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revised: 23 August 2000 | Siegfried:
the Race Question
ERREURS
ET PRÉJUGÉS À PROPOS D'UN LIVRE PERFIDE. OÙ
M. SIEGFRIED SE TROMPE, OÙ IL TOMBE JUSTE. ÉCOLES
ANGLAISES, ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. CONFLITS
SCOLAIRES. Quatrième
partie Par Raphaël
Gervais [pseudonyme de Dominique-Ceslas Gonthier]* Si
longue qu'elle ait été, ma causerie d'octobre n'a pu finir les quelques rectifications
de première importance que suggèrent les affirmations et les jugements de M. Siegfried
sur les choses et les hommes de notre pays. Encore quelques réflexions, les dernières
s'il se peut, sur quelques points d'histoire et de doctrine qu'il ne faut pas
laisser embrouiller à plaisir. M.
Siegfried termine ainsi son étude sur les écoles canadiennes
Nous sommes maintenant
en mesure de comparer, dans leur esprit, les écoles des deux races. Elles ont
un point commun, mais un seul: toutes deux sont nationales, c'est-à-dire que l'une
vise à faire des Canadiens français, l'autre des Canadiens anglais. Tant que les
deux races représenteront deux courants distincts, refusant de se confondre, il
est à prévoir que toutes les tentatives qui seront faites pour créer un enseignement
public mixte échoueront. Toutes
deux aussi ont des préoccupations religieuses. Mais ici, l'analogie apparente
recouvre une différence profonde. L'école anglaise n'est pas vraiment confessionnelle,
tandis que l'école française l'est pleinement. Précisons le contraste. Tout d'abord
- fait essentiel - l'enseignement public anglais n'est, ni officiellement, ni
en fait, entre les mains d'un clergé. Des pasteurs, individuellement, peuvent
à certaines heures pénétrer dans les classes, mais leur titre ne leur donne aucun
privilège, aucune place dans la hiérarchie scolaire. Ils ne sont pour le pouvoir
civil ni des rivaux, ni des adversaires. S'il peut donc être exact de représenter
l'Etat anglo-saxon comme imprégné de protestantisme, il est faux de le montrer
comme conduit par des pasteurs. Nous avons vu qu'il n'en est pas de même dans
la province de Québec où, de par la loi, les évêques exercent sur l'enseignement
une haute surveillance. Il
en résulte que (la question de races dont nous connaissons l'importance mise à
part) l'école publique anglaise a un tout autre caractère que l'école catholique.
Les inspirateurs de cette dernière sont dominés par des soucis religieux; s'il
leur fallait choisir entre la science et la religion, il n'est pas sûr qu'ils
préféreraient la science. Sans prétendre que les inspirateurs de l'école anglaise
ont acquis à l'égard de la science une entière impartialité, ce qui n'est pas,
on peut affirmer cependant qu'ils ont des conditions de la connaissance une conception
plus libérale que le clergé romain. Là est la véritable différence des deux enseignements,
français et anglais, au Canada. Tout
cela, est d'un pauvre esprit qui ne va au fond de rien, tout en se donnant des
airs de sérieux et de profondeur. Il eut été plus clair et plus juste de dire
d'un mot: « La grande différence des écoles anglaises et françaises, c'est que
les unes sont protestantes et les autres sont catholiques. » C'est tout ce qui
reste de cette longue citation. L'école
anglaise au Canada n'est pas confessionnelle, précisément parce qu'elle est protestante.
