable sur le peuple canadien, c'était parce que celui-ci lui reconnaissait un rôle surnaturel. De plus Siegfried exagère les craintes du clergé canadien à l'endroit du protestantisme, de la France moderne et des mariages mixtes. Pour Fauteux, la conclusion de Siegfried - à savoir que les Canadiens français devront choisir entre l'unité, en restant étroitement catholiques, et le progrès, en desserrant les liens avec l'Église - est l'expression de « la théorie depuis longtemps réfutée de l'infériorité des peuples catholiques ». En revanche, Fauteux se plaît à souligner cette autre conclusion de Siegfried : « le maintien du catholicisme semble être la principale condition de la persistance de notre race et de notre langue au Dominion ». Enfin, ce que Siegfried écrit sur l'avenir de la nation canadienne-française et la suprématie britannique lui paraît « un chapitre humiliant pour nous » , que pourtant il aimerait « pouvoir citer en entier ».

Hector Garneau, petit-fils de l'historien, à qui Siegfried a envoyé un exemplaire de son livre, s'entoure de moins de prudence (16) . À son avis, c'est « une étude singulièrement pénétrante et fouillée » , la meilleure « qui soit encore parue sur notre pays ». Siegfried « a fort bien compris et mis dans son vrai jour la situation privilégiée, parmi nous, de notre tout-puissant clergé (17) ». Sans récuser la formule de Siegfried : « l'Atlantique et la Révolution nous séparent » , Garneau croit devoir observer :

Si nous n'avons pas fait notre 1789, nous admirons toutefois l'éclat superbe et l'immense portée du vôtre. Mais à défaut de 1789, nous avons fait 1837. (...) Nous aussi, nous avons conquis l'égalité et la liberté. Nous les vaincus de 1759, nous avons arraché à une oligarchie (...) l'autonomie législative et provinciale. Et cette victoire, achetée par le sang et l'exil des nôtres, nous l'avons remportée tout seuls, avec nos seules forces. (...)1837 représente une révolution féconde et une heure marquante dans l'histoire coloniale du monde, C'est à cette époque que notre nationalité, en dépit de ses revers, devint maîtresse d'elle-même et prit conscience de ses forces nouvelles et de son avenir triomphant.

Quant aux distances entre le Canada et la France, Garneau veut détromper Siegfried :

Nous recevons de Paris, de Londres, de New York, les grandes revues et les nouvelles publications. Que notre clergé s'emploie à empêcher, parmi nous, la vente de romans obscènes qui calomnient la probité et l'honneur français, il y a de quoi assurément, l'en féliciter. Quant au reste, les bibliothèques anglaises et les librairies canadiennes-françaises nous offrent le meilleur du génie et de la science de la France (18).

Garneau termine son compte rendu en vantant l' « impartialité si courtoise et bienveillante à la fois » de l'écrivain français.

La critique de Thomas Chapais se rapproche beaucoup de celle de Fauteux (19). II reconnaît sans ambages que l'ouvrage est « l'un des plus considérables qui aient été consacrés à notre pays, par un écrivain français en ces dernières années » et qu'il est d'excellente qualité :

Ce n'est pas un livre banal, tant s'en faut. C'est une oeuvre remarquable, sous beaucoup de rapports. L'auteur (...) a saisi la complexité du problème canadien; il a compris mieux qu'un grand nombre d'auteurs étrangers la vraie nature de notre situation politique et de nos sentiments nationaux. Tel de ses chapitres est un chef-d'oeuvre d'exposition. Nous ne saurions trop louer dans cet ouvrage la précision et la clarté des analyses, la justesse des formules, la sûreté des informations.

Chapais n'en juge pas moins que ce livre

n'est pas un bon livre. II est faux et injuste en beaucoup d'endroits, parce que l'auteur est animé de l'esprit sectaire qui fait vaciller son jugement et dévier son regard.

(...) Ce qui ennuie M. Siegfried c'est que, d'après lui, nous sommes trop sous la tutelle, sous la direction de l'Église.

Dans tout le reste de l'article, Chapais s'applique à dénoncer le traitement que réserve l'auteur à la question religieuse. Faisant allusion au combisme et à la loi de la séparation des Églises et de l'État, il invite l'auteur à pleurer, non pas sur le Canada français, mais sur la « France de nos aïeux qui nous est restée si chère » et « où l'ostracisme, la spoliation, l'arbitraire, la tyrannie la plus odieuse sont devenues l'essence même de la domination jacobine ».

Répliquant à Chapais, /e Canada lui reproche de ne pas respecter les conclusions de Siegfried :

Est-ce parce que M. Siegfried est protestant comme d'ailleurs Parkman qui a écrit de si belles pages sur notre histoire et notre pays, que M. Chapais le dénonce comme libre penseur ?

M. Siegfried est parfaitement connu comme un esprit modéré et sa grande probité d'écrivain aurait dû le mettre à l'abri de l'imputation malveillante que lui lance l'ancien pontife du « Courrier du Canada ».

Nous pouvons retourner à celui-ci le « compliment » qu'il adresse à M. Siegfried.

Pour le style, pour la question de faits, etc., M. Chapais peut être irréprochable. Mais il devient très injuste dans ses conclusions, pour s'y laisser inspirer par ses idées abstraites et son sectarisme à rebours (20).

L'Événement reproduit le compte rendu de Chapais (21) et attaque à son tour le Canada : c'est Siegfried que Chapais a traité de libre penseur, mais le directeur du Canada, Godefroy Langlois, réagit comme s'il se sentait visé (22).

La critique la plus sévère vient du dominicain Ceslas Gonthier (23), pour qui l'ouvrage de Siegfried, malgré « l'ordre et la clarté de l'exposition » et sa fidélité à dire ce qu'il a vu, contrairement à nombre d'Européens, est un livre « perfide » et « médiocre » , qui « ne vaut pas la réputation qu'on lui veut faire ». L'auteur s'est laissé guider par « son préjugé sectaire » et « ses vues n'ont en général aucune élévation ni profondeur ». Deux handicaps l'empêchent de comprendre le Canada français : « il est huguenot de naissance et libre penseur de profession ». Ces reproches s'adressent surtout à la première partie du livre (la formation psychologique des races canadiennes), « la plus faible et la plus défectueuse » , celle qui montre le mieux « l'esprit du livre qui est le plus pur esprit du laïcisme français ». Le premier chapitre, par exemple, est truffé d'inexactitudes sur le statut de l'Église et d'erreurs de fait. Sur les autres parties, le P. Gonthier se montre moins rigoureux. II reproche cependant à Siegfried de ne pas avoir proposé une amorce de solution au problème des deux races.

Pour sa part, le Messager canadien du Sacré-Coeur de Jésus (24), ayant relevé les commentaires de Chapais et du P. Gonthier, conclut dans la même veine de pensée :

L'auteur porte des lunettes défectueuses mais il est des questions dans lesquelles il peut voir juste et parler franc. Qu'on le renseigne pour la prochaine édition.

Nombreux sont les journaux québécois à publier des extraits de la presse française, avides qu'ils sont des moindres commentaires qu'on peut y découvrir sur le Canada. Ainsi Gringoire, dans la Libre Parole (25), offre à ses lecteurs une revue de presse. II observe que le Canada, les deux races a créé une fausse impression dans l'esprit des Français en leur laissant croire « que l'âme canadienne est tenue par l'Église dans une servitude excessive ». À titre d'exemple, Gringoire cite le Phare de la Loire (Nantes, le 17 avril) qui fait paraître un compte rendu par J. Auvray. Ce dernier note :

Le catholicisme canadien ne s'est pas américanisé. II n'en est pas de plus farouchement intransigeant. Les pasteurs tiennent leurs ouailles jalousement enfermées dans une sorte de forteresse pour les préserver des contacts qui les pourraient corrompre (...)

Il est incontestable que nous devons à ce catholicisme le maintien de notre race au Canada. Mais l'Église fait payer cher sa protection. La sujétion intellectuelle où le clergé tient la société canadienne-française est de nature à ralentir son essor (...)

Gringoire juge plus avisés les propos que signe, dans les Annales coloniales (Paris, numéro d'avril), un certain M. R. Ce dernier assimile les tirades contre l'oppression cléricale à de la prose électorale (Siegfried, affirme-t-il, « est pour la troisième fois, candidat à la députation » ) : « Franchement, ceci est bien plus de la littérature de meeting que de la prose de savant. » Maurice Hodent est aussi un bon Français aux yeux de Gringoire puisque, dans le numéro d'avril du Bulletin de la Canadienne (p. 101), il a défendu le clergé et reproché à Siegfried « de discuter les idées et les sentiments des Canadiens français sans chercher à y accommoder son esprit, et de les présenter comme tenus dans une servitude qui n'existe pas ».

