Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

La loi du cadenas

The Padlock Law

 

La loi du cadenas est-elle constitutionnelle?

[1939]

 

[Cet article a été écrit par Édouard LAURENT. Pour la référence exacte, voir la fin du document.]  

Un bon nombre de pays du monde ont pris des mesures très énergiques à l'égard du communisme. Les uns ont interdit complètement le parti communiste et ses organisations affiliées, les autres se sont contentés de promulguer des lois spéciales pour se garantir des effets de son action révolutionnaire. On trouve dans les pays de la première catégorie l'Allemagne, l'Italie, le Japon, le Portugal, la Hongrie, la Finlande, la Bulgarie, la Yougoslavie, l'Esthonie [sic], la Grèce, la Pologne, la Roumanie, la Turquie, le Brésil, l'Argen­tine, le Chili, etc. Un plus grand nombre encore, parmi lesquels nous trouvons l'Angleterre, se sont contentés de mesures pour se garantir des effets de son action révolutionnaire.

 

« La Grande-Bretagne, où le sens pratique corrige les excès d'un doctrinarisme rigide, a la possibilité de trouver dans son arsenal législatif, ancien et divers, des armes efficaces pour combattre les atteintes à l'ordre établi.

 

« Le Treason act de 1351, le Seditious libel, le Foreign Enlistment act de 1870, l'Official Secrets act de 1911 et 1920, ont été renforcés récemment par le Incitement to disaffection act du 16 novembre visant les troubles provoqués par des associations politiques paramilitaires comme les groupes armés communistes (1). »

 

La loi sur la propagande communiste, dite Loi du cadenas, passée par le gouvernement de la province de Québec, n'est donc pas une loi exceptionnelle. L'Etat non seulement peut mais doit protéger le bien-être et la prospérité matérielle de tous les citoyens, en prenant des mesures sévères contre tous ceux qui veulent renverser, par la violence, l'ordre établi. C'est là l'un des premiers devoirs de l'autorité chargée du bien commun de tous les citoyens. Sur cette question qui dépasse les cadres de notre travail, on consultera avec profit les lettres et allocutions de nos évêques, ainsi que les nombreux travaux déjà présentés par l'Ecole Sociale Populaire.

 

D'un bout à l'autre du pays, les arguments les plus variés ont été apportés contre la Loi du cadenas. Cependant, à travers ces arguments de toutes les nuances et de tous les ordres, il en est un qui revient plus souvent que tous les autres et c'est celui qui attaque la constitutionnalité de la loi. Ce n'est pas notre intention de décider la question, les tribunaux sont seuls compétents en la matière. Toutefois, sans porter de jugement définitif, nous voulons fournir à ceux qui s'intéressent aux questions sociales quelques arguments d'ordre juridique qui semblent établir d'une façon définitive la thèse de la constitutionnalité de cette loi contre la propagande commu­niste.

 

Il est permis de croire que les avocats de Lessard et de Drouin ont invoqué, au cours du procès devant les Assises, leurs meilleurs arguments pour tenter d'établir l'inconstitutionnalité de la loi. Leur thèse a été réfutée d'une façon remarquable par Me Antoine Rivard, C. R., l'un des procureurs du ministère public, les arguments du plaidoyer en droit de Me Rivard sont les plus forts qu'on ait donnés jusqu'ici pour soutenir que la Loi du cadenas est constitutionnelle. Nous nous contenterons seulement de donner les prin­cipaux arguments de Mo Rivard.

 

a) Les deux arguments des adversaires de la loi

Les avocats de Lessard et de Drouin ont tenté d'établir que la Loi du cadenas adoptée par la Législature de Québec et sanctionnée le 24 mars 1937 était inconstitutionnelle pour deux raisons: l'objet de la loi dépasse les pouvoirs législatifs des gouvernements provinciaux; la loi expose un citoyen britannique à être privé de ses droits sans procès.