Le protestantisme est la négation de toute autorité en matière de foi, et ne peut
imposer à qui que ce soit ni un credo ni un dogme quelconque. Comment pourrait-il
créer des écoles confessionnelles où l'on enseignerait d'office des dogmes qu'il
faut croire et un symbole qu'il faut professer? M. Siegfried serait bien habile
de nous dire ce que c'est au juste aujourd'hui qu'une confession protestante,
et quelles sont les vérités essentielles qui s'imposent à tous les membres d'une
même confession. L'école ne peut pas être plus confessionnelle que le temple où
l'on se contente en général de tenir « des propos honnêtes » qui ne heurtent les
opinions de personne. Le prédicateur protestant n'est pas un homme que Jésus-Christ
ou un dépositaire authentique de pouvoir envoie pour enseigner en son nom toute
vérité que l'on droit croire et tout devoir que l'on doit pratiquer : c'est un
homme de tenue correcte et d'instruction suffisante que l'on paie pour tenir tous
les dimanches des discours qui traduisent le plus agréablement possible à ses
auditeurs leurs propres sentiments et leurs propres pensées. Il ne lui a pas été
dit : « Allez et prêchez : qui vous croira sera sauvé, qui ne vous croira pas
sera condamné. » Mais plutôt: « Dites-nous des choses qui nous plaisent, ou nous
nous en irons, ou nous vous chasserons et nous ne vous paierons pas. » De
quel droit donc le pasteur protestant, qui n'a aucune autorité doctrinale dans
la chaire où il prêche tous les dimanches, en revendiquerait-il une dans l'école
où son ministère n'a aucune fonction à remplir? L'instituteur est l'égal du ministre,
voire même au-dessus de lui, dès qu'il est agréé par les parents ; car il représente
leur autorité et l'exerce, tandis que le ministre ne représente que lui-même,
c'est-à-dire, en science et en vertu, une valeur quelconque variable avec les
individus, en autorité doctrinale et morale, rien du tout. Ce
caractère de neutralité doctrinale des écoles anglaises n'est pas le fait de l'esprit
anglo-saxon, ut sic, mais de l'esprit protestant. Il n'y a pas d'autorité
doctrinale dans le protestantisme : ce n'est pas merveille qu'elle n'ait rien
à voir dans les écoles protestantes. A ce point de vue comme à bien d'autres,
les pères de famille, les instituteurs et l'Etat lui-même sont ecclésiastiques
autant que les ministres ou pasteurs, sinon plus. Même les écoles protestantes,
pour les enfants d'une même confession, ne peuvent faire la part très large à
l'enseignement religieux, parce que les croyances varient d'une famille à l'autre
et souvent d'un membre à l'autre d'une même famille, et que l'enseignement, pour
répondre aux désire communs des familles, doit se réduire à un certain nombre
de pratiques généralement en usage, en précisant le moins possible les principes
et les doctrines d'un christianisme que chacun refait a sa guise. Mais
les écoles protestantes ne peuvent pas pratiquement être réservées aux enfants
d'une même confession - au moins dans le grand nombre des cas. Il faut que l'enseignement
donne satisfaction aux anglicans, aux presbytériens, aux méthodistes, aux baptistes
etc., qui fréquentent presque partout les mêmes écoles. De là le caractère de
l'enseignement religieux dans les écoles protestantes qui est nécessairement de
n'avoir aucun caractère confessionnel. C'est facile, puisque le protestantisme
étant essentiellement une négation et non une confession, il suffit d'en éliminer
toutes les doctrines qui sont mal vues de l'une quelconque des sectes protestantes,
et de garder ce qui est l'essence même du protestantisme, la négation de toute
autorité religieuse qui s'impose à l'esprit et à la volonté au nom de Dieu. Ce
n'est pas par amour du laïcisme au sens français du mot que les Anglo-canadiens
ont minimisé l'enseignement religieux dans leurs écoles ; c'est parce qu'ils
jugent que ce christianisme vague et indéfini qui ne sait guère ce qu'il pense
ni ce qu'il impose à ses fidèles est tout ce qu'il y a d'essentiel et de positif
dans le protestantisme, et qu'il suffit pour faire de leurs enfants des êtres
religieux, même des chrétiens. D'entreprendre d'élever par l'école publique des