De la critique de Gaston Deschamps, parue dans le Temps de Paris, le Nationaliste (26) ne retient que la partie qui traite des moeurs électorales, pour les condamner. Notre recherche nous a montré, à notre grande surprise, que le Nationaliste, n'a pas consacré d'article sérieux au livre de Siegfried. Comment Olivar Asselin et ses amis de la Ligue nationaliste canadienne ont-ils pu résister à la tentation de brandir cette oeuvre comme une somme à l'appui de leurs thèses ? Faut-il y voir l'influence modératrice de Bourassa ? ou la crainte de paraître approuver, même indirectement, un adversaire du cléricalisme ?

Le correspondant parisien du Soleil de Québec, Jacques Péricard, affirme que, contrairement à bien des publications françaises sur le Canada, le livre de Siegfried est sérieux et documentée (27). S'inspirant du Temps, il attire l'attention sur la « conception toute religieuse de l'unité nationale » qui a cours dans le Domi-

nion, surtout au Canada français. La France de l'ancien régime se survit dans la province de Québec : « Nulle part un voyageur français de France n'a plus fortement la révélation du changement qu'a produit en notre pays 1789 opposant la raison et la tradition, introduisant dans la pensée nationale un libéralisme humanitaire (...) »

Le Courrier de Saint-Hyacinthe, de son côté, reproduit un extrait d'un texte que Jean Lionnet, un « ami du Canada » , a fait insérer dans la Revue hebdomadaire de Paris. Lionnet qualifie Siegfried d' « adversaire » de l'Église canadienne et son livre, d' « intéressant, mais tendancieux au point de vue religieux (28) ».

A.-Léo Leymarie, courriériste parisien du Canada français et le Franco-Canadien, de Saint-Jean d'Iberville, signale la parution de l'étude de Siegfried, à la « charpente sérieuse » , mais dont un Français ne peut apprécier que la forme (29).

On trouve dans la Presse un témoignage intéressant sur l'influence qu'exerce déjà le Canada, les deux races. En août 1906, Georges de Jerphanion (30), officier à bord du croiseur français Jurien de la Gravière, visite les bureaux du journal, qui rapporte ainsi ses propos :

Je vois votre pays tel que j'avais appris à le connaître par l'intéressant ouvrage de M. Siegfried sur le Canada. Je suis heureux comme tous mes camarades, de me retrouver ici en France. (...) Le livre de M. Siegfried m'avait fait aimer d'avance les Canadiens, (...) mon séjour si agréable à Québec fera que je ne les oublierai jamais (31).

Ainsi, des deux côtés de l'Atlantique, mais surtout au Québec, l'ouvrage de Siegfried a connu un retentissement considérable. Quelques mois à peine après sa parution, des tendances se dessinaient nettement dans l'opinion publique franco-québécoise. Si le Canada, les deux races trouvait un écho sympathique dans les milieux et organes libéraux, il s'attirait la réprobation, plus ou moins complète, des milieux et organes conservateurs, ultramontains et religieux. En outre, la question religieuse dominait si nettement le débat qu'on aurait pu croire que l'ouvrage y était entièrement consacré. Du colonialisme dont Siegfried offrait pourtant une si pénétrante analyse, il n'était presque pas fait mention. Mais la discussion - bien qu'impressionnante - s'amorçait seulement et on n'en était pas encore à la polémique.

2 - L'intervention de Fernand Rinfret

L'analyse la plus importante et la plus percutante du Canada, les deux races, parait dans l'Avenir du Nord de Saint-Jérôme : sous la signature de Fernand Rinfret, quatre longs articles, qui commentent tous les points traités par Siegfried et déclenchent un débat animé, qui tournera à la polémique (32).

Rinfret regrette que le public canadien ait accordé si peu d'attention au livre de Siegfried, « dont nous pouvons tirer grand profit (33) ». II fait exception pour l'étude « quelque peu partiale » de Chapais et le « court mais excellent article de Garneau ».

Selon Rinfret, ce livre est « consacré à la solution du problème économique au Canada » - d'une part, la coexistence dans un même pays de deux races qu'opposent la religion, la langue, la formation sociale, les ambitions, les sentiments et les traditions, et, d'autre part, l'envahissement de ce pays par son puissant voisin, symbole du monde moderne.

Siegfried met l'accent sur le premier volet de la question. II veut expliquer la psychologie de ces deux races cohabitant sur un même territoire par deux influences, la religion et l'école, qu'il juge prépondérantes. Mais Rinfret, en bon leplaysien, lui reproche de ne pas être remonté plus haut

car ni la religion, ni l'école ne sont des produits spontanés : on peut les transporter et les implanter où l'on veut. Ils ne tiennent ni au sol, ni à l'individu par des liens inébranlables. Tandis que les conditions du lieu que l'on habite, c'est-à-dire le climat, la production du sol et ses richesses, la situation géographique; les conditions ensuite du travail déterminé par le lieu, la possibilité de culture, ou de travaux miniers, ou de transports commerciaux; les conditions enfin de la formation familiale, nécessairement adaptée à ces conditions de lieu et de travail et liée à elles par un lien logique et réel; voilà, ce me semble, le triple aspect, sous lequel un peuple se doit d'abord examiner.

Rinfret poursuit son argumentation en s'inspirant aussi du libéralisme :

Mais je n'ai pu affirmer avec lui que les deux influences formatrices d'une race puissent se retrouver dans sa religion et dans son éducation : parce que la religion ne porte que sur le côté moral de l'individu, l'histoire nous ayant également montré des catholiques particularistes ou communautaires, comme elle nous a fait voir des protestants d'initiative et des protestants chez qui l'action individuelle est comprimée; parce qu'encore l'école n'est que le résultat d'influences antérieures, l'enfant étant formé en vu (sic) du lieu, et du travail possible en ce lieu.

La religion et l'école sont des réactions plutôt que des influences : car elles sont elles-mêmes ou en dehors, ou dépendantes d'autres influences plus essentielles.

II félicite cependant Siegfried d'avoir fait une distinction entre religion et école, indiquant par là que chacune a son influence propre.

Rinfret n'attribue pas à des causes purement religieuses la « compression individuelle (34) » chez les Canadiens français - « il faudrait remonter bien au-delà pour en établir l'origine » -, mais il dénonce l'ingérence de l'Église canadienne, « institution intransigeante et antilibérale » , à tous les niveaux de leur vie collective. II soutient, avec Siegfried, que « c'est un de ces cas où la liberté figure dans les lois, mais n'existe pas encore dans les moeurs ». Toutefois, comme Siegfried, il reconnaît qu'il

n'est pas facile de prévoir comment on pourra évoluer vers le progrès - ce qui est indispensable - sans compromettre l'unité où la politique de l'Église nous a maintenus.

Rinfret se réjouit de voir Siegfried si bien comprendre la question des écoles au Canada : effort des Canadiens anglais vers l'école neutre et effort parallèle de l'Église vers l'école catholique et française. La supériorité de l'école chez les Canadiens anglais tient à ce « qu'elle existe purement dans un but d'éducation, et non pas aux fins d'appuyer leur cause religieuse ». Rinfret n'admet pas que l'Église - dont il admire pourtant l'oeuvre nationale - dirige l'enseignement sans le concours des laïcs :

L'Église canadienne, avec sa crainte du libéralisme, c'est-à-dire d'une tendance vers le progrès matériel qu'on peut toujours concilier avec les exigences surnaturelles, ne saurait nous lancer à pleines voiles vers l'avenir.

Siegfried a raison, pense Rinfret, de soutenir que la vie politique au Canada ressemble à celle des États-Unis, où le bien-être et l'économie sont les préoccupations majeures. Et il est bon qu'il en soit ainsi. La confédération a consacré « l'avortement d'un grand projet (35) » : l'assimilation d'un groupe ethnique par l'autre. Parce que « la nation canadienne est double (36) » , parce que notre politique est « le gouvernement de presque deux nations et la fusion, toujours difficile, de deux tendances contraires » , il y faut « plus qu'une habileté de faiseurs d'élections ». Enfin, si les partis politiques canadiens, comme le note Siegfried, ne se distinguent guère au point de vue doctrinal, il existe malgré tout « une certaine tradition de parti » , source de nuances idéologiques.