 

Au soutien du premier argument, les avocats ont prétendu que la Loi du cadenas créait une nouvelle offense criminelle et comme l'Acte de l'Amérique britannique du Nord laisse au pouvoir central le pouvoir de légiférer en matière criminelle, il était facile de conclure que la loi est anticonstitutionnelle.

 

Pour le second argument, les avocats sont allés chercher une disposition de la Grande Charte de Jean sans Terre et ils ont soumis qu'aucun citoyen britannique ne pouvait être privé de sa liberté et de l'usage de ses biens sans jugement. Ils ont conclu que la Loi du cadenas venait en contravention avec cette disposition de la Grande Charte et qu'elle devait être déclarée ultra vires, parce que la Législature avait porté atteinte à la liberté des citoyens, domaine également réservé au pouvoir central en vertu de l'A. B. N.

 

b) Réfutation du premier argument

 

Il y a deux parties bien distinctes dans la Loi du cadenas. La première partie ne fait que toucher à l'exercice du droit civil de propriété et dans le but de protéger l'ordre public, elle défend à un propriétaire de se servir de sa maison pour y faire de la propagande communiste. La seconde partie édicte que toute personne trouvée coupable d'avoir distribué de la propagande communiste pourra être condamnée à la prison. Cette offense n'est pas créée en vertu du Code criminel, qui relève du gouvernement fédéral, mais en vertu de la loi des convictions sommaires de Québec.

 

Personne ne conteste aux provinces le droit de réglementer l'exercice des droits civils, puisque l'A. B. N. leur donne une juridiction claire en la matière. Les provinces ont de plus le droit de légiférer, et c'est le but de la Loi des convictions sommaires, pour supprimer les conditions destinées à favoriser le développement du crime. Le Code criminel se limite à définir les crimes et à édicter les punitions.

 

Par la Loi du cadenas, le gouvernement provincial n'a fait que coopérer dans la mesure extrême de sa juridiction avec le pouvoir central dans le but d'empêcher ou de prévenir un crime prévu aux articles 221 et 222 du Code criminel, celui de nuisance publique. Tous les gens sensés sont unanimes à déclarer que la propagande communiste est une source d'ennuis et de troubles pour les autorités et pour l'ordre public. Autant d'offenses qui peuvent se ranger sous la définition de nuisance publique. « Une nuisance publique, dit l'article 221 du Code criminel, est un acte illégal ou l'omission de remplir un devoir légal, lequel acte ou laquelle omission a pour effet de mettre en danger la vie des gens, la sûreté, la salubrité, les biens ou le bien-être du public, ou qui a pour effet de gêner ou d'entraver le public dans l'exercice ou la jouissance d'un droit commun à tous les sujets de Sa Majesté. »

 

En conclusion, le gouvernement provincial n'a pas créé de nou­velle offense criminelle, mais il n'a fait que légiférer pour empêcher le propagation d'un crime prévu par le Code criminel. En plus, le gouvernement n'a fait que statuer sur l'exercice des droits civils, en ordonnant la fermeture de toute maison où sont gardés des documents de propagande communiste. Ainsi la Loi du cadenas reste dans les limites des pouvoirs conférés aux Législatures, et est constitutionnelle.

Deux décisions intéressantes des tribunaux

 

La Loi du cadenas a une analogie assez frappante avec deux autres lois provinciales qui ont été soumises aux tribunaux. La première a été adoptée par la Législature de la province de Québec et la seconde par celle du Nouveau-Brunswick.