animaux irréligieux, comme s'y applique la république chère à M. Siegfried, ils
n'y ont jamais songé. Bon nombre de nos protestants du sexe fort, au moins dans
les villes, se dispensent volontiers de pratiques religieuses et ne savent peut-être
pas au juste ce qu'ils croient ; mais ils ne comprennent pas qu'un homme respectable
ne se reconnaisse pas envers Dieu plus de devoirs qu'un âne ou un cheval ; ils
ne veulent de l'athéisme ni pour eux, ni pour leurs enfants. Ils arriveront peut-être
un jour à l'école irréligieuse, sinon antireligieuse, comme ils arriveront dans
la pratique à l'incroyance et à l'irreligion, par la conséquence logique et fatale
du protestantisme : ils ne désirent pas y arriver, et positivement ils voudraient
n'y arriver jamais. A ce point de vue de l'esprit ou du sentiment religieux, il
y a pour le présent, au moins dans les anciennes provinces du Canada, une grande
différence entre les écoles anglaises et les écoles américaines. Dans
Ontario, par exemple, il s'en faut que l'école publique soit intentionnellement
laïque (toujours dans le sens français); légalement même elle n'est pas protestante:
elle est essentiellement religieuse et confessionnelle, et de la religion de la
majorité des contribuables d'un même arrondissement ou d'une même municipalité
scolaire. Comme dans Québec, c'est la commission scolaire élue par les pères de
famille ou contribuables qui administre et régit les écoles et qui en détermine
le caractère religieux et confessionnel. Là où la minorité, soit catholique, soit
protestante, peut supporter ses propres écoles, distinctes des écoles de la majorité,
elle a ses écoles séparées distinctes des écoles communes, mais publiques
comme elles et comme elles subventionnées par le Département de l'Instruction
publique et soutenues par les taxes scolaires des contribuables. Dans le cas où
ni l'une ni l'autre partie d'une population mixte ne suffirait à soutenir des
écoles de sa propre confession, il faut bien recourir à un compromis, qui d'ordinaire
concilie autant qu'il est possible les intérêts religieux des parties. Si
donc l'on dit que les écoles anglaises du Canada sont plutôt laïques que les écoles
françaises, on peut avoir tort ou raison. Si par écoles laïques on entend des
écoles à tendances irréligieuses, on fait erreur. Si par écoles laïques on entend
des écoles dont les instituteurs ne sont pas religieux ou congréganistes, on dit
une naïveté. Si enfin par écoles laïques on entend des écoles qui ne sont sous
le contrôle et la surveillance d'aucun clergé, on a raison, parce qu'il n'y a
pas vraiment de clergé protestant, c'est-à-dire un corps constitué distinct et
indépendant du pouvoir civil et du peuple, et qui ait sur les uns et les autres
un pouvoir d'enseignement et de jurisdiction même spirituelle. - Ce laïcisme ressemble
au laïcisme maçonnique de là-bas, comme un chien de faïence ressemble à un chien
enragé. M. Siegfried
n'est pas plus exact quand il laisse entendre que l'école anglaise est gratuite
et obligatoire (1). Toute la gratuité des écoles anglaises d'Ontario, c'est qu'elles
sont soutenues absolument comme dans Québec par une taxe scolaire sur toutes les
propriétés, répartie par les commissions scolaires et prélevée ou perçue par les
municipalités. La seule différence, c'est que là où le revenu des taxes et la
subvention du gouvernement provincial suffisent, on ne peut légalement exiger
aucune contribution des enfants qui fréquentent l'école, soit pour l'enseignement
lui-même, soit pour les livres et « fournitures de classe. » C'est donc une instruction
gratuite payée presque totalement par les propriétaires. Il est aussi à supposer
que les subventions, assez parcimonieuses du reste, payées par le gouvernement
ontarien pour le soutien des écoles primaires ne proviennent pas de revenus qui
tombent dans sa caisse de la lune ou des étoiles; de sorte que dans Ontario comme
ailleurs l'instruction des enfants de tout le monde est payée à même le revenu
de tout le monde. C'est la seule gratuité possible et qui ait du bon sens. Oligatoire
pratiquement l'école anglaise ne l'est pas plus que l'école française au Canada.