N'a pas non plus échappé à Siegfried, la nature des sentiments des Canadiens Français pour l'Angleterre (un loyalisme calculé), le Canada anglais (la rivalité), la France (l'affection) et les États-Unis (l'intérêt) (37). Les Canadiens Français tendent « vers une autonomie de plus en plus décisive » , ce que Siegfried a appelé « la défense passionnée de l'intégrité de la race française canadienne » , plutôt que vers l'indépendance. Rinfret préfère cette orientation à un mouvement politique de libération nationale :

Les Canadiens-Français font mieux de pénétrer lentement le Dominion plutôt que de s'en séparer; et de préférer aux satisfactions précaires de l'indépendance absolue, les riches et substantielles réalités de l'autonomie. C'est par notre diplomatie dans le règlement des affaires publiques, par notre activité commerciale et industrielle, par le mouvement pondéré de nos sentiments, par la patience intelligen(t)e de nos efforts que nous procurerons le développement et l'épanouissement de la race : on voit le chemin à parcourir!

Et, comme ce sera la mode un demi-siècle plus tard, au moment de la révolution tranquille, Rinfret croit que la clé de ce progrès lent mais sûr, c'est l'éducation : « une formation virile, pratique et progressiste ». Aussi ajoute-t-il cette mise en garde : « toute puissance, si vénérable soit elle par d'autres côtés, qui se refuse aux réformes éducatrices (...) fait une oeuvre anti-patriotique ».

3 - Le débat qu'elle provoque

Tandis que le Canada s'empresse de reproduire un extrait du compte rendu de Rinfret, en le qualifiant d' « excellent (38) » , la Vérité dénonce le Canada, les deux races comme « mauvais, faux, dangereux, perfide (39) » ». Siegfried juge de tout en libre penseur; il « a puisé trop souvent à des sources radicales et (...) il a été inspiré par nos émancipateurs ». Le livre induira en erreur tous ceux dont la formation religieuse n'est pas solide; « il flatte les instincts des tenants du libéralisme parce qu'il présente cette aberration comme une planche de salut pour nous ». La Vérité appuie donc les critiques de Chapais et de Gonthier, que nous avons déjà vues, ainsi que celles de l'abbé Élie Auclair, dans le Propagateur, et de la Semaine religieuse de Montréal. Bien qu'il mette sur un pied d'égalité Siegfried, d'une part, et Rameau de Saint-Père et Xavier Marmier, d'autre part, au point de vue de la documentation et de l'analyse des sentiments nationaux, l'abbé Auclair juge de son devoir de mettre en garde les catholiques contre « l'esprit général de l'auteur (40) ». Il approuve les propos de Mgr Bernard, évêque de Saint-Hyacinthe, qui avait déclaré, lors du cinquantième anniversaire de fondation de la paroisse d'Upton, que l'erreur fondamentale de Siegfried, dans son livre « entaché d'esprit sectaire » et au vocabulaire « maçonnique » , était d'accuser l'Église catholique - même s'il en reconnaissait les bienfaits - d'être dépassée et de brimer les Canadiens Français. Enfin, Auclair défend le clergé dans le domaine de l'éducation en proclamant qu'il est loin d'être hostile aux réformes. Quant à la Semaine religieuse, elle voit dans la critique de Chapais « le jugement le plus précis et le plus juste qu'un fils de notre race portera jamais sur l'oeuvre de l'auteur du livre le Canada - Les deux races (41) ».

Mais la Vérité s'en prend aussi à Rinfret lui-même, qu'elle accuse de vouloir réhabiliter le livre de Siegfried aux yeux du public, entreprise qui donne des « nausées » à la Vérité. Le compte rendu de Rinfret est aussi faux et dangereux que le livre « au point de vue des principes catholiques » et « entaché du libéralisme le plus nocif ». Elle reproche aussi à Rinfret d'être un partisan de Godefroy Langlois dans la réforme de l'enseignement (42).

La riposte ne tarde pas. Rinfret déclare qu'il n'est pas le seul à se sentir blessé par l'attaque de la Vérité, car, écrit-il, « il y en a un grand nombre que je ne connais pas du tout, qui ont lu le livre de M. Siegfried et l'ont compris dans le sens de mon étude (43) ». Celle-ci doit être considérée comme « l'expression courageuse d'une opinion flottante ». II se défend bien d'avoir porté quelque jugement définitif que ce soit sur l'action du clergé canadien; son étude, comme le livre de Siegfried, s'est limitée à l'observation des faits.

4 - La question de l'enseignement

Le livre de Siegfried paraît au moment où le public québécois se passionne pour une nouvelle querelle des anciens et des modernes, opposant les tenants d'un enseignement humaniste et les zélateurs d'un enseignement pratique. À cause du rôle que le clergé joue dans le domaine de l'éducation, la querelle ne peut manquer de mettre en cause l'influence sociale du clergé. D'autant que, si Robert Rumilly a raison, « les champions des modernes étaient, pour beaucoup, des partisans, avoués ou honteux, de la « laïcité » (44) ». Bon gré, mal gré, Siegfried se trouve à participer au débat.

Pour une fois, la catholique Libre Parole se recommande de Siegfried :

M. Siegfried, parlant de notre système d'instruction dans son livre Le Canada dit : « En principe l'instruction est payante, mais en fait elle est gratuite, parce que le droit d'écolage est insignifiant. » L'instruction se trouve à trop bon marché, alors faut-il s'étonner qu'on nous livre un produit de second ordrel (45) ?

La Vérité publie un article de Camille Roy, alors professeur de rhétorique au Séminaire de Québec. Roy nous apprend que l'ouvrage de Siegfried connaît « beaucoup de succès auprès d'un grand nombre de lecteurs canadiens (46) ». Mais Roy ne comprend pas les critiques de Siegfried à l'égard des collèges classiques :

M. André Siegfried a trouvé que nous avons ici un respect exagéré pour les langues mortes. Si par là cet écrivain, qui est doublé d'un observateur sagace, veut entendre que nous avons ici trop de collèges classiques et pas assez d'écoles d'enseignement secondaire industriel ou commercial, nous sommes bien près d'être d'accord avec lui; si, au contraire, il déclare par là que nous consacrons trop de temps dans nos collèges et petits séminaires à l'enseignement du grec et du latin, nous pourrions lui répondre facilement que le programme de nos études classiques est calqué sur le programme des études classiques françaises, sur celles-là qui préexistaient à la réforme de 1900, et que l'on a maintenues dans l'un des cycles de l'organisation nouvelle.

S'il ne saurait être question de réformer le cours classique au profit des études techniques, il faut à coup sûr mettre l'accent sur le perfectionnement des maîtres. On se gardera, par excès de prudence, d'empêcher les étudiants canadiens de se rendre à Paris, où d'ailleurs l'École des carmes (l'Institut catholique) est au-dessus de tout soupçon. L'abbé Émile Chartier abonde dans le même sens et propose, comme sauvegarde, un stage à Rome avant les études à Paris et la fondation d'une résidence canadienne près de l'Institut catholique ou des facultés provinciales (47).

Dans l'Enseignement primaire, Charles-Joseph Magnan met en garde la jeunesse canadienne-française contre le Canada, les deux races : « plusieurs de ses pages sont injustes pour l'Église et entachées de fausses doctrines (48) ». En protestant et en libre penseur, Siegfried traite l'Église uniquement comme une puissance politique, « affectant d'ignorer le côté divin de la religion catholique ». Cependant, Magnan loue les trois dernières parties de l'ouvrage tout en reprochant à l'auteur - ce qui introduit une note originale dans le débat - de ne pas attacher assez d'importance « au rêve d'une Nouvelle-France ou plutôt d'un Canada français libre et indépendant ».

Sous le pseudonyme de Tolérance, un lecteur de Québec accuse Magnan, dans le Canada, de confondre libre pensée et protestantisme et se porte à la défense de Siegfried :

Le livre de M. Siegfried est probablement l'ouvrage le plus intéressant qui ait été écrit sur notre pays. Seulement, il ne faut pas exiger d'un protestant qu'il envisage les hommes et les choses comme nous les envisageons nous-mêmes (49) .

La Croix, relevant l'attaque de tolérance, ne s'en formalise pas puisque le Canada - c'est bien connu - est l'adversaire déclaré de Magnan (50). Mais elle s'étonne de voir tant d'écrivains catholiques commenter le livre de Siegfried.

Si tout d'abord, lorsqu'il a paru, on avait tenu le silence autour de lui, aujourd'hui il ne serait guère lu. Mais une grande librairie catholique de Montréal, sans savoir sans doute que c'était un mauvais livre, a commencé par le mettre en vente, l'afficher même dans sa vitrine et l'annoncer dans une revue mensuelle qu'elle publie, et maintenant cette malfaisante nouveauté littéraire fait le tour de la Province. Elle est le flot qu'on aurait pu endiguer, la vague qu'on aurait pu éviter, la peste qu'on a répandue, la maladie dont on a semé les germes (51).