 

La Cour suprême du Canada a déclaré constitutionnelle une loi passée en février 1920 par la Législature de Québec, au sujet des maisons de désordre. (Bédard vs Dawson, Cour suprême, 40 C. C., page 404.) Cette loi déclarait qu'il est illégal pour un propriétaire ou un locataire de maison de l'utiliser ou de permettre à quelqu'un d'en faire usage comme maison de désordre. La loi prévoit également, si le propriétaire ou le locataire ne veut pas se conformer à la loi, les procédures nécessaires pour la fermeture de cette maison. Le jugement de la Cour suprême, en marge de cette loi, déclare: « A provincial act permitting the issue of an injunction to close a disorderly house for a fixed period following a criminal conviction for the keeping, is not a legislation adding a penalty to the keeping, is not a legislation adding a penalty to those already provided by Criminal Code, but is legislation within competence as dealing with property and civil rights. »

 

Cette loi, identique sous bien des rapports à la Loi du cadenas, est constitutionnelle, parce qu'elle ne fait que régler l'exercice du droit civil de propriété. Elle ne crée pas de nouvelle offense criminelle et le but évident de la loi est de mettre un frein à la croissance des crimes prévus aux articles 228 et suivants du Code criminel.

 

En 1936, la Législature du Nouveau-Brunswick a passé une loi pour déclarer la confiscation de ce que l'on appelle les slot-machines. Les propriétaires de ces machines peuvent être condamnés en vertu du Code criminel, parce que ces instruments servent aux jeux de hasard. La loi de la Législature paraissait ajouter une peine à la peine déjà édictée par le Code criminel, car elle déclarait que ces instruments ne pouvaient être l'objet du droit de propriété. Les adversaires de la loi soutenaient que cette législation empiétait sur les droits du fédéral parce qu'elle ajoutait une punition à celle du Code criminel.

 

Cette loi fut soumise à la Cour suprême. (Rex vs Lane, 67 C. C., page 273.) Les juges déclarèrent la loi constitutionnelle et voici la raison de leur jugement: « It is within the constitutional powers of the province, under the « property and civil rights », clause of the B. N. A. Act, to enact legislation for the suppression of slot machines by providing for their seizure and confiscation to the Crown, and such statute is no encroachement upon the exclusive power of the Dominion Parliament to legislate on a criminal law ». »

 

Cette décision, comme la précédente, nous permet de soutenir que la Loi du cadenas est constitutionnelle.

 

c) Réfutation du second argument

 

La Grande Charte édicte que nul homme libre ne peut être emprisonné ou exilé ou bien privé de son loyer sans un jugement légal de ses pairs. Il y a ici deux cas à considérer: celui où l'inculpé serait privé de sa liberté et celui où il serait privé de son loyer.

 

Premier cas

 

L'article 12 de la Loi du cadenas déclare qu'a il est illégal d'imprimer, de publier de quelque façon que ce soit ou de distribuer dans la province un journal, une revue, un pamphlet, une circulaire, un document ou un écrit quelconque propageant ou tendant à propager le communisme ou le bolchévisme ».

 

L'article 13 déclare que « quiconque commet une infraction à l'article 12 ou y participe est passible d'un emprisonnement d'au moins trois mois et d'au plus douze mois, en outre des dépens de la poursuite, et à défaut du paiement des dépens, d'un emprisonnement additionnel d'un mois ».

 

C'est le seul cas prévu par la Loi du cadenas, où un individu peut être emprisonné. Et l'individu ne peut être emprisonné qu'après avoir été trouvé coupable, à la suite d'un procès en vertu de la Loi des convictions sommaires de Québec. Ce procès est présidé par un juge de la Cour des Sessions de la Paix à Montréal et à Québec et par un juge de la Cour de Magistrat dans les autres districts judiciaires.

 

Pour aucune autre raison un individu ne peut être emprisonné en vertu de cette loi. On peut conclure alors que la Loi du cadenas, au moins sur cette disposition, n'est pas contraire aux dispositions de la Grande Charte.      

 

Second cas

 

En vertu de l'article 3 de la loi, l'autorité provinciale, lorsqu'elle est convaincue qu'une maison est un lieu de propagande communiste, peut émettre un ordre pour fermer cette maison. Ici, il n'y a pas d'accusé et il n'est pas question d'emprisonnement.