Personne n'ignore la campagne inutile entreprise à Winnipeg l'an dernier pour
rendre l'école obligatoire dans toute la province du Manitoba. Le gouvernement
a fait la sourde oreille: et il a bien fait. Le moindre souci des agitateurs était
sûrement la diffusion de l'instruction. Mais il faut dire que les Anglais mettent
du zèle à tenir leurs écoles sur un bon pied et à y envoyer leurs enfants : ils
n'ont pas besoin que la loi civile les y contraigne. Et, entre nous, cette contrainte
aussi inutile que vexatoire n'est tolérable que dans les pays où les familles
ont perdu le sens de leurs droits comme celui de leurs devoirs. Il
faut que M. Siegfried en fasse son deuil: l'école protestante, quoi qu'il imagine,
au Canada n'est pas encore laïque, gratuite et obligatoire et ne tend pas encore
à le devenir. Elle le deviendra peut-être fatalement, au moins dans les provinces
nouvelles où les nôtres ont enterré de leurs mains les droits de leur religion
et de leur race, mais sans que le grand nombre des Anglo-canadiens l'aient désiré
et voulu. On le voit,
il y a dans tout ce chapitre (2), comme dans tant d'autres du même ouvrage, bien
des incertitudes et un mélange de vrai et de faux si étroitement tissés ensemble
qu'il est à peu près impossible de tirer l'un sans l'autre. Le dernier
paragraphe à lui seul en résume l'esprit.
Les iuspirateurs [sic] de cette
dernière, (l'école catholique), sont dominés par des soucis religieux: s'il leur
fallait choisir entre la science et la religion, il n'est pas sûr qu'ils préféreraient
la science. Mettons
les choses au point. Les inspirateurs de l'école catholique, c'est-à-dire et les
commissions scolaires qui en ont l'administration, et les instituteurs et institutrices
qui la dirigent, et les inspecteurs qui la visitent et la surveillent, et le pouvoir
civil qui la subventionne en partie, et le Conseil de l'Instruction Publique qui
en a la haute surveillance, et les parents qui y envoient leurs enfants, sont
dominés par le souci de faire de ceux qui la fréquentent des chrétiens convaincus
et éclairés, afin d'en faire des citoyens honnêtes avant tout et des hommes de
bonnes moeurs qui sont la première richesse et la plus grande force d'un pays.
Leur principal souci est de faire de l'instruction à l'école primaire surtout
un moyen d'éducation. Et comme la science maçonnique ne leur a pas encore fait
perdre le bon sens, ils savent qu'il n'y a pas d'éducation sans morale, ni de
morale sans religien [sic] : c'est pourquoi ils tiennent à la religion avant tout
- non à la place de tout - parce que tout ce qui amoindrit l'influence chrétienne
nuit à la formation de la conscience et des moeurs de l'enfant. Que
veut dire M. Siegfried que « s'il nous fallait choisir entre la science et la
religion, il n'est pas sûr que nous préférerions la science ? » De
quelle science entend-il parler? Et comment la science vient-elle en conflit avec
la religion dans l'école primaire ? Dans quelle école catholique met-on aux mains
des enfants un catéchisme au lieu d'une arithmétique pour leur apprendre à compter
? Le Conseil de l'Instruction publique a-t-il jamais demandé qu'on substitue un
livre de piété à la grammaire pour enseigner les lois du langage ? Même dans les
écoles catholiques de Montréal fait-on lire aux enfants l'histoire et la géographie
dans le gros formulaire de prières que M. G. Langlois porte à la messe tous les
dimanches en temps d'élection ? Dans l'école catholique la science et la religion
ont la place légitime qu'elles doivent avoir dans toute la vie de ceux qui y sont
élevés, et elles s'entraident au lieu de se combattre et de se jalouser. Veut-on
insinuer que la science est incompatible avec la religion, et la religion ennemie
de la vraie science ? Ce serait une ânerie maçonnique acceptable seulement à ceux