La conspiration du silence, la mise en quarantaine que proposait la Croix ne se sont jamais réalisées. Une certaine discussion était donc possible dans le Québec du tournant du siècle. Mais la domination cléricale monopolisait l'attention aux dépens d'une autre domination, celle de tout un peuple par un autre. L'ouvrage de Siegfried offrait l'occasion d'une nécessaire réflexion collective sur cette dernière domination. Elle n'eut pas lieu. Celui qui était le mieux préparé pour la diriger, Fernand Rinfret, passa à côté. Charles-Joseph Magnan avait beau évoquer furtivement le rêve de l'indépendance nationale, il n'avait ni la liberté d'esprit, ni la marge de manoeuvre (il était fonctionnaire) (52) pour aborder la question du Québec dans sa juste perspective : celle du colonialisme.

 

5. La polémique Rinfret-Gonthier

Le livre de Siegfried proposait une analyse de la situation coloniale avec laquelle étaient aux prises les Franco-Québécois. Mais jusque-là le débat avait presque uniquement porté sur le rôle national et social de l'Église, qui, selon l'observateur français, était le facteur premier de cohésion du groupe en même temps que le principal obstacle à son progrès. La polémique Rinfret-Gonthier n'allait nullement faire progresser la discussion. Elle compromettrait même les chances d'un examen serein de la question du colonialisme. Finalement, les combattants auront déposé les armes avant que cet examen n'ait été vraiment entrepris.

Gonthier revient donc à la charge contre un livre qui « fait bien l'affaire de notre école de laïcisateurs plus ou moins conscients et de maçons plus ou moins enragés » , parmi lesquels il range Rinfret ainsi que « d'autres, et non des moins huppés, [qui] le lisent avec enthousiasme et le commentent avec ferveur en petit comité (53) ». Et voici, de la même encre, son opinion de l'Avenir du Nord, qui, comme on sait, publie la prose de Rinfret :

Cette feuille, où écrivent habituellement sous des noms d'emprunt des maçons de marque et quelques libres-penseurs qui font leurs dents, semble vouloir continuer le défunt Écho des Deux-Montagnes ou peut-être les Débats de Montréal.

Rinfret réplique vigoureusement à Gonthier et à son alliée, la Croix (54), en stigmatisant ces insinuations « aussi dégoûtantes que lâches et vides (55) ». D'ailleurs le rédacteur en chef de l'Avenir du Nord appuie inconditionnellement son collaborateur :

À l'Avenir du Nord il n'y a pas de libres penseurs, mais des penseurs libres qui ont des principes religieux inébranlables qu'ils ne se croient pas obligés de faire « sonner comme des éperons » à chaque pas qu'ils font (56).

Après avoir stigmatisé ses adversaires, Gonthier s'emploie à réfuter Siegfried : ce dernier exagère l'opposition du clergé à la France moderne; il dénature l'autorité morale de l'Église sur ses fidèles, autorité qui n'a pas le caractère tyrannique qu'il veut lui prêter et qui ne met aucunement en péril la liberté des Canadiens français; il se méprend sur l'intervention de l'Église dans la politique, preuve qu'il n'a puisé ses renseignements qu'auprès d'anticléricaux. Quant au rôle du clergé dans la formation de la « race » , Gonthier donne raison à Siegfried contre Rinfret et son interprétation leplaysienne. II se plaît aussi à souligner la justesse du portrait qu'a brossé Siegfried des journalistes québécois : plusieurs sont libéraux, même anticléricaux, mais dissimulent leurs principes. Il s'en doutait bien!

En réponse, Rinfret consacre un long article à démontrer qu'il n'y a pas de divergence entre la foi catholique et la science sociale et que l'influence de l'Église s'exerce dans la formation psychologique d'un peuple, mais parallèlement à d'autres facteurs (57).

Gonthier ne baisse pas pavillon. II adresse de nouvelles remontrances à Rinfret sur la question de la rivalité entre clergé séculier et régulier, des discordes entre les ordres religieux et les évêques : « l'aigle de SaintJérôme s'est empêtré les serres dans une proie trop pesante pour ses ailes (58) ». Puis il revient à l'éternelle question de l'enseignement. II reproche à Siegfried de s'être laissé renseigner par les réformistes de l'enseignement. Voilà pourquoi le visiteur français pense que l'enseignement primaire au Québec est inférieur parce qu'il est catholique et qu'il n'est pas dirigé par un ministre de l'Instruction publique. Et Gonthier de proposer sa propre version, inédite, de l'échec du gouvernement Marchand dans sa tentative de rétablir un ministère de l'Instruction publique.

Pour sa part, Rinfret se refuse à poursuivre la discussion tant que Gonthier n'aura pas prouvé ou retiré ses imputations de maçonnerie et d'anticléricalisme (59). Heureusement pour Rinfret, le Canada-Français et le Franco-Canadien vient verser du baume sur ses plaies :

[...] son appréciation du fameux livre de Siegfried sur le Canada nous a révélé que nous avions ici un véritable maître de la critique, portant des jugements impartiaux sur les oeuvres et les choses (60) .

L'abbé Auclair du Propagateur intervient de nouveau pour s'étonner qu'un catholique puisse mettre en doute l'influence de la religion et de l'éducation dans la formation des « races » comme des individus. Rinfret « rêve d'une religion large et libérale. [..] Ceci expliquerait peut-être certaines de ses idées étranges (61) ». La Vérité reproduit et entérine (62). Rinfret se sent obligé à une nouvelle mise au point. On l'a mal compris. Comment peut-on encore lui reprocher « de proclamer que la formation religieuse n'est pas désirable pour une société [?] [...] II y a là un mépris si absolu de tout ce que j'ai fait pour établir mes opinions de sociologue catholique que j'en suis tout ébahi (63) ». II a pourtant expliqué aussi clairement qu'il a pu que ce qu'il entendait par formation sociale

était d'un tout autre ordre que la formation religieuse; qu'elle s'occupait de l'organisation du travail, sous l'influence du lieu, et de la création du type de famille, sans cesser d'être catholique; que cette théorie sociale était orthodoxe, et ne niait nullement l'action divine de l'Église sur les moeurs; qu'elle lui concédait même une action sociale quelconque, quoique non primordiale, puisque le catholicisme se retrouve chez des peuples d'organisation sociale différente.

Quant au P. Gonthier, il publie sa dernière contribution au débat. Ses réflexions portent sur l'enseignement secondaire. Siegfried aurait dû tenir compte de l'enseignement commercial dont les Canadiens français se sont dotés. Néanmoins cet enseignement ne suffit pas à vaincre la supériorité anglophone dans le commerce et l'industrie car cette supériorité tient « à une aptitude spéciale de la race » et à « une mise plus considérable de capitaux (64) ». Enfin, Gonthier admet que le livre de Siegfried tire sa valeur des trois dernières parties et des quatre chapitres sur les sentiments nationaux.

Par une intervention personnelle - une lettre qu'il adresse à Rinfret pour lui donner raison - Siegfried semble clore le débat :

Vous avez parfaitement compris dans quel esprit j'avais écrit ce livre. [...] Votre résumé est des plus consciencieux, des plus clairs et des plus fidèles. Les reproches de la Vérité, dans ces conditions, ne sont évidemment pas justifiés (65) .

Mais la Vérité veut avoir le dernier mot. Elle assimile Rinfret à « ceux qui ont entrepris une campagne de dénigrement contre tout ce qui a fait dans le passé notre force et notre progrès [...], ceux qui importent et répandent parmi nous les idées et les pratiques de la maçonnerie française (66) ».

À toutes fins utiles, le débat est terminé, du moins publiquement. De temps à autre, un article ou une conférence y feront écho (67) .

6. Opinions d'hommes politiques et d'un haut fonctionnaire

Quelques hommes politiques se sont prononcés en public sur le Canada, les deux races. Ainsi, dans un discours prononcé à la Chambre des communes le 9 avril 1907, le ministre des postes, Rodolphe Lemieux, jugeait que c'était là

le meilleur ouvrage publié sur le Canada depuis vingt-cinq ans. Voici un Français qui a visité notre pays, qui connaît notre population et qui a écrit des chapitres d'un vif intérêt et qui ont créé une profonde sensation parce qu'on n'aurait jamais supposé qu'un Français pouvait saisir aussi bien les questions canadiennes (68) .

Dans une lettre, le premier ministre, Wilfrid Laurier, abondait dans le même sens : « Son livre, je pense, est un exposé assez fidèle de la situation au Canada (69) ». Siméon Le Sage, sous-ministre des Travaux publics et du Travail du Québec, conservateur en politique, a lui aussi livré ses impressions privément, avec l'émotivité du colonisé dont la fierté a été blessée. II ne peut accepter que ce soit un Français qui vienne nous lancer à la figure que « parce que nous nous sommes obstinés à vouloir rester nous-mêmes [...] nous sommes restés et resterons des vaincus (70) ».