 

Toutefois, si la loi ne donnait aucun recours, on pourrait dire qu'elle vient en contradiction avec les dispositions de la Grande Charte. La loi veut protéger l'ordre public et le bien-être des citoyens, mais elle ne laisse pas à l'administration publique le soin de juger en dernier ressort. Elle permet à celui qui se croirait lésé de s'adresser aux tribunaux pour faire annuler l'ordre de fermeture et de reprendre possession de sa demeure. En effet, l'article 6 de la loi déclare: « En tout temps après l'émission d'un ordre en vertu de l'article 4, le propriétaire de la maison peut, par requête présentée à un juge de la Cour Supérieure siégeant dans le district où est située la maison, faire réviser l'ordre en prouvant:

 

a) Qu'il était de bonne foi et qu'il ignorait que la maison fût employée en contravention à la présente loi; ou

b) Que cette maison n'a pas été ainsi employée durant les douze mois qui ont précédé l'émission de l'ordre. »

 

Et l'article 7: « Dans le cas du paragraphe A de l'article 6, le juge peut ordonner la suspension de l'ordre, si le propriétaire donne en faveur de la Couronne un cautionnement, que le juge détermine, garantissant que cette maison ne sera plus employée auxdites fins. »

 

En plus de ce recours d'ordre particulier prévu par la Loi du cadenas, il reste encore le recours d'ordre général prévu par le Code civil. En effet, l'article 1618 du Code civil donne au locataire, privé de la jouissance de son logement lorsque ce n'est pas sa faute, un recours contre son propriétaire pour se faire payer les dommages qu'il subit. Lorsque cette privation est attribuable à des tiers, le propriétaire peut tout simplement faire mettre en cause celui qui serait responsable de ces dommages. Rien ne l'empêche de poursuivre le gouvernement provincial, si l'ordre de fermeture a été émis injustement et sans raison.

 

On peut donc conclure que ces dispositions de la loi ne viennent pas en contravention avec les dispositions de la Grande Charte, parce qu'elles laissent au propriétaire du logement fermé les recours ordinaires de la loi. On peut d'ailleurs trouver dans nos statuts deux lois qui se rapprochent sensiblement de ces dispositions de la Loi du cadenas et personne ne s'est jamais avisé d'invoquer la Grande Charte pour déclarer qu'elles étaient ultra vires.

 

C'est ainsi que la Loi de la Quarantaine permet à un officier public, dans le cas de maladie contagieuse, de fermer une résidence pour un temps plus ou moins long. C'est là une mesure d'urgence, et personne n'a jamais demandé qu'on amende la loi pour obliger cet officier à se munir d'un jugement des tribunaux. Le communisme peut facilement être assimilé à une maladie contagieuse.

 

La loi permet également à un propriétaire de faire saisir les biens de son locataire qui n'a pas payé son loyer, même avant l'obtention d'un jugement. On n'a jamais invoqué la Grande Charte contre cette disposition de notre droit. C'est une mesure d'urgence tout simplement. Le locataire peut toujours se défendre et obtenir gain de cause. C'est la même chose pour la Loi du cadenas. Une maison est fermée pour prévenir les nuisances publiques et rien n'empêche le propriétaire ou le locataire du logement fermé de porter sa cause devant les tribunaux pour obtenir justice, si une injustice est commise.

 

d) Conclusion

 

On peut donc conclure que la Loi du cadenas n'est pas un précédent dans notre législation au point de vue juridique. La nouvelle loi ne contient pas de dispositions en dehors de celles qui sont laissées aux provinces par l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Elle est donc intra vires et constitutionnelle.

 

(1)  Article de M. Frédéric Eccard, dans la Revue politique et parlementaire, cité par la Documentation catholique du 20 septembre 1938.

 

Source: Édouard LAURENT, « La loi du cadenas est-elle constitutionnelle? », dans Une enquête sur le communisme à Québec, Montréal, École Sociale Polulaire, No 303 (avril 1939): 28-32.

     

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College