qui ont peu de science et pas de religion. La vraie science et la vraie religion
sont deux rayons de la même vérité divine dans l'âme humaine, et ces deux lumières
n'y peuvent jamais faire d'ombre ni d'obscurité. La science fausse et la religion
mal entendue peuvent se combattre et s'exclure mutuellement parce qu'elles ne
sont plus science ni religion. Pour nous catholiques, qui ne voulons que de la
science vraie et que de la religion incontestablement divine, nous n'aurons jamais
à choisir entre la science et la religion ; nous tiendrons toujours à la religion
avant tout, parcequ'elle [sic] est le plus grand bien et le plus nécessaire à
l'homme et à la société pour ce monde-ci comme pour l'autre, et à la vraie science,
que nous estimons l'un des plus grands biens d'ici-bas. Que
veut dire encore notre philosophe lorsqu'il prétend que les inspirateurs de l'école
anglaise, « sans avoir acquis à l'égard de la science une entière impartialité,
ont des conditions de la connaissance une conception plus libérale que le clergé
romain? » Quelle est
donc cette impartialité à l'égard de la science, la vraie science je suppose,
la seule qui mérite ce nom, à laquelle les Anglais ne sont pas encore arrivés
et à laquelle nous catholiques romains, de par M. Siegfried, nous n'arriverons
sans doute jamais ? L'impartialité pour la science, est-ce l'indifférence? Est-ce
la justice ? Si c'est l'indifférence, quel être intelligent et moral peut l'avoir
pour la science, qu'elle soit vraie ou fausse ? En supposant que, nous catholiques,
nous sommes encore des êtres intelligents et moraux, - et les catholiques canadiens
n'ont pas prouvé à M. Siegfried qu'ils le sont moins que leurs cousins émancipés
de toute foi et de toute religion, - comment serons-nous indifférents pour la
science? Comment le prêtre catholique surtout, qui n'a d'autre ambition pour sa
vie que d'élever les âmes et de les sauver, pourra-t-il rester indifférent envers
la vraie science qui les élève et les ennoblit ou envers la fausse science qui
les égare et les perd ? La science, personne ne l'aime plus que nous, quand elle
est vraie, quand elle cherche droitement la vérité et l'enseigne sans mélange
d'erreurs et d'opinions incertaines ou peu sérieuses. Mais personne ne la dénonce
plus que nous et ne la combat avec plus d'acharnement, lorsqu'au lieu d'éclairer
les esprits de la seule lumière qu'elle peut leur donner, elle se fait l'apôtre
de tous les préjugés et de toutes les passions contre la vérité qu'elle ne veut
pas connaître ou qu'elle ne peut pas comprendre. Est-ce de l'injustice? N'est-ce
pas la véritable impartialité? Sans
doute, nos concitoyens anglais protestants sont suspects de partialité contre
la science parce qu'ils n'admettent pas encore que la première condition pour
apprendre quelque chose c'est de ne rien croire. Mais au moins ils n'ont pas comme
nous une règle de foi qui commande l'assentiment libre de toute leur intelligence
à toutes les vérités surnaturelles, et c'est pourquoi on leur fait compliment
« qu'ils ont des conditions de la connaissance une conception plus libérale que
le clergé romain. » «
Ces conditions de la connaissance » pour parler le jargon philosophique de M.
Siegfried, quelles sont-elles d'après lui ? Y en a-t-il de nouvelles vraiment
depuis que l'esprit humain est laïcisé ? Quelle est la conception libérale des
conditions de la connaissance ? Quelle est la conception moins libérale des conditions
de la connaissance qu'ont nos concitoyens anglais non encore laïcistes ? Quelle
est la conception tout à fait anti-libérale des conditions de la connaissance
qui est celle, paraît-il, du clergé romain? Quelle est la conception libérale
des conditions de la connaissance nécessaire pour connaître les mathématiques?