D'après lui nous avons eu tort de tolérer le joug du clergé, et tout de même il ne peut s'empêcher de reconnaître que c'est à lui que nous sommes redevables de la conservation de notre nationalité. Nous aurions dû dès le lendemain de la cession faire cause commune avec nos nouveaux maîtres, adopter leur langue, leur religion et leur mode d'éducation.

Il conclut, avec une pointe d'exaspération : « les Huguenots m'ont toujours fait l'effet d'être de mauvais Français et celui-ci ne vaut pas mieux que les autres ».

7. L'attitude du Canada anglais

Réédité en 1907, l'ouvrage de Siegfried est traduit cette année-là en anglais (71). Les intellectuels canadiens-anglais semblent lui réserver un accueil très favorable. La Review of Historical Publications en vante « la valeur scientifique, la sérénité et la pénétration (72) ». W.L. Grant, conférencier d'histoire coloniale à l'université d'Oxford, avait déjà publié un compte rendu très louangeur de l'édition française :

Peut-être est-ce la première fois qu'on traite du Canada scientifiquement. Il y a quelque chose de presque inhumain dans le détachement de M. Siegfried […]. Bien que Français, protestant et anticlérical, il n'a presque rien laissé transparaître, dans son livre, de sa nationalité, de sa religion ou de ses convictions politiques. Bien que sans parti pris, il n'est pas terne; il s'est gardé de toute simplification excessive et il n'a pas essayé de réduire la vie nationale du Canada à quelques catégories (73) .

Le doyen de la faculté de droit de l'Université McGill, F.P. Wallon, voit dans ce livre « un bel exemple de l'admirable lucidité de l'esprit français (74) ». Or bien des passages du Canada, les deux races, par exemple l'analyse des partis politiques canadiens, étaient de nature à mécontenter les Canadiens anglais. F.H. Underhill le reconnaît, qui écrit : « J'en déduis qu'il a froissé la plupart des Canadiens non-universitaires qui l'ont lu en 1907 (75) »

Conclusion

Les réactions québécoises au livre de Siegfried nous paraissent très révélatrices, par ce qu'elles taisent comme par ce qu'elles expriment. En histoire des idéologies, les silences peuvent être aussi éloquents que les formulations. Ils illustrent, en creux, les postulats tacitement reçus dans une culture, la structuration de l'espace social et, au sein d'une collectivité donnée, les rapports de force auxquels renvoient inévitablement les idéologies. Les groupes dans la société sont en effet engagés dans une lutte d'influence : leur discours et leur action tendent à réaliser un consensus autour de leur vision du passé, du présent et de l'avenir. Cette vision parliculière à chaque groupe s'enracine dans des intérêts matériels : ceux-ci entretiennent avec celle-là d'intimes relations de causalité. Mais elle aspire aussi à l'actualisation d'un certain idéal, d'un certain archétype. Ce serait appauvrir l'histoire, nous semble-t-il, que de réduire les idéologies à des occultations plus ou moins machiavéliques d'intérêts égoïstes. Elles le sont assez souvent qui oserait le nier, - mais assez souvent aussi elles sont des approximations d'un rêve généreux : l'état social le mieux accordé à la nature de l'homme et à son environnement, ainsi qu'à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires comme les plus nobles. Une idéologie, assez souvent, c'est donc une tension entre des intérêts et un idéal. On ne saurait s'étonner de la présence d'idéal ou même d'utopie dans les idéologies, du moins telles que les pensent les élites intellectuelles, en quelque sorte commises à leur production par les groupes sociaux en lutte.

Nous pouvons invoquer, à l'appui de cette assertion, deux des grands courants de pensée des XIXe et XXe siècles. Le libéralisme et le socialisme, bien qu'historiquement liés à une classe sociale en particulier, sont devenus le patrimoine de l'humanité tout entière. La bourgeoisie a donné à la société globale les libertés et la démocratie. De même la société globale s'est assimilé certains éléments du socialisme, idéologie des classes laborieuses : reconnaissance des syndicats, État-providence, sécurité sociale, etc. Le défi de l'Occident de nos jours est peut-être de chercher l'harmonisation d'une certaine tendance à l'égalitarisme et au partage avec la préservation et l'affermissement des libertés. A cette fin, la multiplicité des centres de décision paraît indispensable. En regard de cet objectif, le coopératisme se révèle une formule prometteuse alors que le collectivisme, du moins tel qu'il a fonctionné jusqu'à ce jour, semble dangereux. (Nous pensons que le drame du communisme est d'avoir d'abord pris le pouvoir aux marches de l'Occident, dans des territoires sans traditions libérales.)

Comme on démontre le mouvement en marchant, nous venons d'exposer l'une des contradictions de la condition d'historien des idéologies : analyser et expliquer scientifiquement les idéologies alors qu'on est soi-même, consciemment ou non, imprégné de l'une d'entre elles. Aussi l'historien trouvera-t-il prudent de se rappeler constamment qu'une idéologie peut être une tension entre des intérêts et un idéal et que bien des protagonistes, dans la lutte idéologique, méritent qu'on ne conteste pas leur sincérité (76).

Dans son entreprise, l'historien doit être à l'affût des occasions propices, celles où les idéologies se laissent plus facilement saisir qu'en temps ordinaire. Une controverse en est une. Bien que ponctuelle, elle permet l'affleurement de tendances durables (structures). Tel nous apparaît l'accueil réservé au Canada, les deux races.

 

II nous faut donc, dans la présente conclusion, expliquer les réactions et les silences. Ce qui frappe le plus, dans l'analyse du dossier que nous avons constitué, c'est le quasi-monopole que détient la question religieuse. Pourtant, la domination coloniale qui pèse sur le Canada français est fort lucidement décrite par Siegfried, avec les nuances qu'impose l'originalité du cas québécois. On ne peut assimiler purement et simplement la situation des Québécois à celle des peuples du Tiers-Monde. Or les critiques, avons-nous dit, se sont braqués le plus souvent sur l'aspect religieux même si, comme Thomas Chapais et le P. Gonthier, ils admettaient la qualité des chapitres consacrés à d'autres sujets. Plus tard, des nationalistes feront l'éloge du livre. Ce ne sera certainement pas le traitement réservé à la question religieuse dans cet ouvrage qui portera Lionel Groulx à l'admirer. Comme F.H. Underhill, Groulx comparera Siegfried à Tocqueville (77). Dans une conférence prononcée à Sherbrooke, en mars 1927, il citera un passage du Canada, les deux races, commençant par cette phrase : « Le Canada français porte encore le poids de la conquête. » II accompagnera cette citation de ce commentaire : « ouvrage, discuté, mais le plus fort peut-être qu'on ait publié sur notre pays (78) ». Cet éloge, la plupart des Québécois cultivés pouvaient sans doute y souscrire. Largement diffusé, l'ouvrage se trouvait d'ailleurs dans toutes les bibliothèques importantes (79) . Au dire de Victor Barbeau, les livres sur le Canada de ce « doctrinaire sentencieux et grave » qu'était Siegfried « faisaient autorité d'office, chez nous aussi bien qu'en France (80) ». En 1936, F.-A. Angers n'hésitera pas à soutenir que Siegfried est « le Français qui a le mieux compris le Canada, notamment le Canada français (81) ». L'année suivante, André Laurendeau observera, au sujet cette fois d'un autre ouvrage de Siegfried, le Canada, puissance internationale :

Si nous faisions l'analyse de ce livre, nous aurions à faire quelques réserves importantes. Mais ces différences sont dépassées par un désir qui emporte tout, celui de comprendre (82) [...]

Et en 1956, Pierre de Grandpré classera Siegfried parmi les « meilleurs praticiens de la psychologie des peuples (83) ». Pourquoi donc un ouvrage de qualité d'un auteur aussi généralement respecté n'a-t-il été commenté que partiellement ?