Quelle est la conception libérale nécessaire, et que nous catholiques romains
n'avons pas, pour connaître la physique, la chimie, la géographie et toutes ces
sciences humaines dans lesquelles les nôtres, même dans la France laïcisée, n'arrivent
pas toujours les derniers ? M. Rinfret (3) seul pourrait le dire ou peut-être
quelqu'autre penseur de l'école jéromienne. ********** Le
chapitre XIII de M. Siegfried sur l'enseignement secondaire et supérieur mériterait
une étude particulière, que je n'ai pas le temps de faire complète. Il est aussi
superficiel et inexact que ceux qu'il a consacrés à l'enseignement primaire ;
il est surtout injuste à, force d'être incomplet. D'abord
il n'est nullement question dans le chapitre des couvents ou pensionnats de jeunes
filles, qui ne laissent pas d'avoir un certain mérite même aux yeux des étrangers
(4). Je ne vois pas vraiment quelles institutions protestantes et anglaises on
pourrait leur opposer et leur préférer. Mais des religieuses et des congréganistes
peuvent-elles faire oeuvre qui vaille mention en ce vingtième siècle ? Il
est bien question de l'enseignement secondaire commercial que l'on mentionne pour
laisser croire ensuite qu'il n'existe pas, parce qu'il n'est pas la préoccupation
des petits séminaires et des universités. Pourtant il y a des institutions catholiques
de langue française où l'on donne un enseignement commercial que les Anglais eux-mêmes
ne méprisent pas. J'en pourrais citer une dans la ville de Montréal, qui reçoit
deux cents jeunes gens de nos meilleures familles canadiennes, et qui ne craint
pas de les présenter à l'examen des professeurs anglais ou français des universités.
L'épreuve jusqu'ici n'a pas tourné à sa confusion. II y en a bien d'autres tenues
sur un moins haut ton, peut-être, où l'enseignement commercial secondaire précède
le cours classique et y prépare, ou qui donnent un cours exclusivement commercial.
Les passer absolument sous silence n'est pas rendre justice. Un
homme compétent et sans préjugé, qui voudrait s'enquérir sérieusement de la valeur
de notre enseignement commercial, apprendrait facilement que nombre de nos jeunes
gens n'ont nullement besoin de passer par les écoles commerciales anglaises et
protestantes pour se placer avantageusement dans le haut commerce et dans les
banques. Cela pouvait être vrai il y a quelque vingt ou trente ans, cela n'est
plus même vraisemblable. Il reste seulement qu'en pays mixte comme le nôtre, où
l'anglais est de première importance pour les relations d'affaires, l'enseignement
dans une institution de langue anglaise peut dans certains cas donner aux jeunes
gens certaines facilités, que contrebalancent bien des inconvénients. On commence
à le comprendre dans des milieux intelligents et bien informés. Tout
cela n'empêche pas de reconnaître à nos concitoyens de langue anglaise une certaine
supériorité dans le commerce et l'industrie, qui n'est pas la preuve d'un enseignement
supérieur, mais d'une aptitude spéciale de la race et d'une mise plus considérable
de capitaux. Pour faire de l'argent il faut de l'intelligence et de l'instruction,
c'est incontestable, mais il faut surtout du travail et de l'argent. Ce qui manque
aux nôtres ce n'est sûrement pas l'intelligence, ni l'instruction ; c'est beaucoup
le travail et encore plus les capitaux. Au
pays français, dit M. Siegfried, l'Etat n'a fait aucun effort pour prendre lui-même
la direction de l'enseignement secondaire. Il s'est entièrement reposé de cette
charge sur l'Eglise catholique, qui l'a d'autant plus volontiers assumée qu'elle
la considère comme une de ses fonctions naturelles. C'est même sans doute du plus
mauvais oeil qu'elle verrait aujourd'hui le pouvoir civil s'immiscer dans une
oeuvre qui, pense-t-elle, lui revient de droit. Que
l'Etat chez nous n'ait point cherché à prendre la direction de l'enseignement
secondaire, ça n'a été ni incurie, ni abdication de ses droits et de ses devoirs.