Si la polémique a porté sur la question religieuse, c'est en partie parce que l'auteur abordait un aspect très délicat, mettant en cause l'exercice du pouvoir dans la société québécoise, mettant en cause, plus précisément, la puissance de l'Église, son influence, son autorité. Les réactions ainsi déclenchées se comprennent mieux quand on les replace dans le contexte de la vieille lutte entre ultramontanisme et libéralisme. Cette rivalité a profondément marqué l'évolution des idéologies québécoises dans la seconde moitié du XIXe siècle. L'ultramontain avait une conception éminemment sociale de la religion, qui devait imprégner et diriger toute la vie de la collectivité. L'Église, dépositaire de la Vérité révélée, était supérieure à l'État, auquel elle devait par conséquent prodiguer ses directives. Le libéral, au contraire, distinguait entre le domaine de l'État et du savoir, d'une part, et le domaine de l'Église et de la Révélation, d'autre part. L'individu devait avoir droit à la libre discussion dans la recherche de la vérité, désormais relative plutôt qu'absolue. La religion, affaire privée, ne relevait plus que des consciences et des familles. Cependant le nationalisme s'interposait, pour ainsi dire, entre les deux tendances qui s'affrontaient : l'Église, admettait-on règle générale, avait protégé l'intégrité de la nation et assuré sa survie. Ce facteur, avec d'autres, a contribué à rendre moins tranchées les distinctions entre les deux camps. En effet, les doctrinaires, qu'ils fussent libéraux ou ultramontains, étaient minoritaires dans la société québécoise de sorte que l'idéologie la plus répandue était, nous semble-t-il, une sorte de traditionalisme modéré. Or ce conservatisme admettait la prépondérance de l'Église dans nombre de secteurs de la vie collective. Lors de la parution du Canada, les deux races, cette influence atteignait son apogée. C'était l'aboutissement de la cléricalisation progressive de la société québécoise à partir de l'échec révolutionnaire de 1837. L'augmentation des effectifs cléricaux et l'évolution dans le domaine de l'éducation témoignent de ce phénomène. Cette force de l'Église, conjointement avec le poids de la civilisation rurale, par définition antipluraliste, dans le Québec d'alors, entraînait un conformisme assez contraignant, aux yeux de certains. Des esprits libres, curieux, novateurs pouvaient se sentir brimés, opprimés, comme en fait foi cette remarque de Rinfret : « dans ce pays de fourches caudines et de carcan [...], la liberté, quand il s'agit d'intelligence, n'est qu'un vain mot (84) ». La controverse sur la question religieuse aurait sans doute été encore plus animée, plus vive, si la crainte n'avait retenu des libéraux et des crypto-anticléricaux de faire valoir publiquement leur point de vue.

Pour constituer notre dossier, nous avons dépouillé 25 périodiques (85) . De ce nombre, 22 faisaient au moins mention du Canada, les deux races. Nous avons observé une constante : l'accueil que lui réservent les périodiques libéraux, au sens idéologique ou partisan du terme, est beaucoup plus favorable que celui des périodiques conservateurs, cléricaux ou ultramontains.

Si le débat sur la question religieuse se comprend en termes de structures socio-idéologiques, la conjoncture, comme facteur explicatif, doit aussi être retenue. Le livre, nous l'avons vu, a paru à l'époque du combisme, qu'on interprétait ici comme une persécution anti-catholique. Certains esprits pouvaient craindre la contagion, d'autant que certains événements survenus au Québec depuis peu pouvaient prendre, à la lumière de l'expérience française, un aspect menaçant, une valeur prémonitoire. II n'y avait pas si longtemps, en 1893-95, le périodique avancé Canada-Revue n'avait-il pas intenté une poursuite en dommages-intérêts contre l'archevêque de Montréal, Mgr Fabre ? En 1897-98, les libéraux n'avaient-ils pas tenté de rétablir le ministère de l'Instruction publique ?

Bref, structures et conjoncture prises en compte, les classes moyennes franco-québécoises - que ses membres fussent ultramontains, traditionalistes ou libéraux modérés - ne pouvaient que réprouver le sort que, dans son analyse, Siegfried faisait à l'Église québécoise. Indépendamment de leurs convictions religieuses, elles ne pouvaient tolérer que fût contestée une institution depuis toujours partie intégrante de leurs univers, garantie et légitimation d'un ordre social où apparemment elles dominaient. Voilà pour l'ampleur de la controverse sur la question religieuse.

Mais comment expliquer directement et précisément l'absence de débat sur le problème national des Québécois, sur le colonialisme qui pèse sur leur destin. En public, ce fut le silence ou peu s'en faut. En privé, l'exaspération pouvait plus facilement se donner libre cours. On a vu Siméon Le Sage, par exemple, conservateur mais nullement ultramontain, se récrier, dans sa correspondance, contre l'étiquette de vaincue que Siegfried voulait accoler à sa nation. D'autres, même en public, admirent implicitement leur état de dominés : Aegedius Fauteux trouvant humiliantes pour nous certaines constatations de Siegfried, mais incapable, semble-t-il, de les réfuter; Fernand Rinfret, repoussant une solution politique globale, mais préconisant une réforme de l'enseignement; Charles-Joseph Magnan, évoquant rapidement le rêve d'une Nouvelle-France indépendante, - le rêve de Jules-Paul Tardivel, mort en 1905, un an avant la parution du Canada, les deux races. Mais personne n'a eu le courage ou la lucidité d'affronter le constat global dressé par Siegfried. Le libéral Hector Garneau, interprétant la révolution avortée de 1837, y discernait une éclatante victoire : « C'est à cette époque que notre nationalité en dépit de ses revers, devint maîtresse d'elle-même et prit conscience de ses forces nouvelles et de son avenir triomphant. » Ce discours aberrant, transmuant un désastre national en triomphe, n'est pas innocent : il porte sur le pouvoir dans la société. Pour Garneau, en effet, 1837-38 avait abouti, dix ans plus tard, à la conquête de la responsabilité ministérielle, qui, bien que ne constituant à nos yeux qu'une libération collective toute formelle, n'en était pas moins le fondement du statut de notre classe dirigeante laïque. De ce fait, le Canada anglais avait associé à l'exercice du pouvoir politique les professions libérales franco-québécoises et les avait reconnues comme classe dirigeante à l'intérieur de leur sous-structure ethnique. Ce pacte tacite entre les groupes dirigeants de la société dominante, canadienne-anglaise, et les groupes dirigeants de la société dominée, franco-québécoise, était trop fondamental, par rapport à l'ordre de choses existant, pour qu'on pût adopter une autre attitude que le silence, sans risquer la subversion idéologique (86) .

Les Québécois ne pouvaient polémiquer autour de la question du colonialisme parce que, à cette étape de leur évolution collective, ils en étaient incapables, ou plutôt leurs élites en étaient incapables. Aux enivrantes périodes de l'abbé Pâquet sur la glorieuse mission du Canada français, Siegfried opposait une impitoyable analyse de la précarité d'un petit peuple et de l'insignifiance objective de sa classe dirigeante. Ce tableau rien moins que fardé jurait trop sur la toile de fond que nous nous étions imaginée. Non content de ramener notre XIXe siècle à ses proportions réelles, Siegfried mettait à nu l'indigence de notre projet collectif, de notre programme d'avenir politique et économique. Les élites qui en étaient les auteurs ne pouvaient que réagir émotivement et négativement. Seuls ceux qui auraient le courage intellectuel de méditer les dures leçons de Siegfried seraient en mesure, quelques années plus tard, d'y puiser les éléments d'un nouveau projet de société. Groulx fut de ceux-là.

Enfin, notre dossier sur les réactions québécoises au Canada, les deux races nous amène à voir, dans la polémique Rinfret-Gonthier, une anticipation de l'opposition qui caractérisera l'évolution du Québec dans les années 50 et pendant la révolution tranquille : le choc des nouveaux savoirs des sciences sociales avec les anciennes certitudes doctrinales de l'Église d'ici.

De nos jours, l'Église n'étant plus ce qu'elle était au tournant du siècle et le pluralisme régnant sur la cité, la question religieuse ne monopoliserait plus la discussion. D'ailleurs les Québécois en sont rendus à cette étape où ils peuvent placer en pleine lumière le problème de leur domination comme le démontre le débat sur la souveraineté-association. D'autant qu'ils savent que Siegfried était trop pessimiste et que, dans une certaine mesure, l'homme peut agir sur l'histoire. Le coopératisme, la nationalisation de l'électricité, l'intervention de l'État, directement ou par des sociétés mixtes, ont amorcé leur libération économique. La loi 101 a solidement engagé leur libération culturelle. Ces deux évolutions pointent vers leur libération politique. On tirerait grand profit de la lecture du Canada, les deux races : la comparaison de la situation telle que la décrivait Siegfried avec la situation actuelle montrerait le chemin déjà parcouru en regard de ce qu'il reste à parcourir. Alors qu'on sort de la poussière de vieux ouvrages qui peut-être ne méritent pas tant d'honneur, qui nous offrira une réédition de la prose pénétrante et limpide d'André Siegfried ?

 

1. André Siegfried, Le Canada, les deux races, Problèmes politiques contemporains, Paris, Armand Colin, 1906 et 1907, 415 p. En 1901, il publie un article intitulé « La politique canadienne jugée à l'étranger » dans la Revue canadienne (t. 40, p. 214-219, 284-291). En 1905, il répond à une enquête lancée par le Canada sur les relations franco-canadiennes au point de vue économique et intellectuel (Le Canada, 11 mai 1905). II séjournera de nouveau au Canada en 1914, ce qui nous vaudra Deux mois en Amérique du Nord à la veille de la guerre (Paris, A. Colin, 1916), puis en 1919, 1929, 1935 et 1945. En 1937, paraîtra le Canada, puissance internationale, Paris, A. Colin (2e édition en 1947). Siegfried enseignera à l'École libre des Sciences politiques et au Collège de France. Voir l'excellente introduction qu'a écrite F.H. Underhill pour l'édition dans la Carleton Library : A. Siegfried, The race question in Canada, (Toronto), McClelland and Stewart, (1966). Quand donc nos éditeurs nous donneront-ils une réédition en langue française ?

2. A. Siegfried, op. cit., p. 130.

3. Ibid., p. 304.

4. Ibid., p. 306. Siegfried, sans employer le mot de colonialisme, le décrit. La phrase complète est : "Considérez les civil servants des Indes et vous comprendrez mieux les maîtres du Canada."

5. Ibid., p. 307.

6. Loc. cit.

7. Ibid., p. 308.

8. Ibid., p. 41.

9. Ibid., p. 16.

10. Ibid., p. 42.

11. Ibid., p. 22.

12. Ibid., p. 68.

13. Ibid., p. 305-306.

14. H. de Bruchard, « Une nouvelle forme de l'action antifrançaise. Les pamphlets contre le Canada français », Revue critique des idées et des livres, t. 7, oct.-déc. 1909, p. 431-468. Voir, sur l'accueil que réserve la critique à l'ouvrage de Siegfried, l'excellent travail de S. Simard. L'image du Canada en France, 1850-1914, thèse manuscrite de doctorat, Bordeaux, 1975, p. 544.

15. A. Fauteux, « M. André Siegfried, Le Canada : les deux races ». La Patrie, 14 avril 1906. La Patrie est un journal libéral.

16. H. Garneau, « Notre état d'âme national. À propos du livre de M. Siegfried », Le Canada, 26 avril 1906, p. 4. Le Canada est un journal libéral.

17. Art. cit.

18. Faut-il voir dans cette dernière phrase un témoignage sur la vie intellectuelle au Canada français à l'époque ? Cela veut-il dire qu'il n'y avait pas de grandes bibliothèques canadiennesfrançaises ou bien que seules les librairies échappaient à la censure cléricale ?

19. T. Chapais, « À travers les faits et les oeuvres » , La Revue canadienne, août 1906, p. 100-104. La Revue canadienne est catholique.

20. « M. Chapais et M. Siegfried » , Le Canada, 18 juil. 1906, p. 4. Le Canada a aussi publié un résumé : « Le Canada jugé par un Français » (14 avril 1906, p. 4) et deux extraits de l'ouvrage de Siegfried : « L'avenir du Canada dans l'Amérique du Nord » (14 avril 1906, p. 9) et « Le Canada et la civilisation américaine » (19 avril 1906, p. 9).

21. « Le Canada de M. André Siegfried » , L'Événement, 21 juil. 1906, p. 2. L'Événement est à l'époque un journal conservateur dirigé par des castors (ou ultramontains, c'est-à-dire intégristes, intransigeants).

22. « M. Langlois se sent-il atteint ? » , L'Événement, 21 juil. 1906, p. 4. Langlois est franc-maçon.

23. Le P. Gonthier, o.p., écrivait sous le pseudonyme de Raphaël Gervais. Raphaël Gervais, « Erreurs et préjugés » , La Nouvelle-France, juil. 1906, p. 340-353. Cette revue a pour sous-titre : « Revue des intérêts religieux et nationaux du Canada français ».

24. « Çà et là, Le Canada de M. Siegfried » , Le Messager canadien du Sacré-Coeur, sept. 1906, p. 429. Le Messager est la propriété des Jésuites.

25. Gringoire, « Le Canada en Europe » , La Libre Parole, 26 mai 1906, p. 3. La Libre Parole est un journal catholique et se veut indépendante. Selon R. Rumilly (Hist. de la P. de Québec, t. 12, p. 76-77), son programme est assez semblable à celui du Nationaliste.

26. G. Deschamps, « Nos moeurs politiques » , Le Nationaliste, 26 août 1906, p. 2. Le Nationaliste diffuse les doctrines de Bourassa. Dans le même numéro, même page, voir « Échos et commentaires ».

27. J. Péricard, « Chronique parisienne » , Le Soleil, 14 mai 1906, p. 3. Le Soleil est un journal libéral.

28. « Les Canadiens et la France » , Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 8 juin 1907, p. 1. Le Courrier est un journal conservateur.

29. A.-Léo Leymarie, « Courrier de Paris » , Le Canada français et le Franco-Canadien, 11 mai 1906, p. 1. Le Canada français est un journal libéral.

30. Jerphanion est l'ami intime du Français Jean-Émile-Marie Flahault, titulaire de la chaire de chimie à l'Université Laval, que La Presse (27 août 1906, p. 12) qualifie d' « illustre savant et grand chrétien ».

31. « Nos frères de France. Comment les marins français actuellement à Québec utilisent leurs congés » , La Presse, 23 août 1906, p. 11. La Presse est un journal conservateur du 11 oct. 1904 au 2 nov. 1906. À partir de cette date, Trefflé Berthiaume en fait un journal libéral mais d'inspiration catholique.

32. F. Rinfret, « Le Canada et le livre de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 24 août, 1906, p. 1; 31 août 1906, p. 1; 7 sept. 1906, p. 1 et 14 sept. 1906, p. 1. L'Avenir du Nord est un journal libéral, qui, selon R. Rumilly, « suscitait la surveillance et parfois les remontrances de Mgr Bruchési pour ses idées en matière d'enseignement » (Hist. de la prov. de Québec, t. 12, p. 89).

33. F. Rinfret, « Le Canada et le livre de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 24 août 1906, p. 1.

34 . Id., ibid., 31 août 1906, p. 1.

35. Id., ibid., 24 août 1906, p. 1.

36. Id., ibid., 7 sept. 1906, p. 1.

37. Rinfret écrit, en parlant des États-Unis : « Cette lutte très inégale de notre or contre le leur est une question économique des plus graves; cela demanderait une étude spéciale" (L'Avenir du Nord, 14 sept. 1906, p. 1.).

38. « Le Canada et le livre de M. Siegfried », Le Canada, 1er sept. 1906, p. 4.

39. «La réhabilitation », La Vérité, 8 sept. 1906, p. 6-7. La Vérité est un journal ultramontain.

40. É. Auclair, « Chronique mensuelle », Le Propagateur, juill. 1906, p. 261-263; août 1906, p. 295-296. Le Propagateur est un organe du clergé.

41. Article reproduit dans le Progrès du Saguenay, 13 sept. 1906, p. 5 et 8. Le Progrès est un journal conservateur au XIXe siècle et catholique de 1907 à 1960.

42. « La réhabilitation », La Vérité, 8 sept. 1906, p. 6-7. Rinfret, qui en 1907 remplace G. Langlois comme rédacteur en chef du Canada, est un « libéral très sûr, mais trop féru de lettres et de musique, trop dilettante pour être fanatique » (R. Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, t. 14, p. 121).

43. F. Rinfret, « Le livre de M. Siegfried et un article de la Vérité, de Québec », L'Avenir du Nord, 21 sept. 1906, p. 1.

44. R. Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, t. 12, p. 202.

45. Réformiste, « Les réformes scolaires », La Libre Parole, 16 juin 1906, p. 3.

46. C. Roy, « À propos de notre enseignement secondaire », La Vérité, 14 juill. 1906, p. 1-2.

47. É. Chartier, « Notre enseignement secondaire, Formation des professeurs », La Vérité, 25 août 1906, p. 4-5.

48. C.-J. Magnan, « Nouveaux livres », L'Enseignement primaire, 28e année, n. 1, sept. 1906. p. 18-19. L'Enseignement primaire est une revue catholique de pédagogie. Magnan « s'appliquait à défendre et à conserver le caractère franchement confessionnel de l'école canadienne-française » (R. Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, t. 12, p. 87.).

49. Tolérance, « Tribune libre. Le livre de M. Siegfried », Le Canada, 18 sept. 1906, p. 4

50. « Notes et critiques. À propos du livre de Siegfried », La Croix, 22 sept. 1906, p 1. La Croix est un journal catholique.