Le « pays français » ne se gouverne lui-même en pleine liberté que depuis quarante
ans. Jusque-là il a été gouverné et souvent exploité par un pouvoir dont ses vrais
intérêts n'ont pas été la principale préoccupation. C'est à peine si, au prix
de bien des luttes, il a pu obtenir qu'une part de ses revenus légitimes fût légalement
attribuée à ses principaux services publics. Plus que tout autre celui de l'instruction
publique avait dû souffrir de l'arbitraire et de l'injustice d'un pouvoir, qui
redoutait par-dessus tout la prépondérance au Canada de l'influence catholique
et française et n'a cessé de poursuivre, tantôt par la violence et la tyrannie,
tantôt par la ruse et presque toujours par l'arbitraire et l'injustice, l'unification
du pays par l'anglicisation. Vraiment, jusqu'à la constitution de la province
actuelle de Québec, nos hommes politiques au pouvoir ou dans l'opposition ont
eu autre chose à faire que d'organiser l'enseignement secondaire et d'en prendre
la direction. Et depuis
quarante ans? Depuis quarante ans l'Etat est allé, comme c'était son devoir, au
plus pressé. Sans prétendre qu'il ait toujours tiré tout le parti possible des
maigres ressources mises à sa disposition par la constitution, il est juste de
reconnaître que tous les gouvernements de la province ont travaillé avec persévérance
et succès au progrès de l'instruction publique dans la Province. Ils ont commencé
comme ils le devaient par organiser l'enseignement primaire, autant que le permettaient
les ressources du trésor provincial. L'enseignement primaire est le besoin du
peuple tout entier et de toutes les classes : c'est celui auquel doit d'abord
et avant tout subvenir le trésor public. L'enseignement secondaire et supérieur,
pour n'être pas moins nécessaire à la prospérité d'un pays, a cependant moins
besoin de l'assistance de l'Etat, soit parce qu'il n'est pas également nécessaire
à toutes les classes de la société, soit parce qu'il est destiné aux enfants de
certaines classes de la société privilégiées de fortune ou d'influence. C'est
pourquoi l'Etat a dû laisser - non pas à l'Eglise, - mais à des institutions libres
constituées en corporations civiles, le soin de donner aux enfants des classes
dirigeantes, ou qu'on destine à en faire partie, l'enseignement secondaire et
supérieur. Il n'y a jamais
eu pacte tacite ou explicite entre l'Eglise et l'Etat, et celui-ci ne s'est jamais
déchargé sur celle-là du soin de donner à qui le demande l'enseignement secondaire
et supérieur. L'Etat s'étant trouvé dans l'impossibilité d'y pourvoir lui-même,
et l'ayant trouvé déjà suffisamment organisé pour les besoins pressants du pays,
s'est contenté d'encourager l'enseignement secondaire de fois à autre par de maigres
subventions qui ne grevaient pas son budget, et n'a rien fait - ou si peu que
rien - pour l'enseignement supérieur. Notons
aussi, pour être exact, que l'Eglise a organisé l'enseignement secondaire au Canada
avant tout pour elle-même, pour son propre recrutement et le fonctionnement de
sa hiérarchie et de ses oeuvres. C'est l'exception parmi les collèges classiques
de Québec qui sont uniquement collèges et non avant tout séminaires. Mais comme
l'Eglise ne se désintéresse jamais du bien des peuples, en travaillant pour elle-même
elle a pourvu aux besoins pressants du peuple, surtout des classes dirigeantes.
Elle a de fait élevé toute la classe dirigeante de notre pays, avocats, médecins,
notaires, politiciens, et quoi qu'en disent quelques-uns qui prétendent que rien
n'est bien fait qui se fait par l'Eglise, cette classe n'est pas absolument ignorante
et mal élevée. Si l'Etat
ne se presse pas de prendre à sa charge l'enseignement secondaire et supérieur,
et s'il ne se croit pas tenu de former lui-même sous sa direction et à ses dépens
tous les membres des carrières libérales, c'est d'abord que l'opinion - celle
des gens sages et réfléchis - ne le réclame pas ; c'est ensuite qu'il n'a pas
les ressources nécessaires en hommes et en argent ; c'est enfin qu'avec même d'immenses
ressources il ne serait pas sûr d'arriver à de meilleurs résultats pour le bien