51. « Autour d'un mauvais livre », La Croix, 22 sept. 1906, p. 2.

52. Professeur à I école normale de Québec depuis 1889, Magnan deviendra en 1911 inspecteur général de l'enseignement primaire catholique.

53. R. Gervais, « Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, sept. 1906, t. 5, no 9, p. 436-447.

54. « Autour d'un mauvais livre », La Croix, 22 sept. 1906, p. 2; voir aussi Franc et sans dol, « Lisez ça », ibid., 13 oct. 1906, p. 4.

55. F. Rinfret, « Doucereuse insinuation de La Croix », L'Avenir du Nord, 5 oct. 1906, p. 1.

56. « Note de la rédaction », L'Avenir du Nord, 5 oct. 1906, p. 1.

57. F. Rinfret, « La science sociale et la foi catholique, d'après l'abbé Henri de Tourville », L'Avenir du Nord, 28 sept. 1906, p. 1-2. Voir aussi cet autre article de Rinfret, « M. Léon Gérin et la Science Sociale », L'Avenir du Nord, 19 oct. 1906, P. 1 : Rinfret croit faire oeuvre nationale en étudiant les phénomènes sociaux.

58. R. Gervais, « Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, t. 5, no 10, oct. 1906, p. 485-499.

59. F. Rinfret, « Dernier mot », L'Avenir du Nord, 26 oct. 1906, p. 1.

60. « Louis Fréchette par Fernand Rinfret », Le Canada Français et le Franco-Canadien, 30 nov. 1906, p. 2.

61. E. Auclair. « Chronique mensuelle », Le Propagateur, sept. 1906, p. 327.

62. « Rinfret-Siegfried », La Vérité, 13 oct. 1906, p. 8; « M. Rinfret et nous », ibid., 3 nov. 1906, p. 4 : La Vérité se défend d'avoir attaqué la personne de Rinfret, « car ce n'est pas à M. Rinfret que nous en voulons mais bien à certaines de ses théories ». Elle n'a pas publié sa lettre « parce qu'elle contient des plaintes imaginaires. Ainsi, M Rinfret semble avoir la manie de se croire traiter par nous de libre-penseur, de non catholique. Cette manie tend à devenir épidémique au Nationaliste et à L'Avenir du Nord. »

63. « La "Vérité" et M. Rinfret », L'Avenir du Nord, 9 nov. 1906, p. 1.

64. R. Gervais, « Erreurs et préjugés », La Nouvelle-France, t. 5, no 11, nov. 1906, p. 544-555.

65. « Une lettre de M. Siegfried », L'Avenir du Nord, 16 nov. 1906, p. 1.

66. J.-A. de la Morandière, « Une théorie du progrès », La Vérité, 2 fév. 1907, p. 6-7. Cet article est une réponse à l'article de Rinfret, « Une théorie du progrès », L'Avenir du Nord, 21 déc. 1906; voir aussi L'Avenir du Nord, 8 fév. 1907 et J.-A. de la Morandière, « Procédé loyal », La Vérité, 16 fév. 1907, p. 8.

67. « Un intéressant article de M. Arnould », La Presse, 10 nov. 1906, p. 16. Le Nationaliste se moquera du compte rendu de La Presse (« Échos et commentaires », 19 nov. 1906, p. 2). Voir aussi « Conférence au Havre », Paris-Canada, 1er déc. 1906, p. 3-4 et « Livres et revues », Le Bulletin du Parler français au Canada, t. 5, no 5, janv. 1907, p. 181. Le Bulletin a signalé la parution du livre dans sa bibliographie (t. 4, no 10, juin-juill.-août 1906, p. 374). Commentant un passage des Chroniques de Georges Dangon [il s'agit d'un récit de voyage au Canada] où celui-ci dit : « Quoique anti-clérical convaincu, je dois avouer que l'influence française n'est si grande que grâce au clergé catholique canadien-français », Adjutor Rivard qui écrit sous le pseudonyme d'Antoine - y a décelé « une nouvelle confirmation de ce que disait M. Siegfried » (Antoine, « Le Canada en France », ibid., t. 5, no 1, sept. 1906, p. 23).

68. Le Canada reproduit intégralement le discours de Lemieux (« L'hon. M. Lemieux [...]», 20 avril 1907, p. 9).

69. APC, fonds W. Laurier, v. 467, no 126217 : lettre de Laurier à l'honorable Arthur J. Balfour, ancien premier ministre de la GrandeBretagne, 11 juill. 1907. II s'agit d'une lettre de recommandation pour Siegfried. Traduction des auteurs.

70. ANQ, fonds Siméon Le Sage, 87, CC9, f. 341-342 : lettre de Le Sage à Léon de Tinseau, 12 déc. 1908. Dans une autre lettre à de Tinseau, Le Sage dit, en parlant d'un article de Barrès dans le Gaulois intitulé « Le miracle canadien », que « les adversaires du traité de commerce ne manqueront pas de trouver qu'il fait mieux leur affaire que le livre Siegfried » (ANQ, fonds S. Le Sage B7, CC9, f. 350, lettre du 28 déc. 1908).

71. A. Siegfried, The Race Question in Canada, London, Eveleigh Nash, 1907, VIII-343 p.

72. Review of Historical Publications relating to Canada, t. XII, 1908, p. 137. Traduction des auteurs.

73. Review of Historical Publications relating to Canada, t. XI, 1907, p. 144-148. Traduction des auteurs.

74. The University Magazine, avril 1907. Traduction des auteurs.

75. Introduction to the Carleton Library Edition par F.H. Underhill dans A. Siegfried, The Race Question in Canada, (Toronto, McClelland and Stewart, c1966, 252 p., p. 1-13. Traduction des auteurs.

76. Carl Berger, par exemple, a insisté sur les convictions humanitaires de plusieurs impérialistes canadiens (The sense or power, Studies in the ideas of Canadian imperialism, 1867-1914, Toronto, 1970).

77. Préface de L. Groulx au livre de Jean Ménard, Xavier Marmier et le Canada..., P.U.L.. 1967, p. vii. F.H. Underhill, op. cit., p. 1.

78. L. Groulx, « Notre histoire maîtresse de fierté », Maurice Filion, sous la dir. de, Hommage à Lionel Groulx, Leméac, 1978, p. 192-3.

79. A. Yon, Le Canada français vu de France (1830-1914), P.U.L., 1975, p. 207.

80. V. Barbeau, « La Tentation du passé, Ressouvenirs », La Presse, 1977, p. 96-97.

81. F.-A. Angers, « André Siegfried et le Canada », Actualité économique, v. 1, nos 5-6, 1936, p. 363.

82. A. Laurendeau, « Lettres de Paris... », Le Devoir, 13 fév. 1937, p. 9.

83. P. de Grandpré, « Civilisation canadienne-française », L'Action nationale, v. 45, no 5, janv. 1956, p. 377.

84. F. Rinfret, « Une théorie du progrès », L'Avenir du Nord, 21 déc. 1906.

85. Tous mentionnés précédemment, sauf le Trifluvien, qui ne parle pas du livre, et la Vigie, journal libéral, qui se borne à en signaler la parution (8 sept. 1906, p. 1), ainsi que deux journaux acadiens. Le moniteur acadien et l'Évangéline n'en soufflent mot, rendant la pareille à Siegfried, dont le mutisme sur l'Acadie est étonnant. II y avait pourtant à peine 7 ans que Rameau de Saint-Père, le grand « ami » des Acadiens, était décédé. Peut-être l'Acadie ne présentait-elle pas le même intérêt pour Siegfried, protestant, républicain et moderniste, que pour Rameau, catholique et passéiste ? Pour établir la tendance des différents périodiques, nous nous sommes inspirés de l'excellent ouvrage d'André Beaulieu et Jean Hamelin, La Presse québécoise des origines à nos jours, P.U.L., 1973-77, 3 v.

86. Remarquons que, du côté canadien-anglais, les réactions publiques ne laissent entrevoir aucune prise de conscience du schéma de domination dont on vient de parler. II n'est pas surprenant, dans ces conditions, que les intellectuels canadiens-anglais de l'époque n'aient été aucunement enclins à l'autocritique. La possession tranquille de la vérité n'était pas une exclusivité québécoise.

 

* [Note de l'éditeur : Cet article, en trois parties, fut rédigé originellement pour la revue l'Action nationale, Vol. 68, No. 5 (janvier 1979) : 394-405, Vol. 68, No. 6 (février 1979) : 517-525, Vol. 68, No. 7 (mars 1979) : 587-601. Je remercie le professeur Pierre Trépanier qui a accepté que l'article soit reproduit au site d'histoire du Québec.]

 

© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College