du pays. L'Eglise n'a
pas les jalousies et les susceptibilités que lui prête M. Siegfried. Elle n'a
pas boudé les écoles normales lorsque l'Etat les a instituées et subventionnées
en grande partie avec des biens d'origine ecclésiastique. Elle boudera encore
moins et ne regardera pas d'un mauvais oeil toute institution d'enseignement spécial
ou technique tenue par des laïcs aux frais du gouvernement, pourvu que la foi
et les moeurs de ses enfants n'y soient pas en péril. Seulement elle prétend bien
être maîtresse chez elle. Les institutions qu'elle seule a fondées et qu'elle
seule a maintenues, elle en gardera la direction et les régira comme elle l'entendra
: ceux qui n'en seront point satisfaits pour eux-mêmes et pour leurs enfants n'auront
qu'à en faire de meilleures. On
reproche à l'Université-Laval de ne pas préparer les jeunes gens à l'industrie
et aux affaires. C'est qu'elle est faite pour toute autre chose. Ce quelle veut
faire et ce qu'elle doit faire elle le fait bien. Que veut-on de plus? Organise-t-on
une faculté de droit pour faire des classes d'affaires ? ou une faculté de médecine
pour donner des cours de sciences applicables à l'industrie ? Que
le gouvernement s'entende avec les universités pour créer et soutenir, s'il les
croit nécessaires, ces cours gratuits ou non ; qui l'en empêche ? Mais qui peut
sensément demander à des universités libres et qui ne reçoivent à peu près rien
de l'Etat d'en faire les frais? ********** Je
ne referais pas absolument comme M. Siegfried l'histoire des conflits scolaires
de l'Ouest, bien qu'il en ait parfaitement saisi la cause et la portée. L'heure
n'est pas venue de refaire cette histoire. Elle sera écrite en son temps et elle
dira où se sont trouvés dans cette lutte les vrais serviteurs du droit et de leur
pays. Il faut finir. Le
lecteur étranger trouvera des renseignements plus sûrs et en général des jugements
moins contestables dans les trois dernières parties du livre de M. Siegfried :
ce sont celles-là qui lui donnent de la valeur, et les quatre chapitres qui terminent
la première, « les sentiments nationaux. » Ils faut amèrement regretter le bon
livre qu'eut pu faire l'auteur s'il était « venu sur les bords da Saint-Laurent
non en partisan et en sectaire, mais en Français au sens large du mot (5). » (1)
- « Ajoutons enfin que l'école est gratuite et obligatoire, » p. 99. (2)
- Le XIe du livre, (3)
- Ce jeune homme me reproche amèrement de l'avoir traité de libre-penseur et de
franc-maçon, à propos sans doute d'une note de ma causerie de septembre qu'il
n'a pas comprise. Je savais bien, puisque je l'ai cité, qu'il ne sait pas écrire
; je croyais au moins qu'il savait lire. Sans être aussi charitable que lui, je
l'ai été jusqu'à l'illusion. (4)
- Voir en particulier un article de M. Arnould dans le Correspondant du
25 octobre dernier. (5)
- p. 143. * Le
père Pierre-Théophile-Dominique-Ceslas Gonthier est né en 1853 à Saint-Gervais,
comté de Bellechasse, Québec. Après des études à Québec, il entra chez les pères
Dominicains à Abbeville dans le département de la Somme, en France, en 1874. Il
y poursuivit ses études en théologie pendant cinq ans. Reçu à la prêtrise en 1879,
il retourna au Québec. Il fut successivement missionnaire à St. Hyacinthe (1879-85),
curé d'une paroisse à Ottawa et supérieur du couvent dominicain (1885-94), missionnaire
auprès des Franco-Américains à Fall River (1895-1897), puis professeur de théologie,
prieur et maître des novices au monastère dominicain de St. Hyacinthe. Il rédigea
de nombreux articles pour la revue La Nouvelle-France. La plupart de ses
écrits furent rédigés sous un pseudonyme. Il décéda en 1917.
Source:
Raphaël Gervais, pseudonyme de Dominique-Ceslas Gonthier, « Erreurs et préjugés.
À propos d'un livre perfide. - Où M. Siegfried se trompe, où il tombe juste. -
Écoles anglaises, enseignement supérieur. - Conflits scolaires. » dans La Nouvelle-France.
Revue des intérêts religieux et nationaux du Canada français, Vol. 5, No 11
(novembre 1906): 544-555. ©
2000 Claude Bélanger, Marianopolis College |