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Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec
Women's Right to Vote in QuebecLe droit de vote des femmes du Québec
[Série de cinq articles publiés dans Le Devoir en 1921 par l'abbé Arthur Curotte. Pour la source exacte, voir la fin du document.]
Pour restreindre dans une certaine mesure les ambitions féminines, quelques-uns de ceux qui ont regardé d'un oeil complaisant leur naissance et leur développement, ont déclaré énergiquement: "La femme électrice oui, la femme éligible non." On croirait entendre un bienfaiteur qui rappelle à son protégé qu'il y a des bornes à l'appétit même le plus vorace, et que s'il se montre raisonnable il pourra toujours compter sur sa libéralité.
Mais, de l'autre oreille, nous entendons une protestation indignée de ces intéressantes conquérantes d'un nouveau paradis terrestre, où fleurit l'égalité des sexes. "Comment, vous enseignez que nous avons égalité de droits sociaux avec l'homme; or, l'homme peut être électeur et élu député ou sénateur, mais pas nous! Pourquoi cette amputation arbitraire d'un organe nécessaire au plein épanouissement de notre vie politique? Vous pouvez distinguer, mais non diviser ce qui est inséparable; "to be or not to be!" Ces dames sont, au moins cette fois, d'accord avec la logique; et si on veut les réduire au silence avec des arguments de convenance et d'opportunité, elles tireront de leur sacoche tous les compliments qu'on leur a prodigués et elles poseront le dilemme: "ou ils sont vrais ou ils sont faux;" si vous maintenez le témoignage que vous nous avez rendu, à savoir que dans tous les pays du monde où l'on a restitué à la femme ses droits électoraux, les actes dans lesquels elle est intervenue sont sages et réputés tels, qu'elle a voté sans nuire à l'accomplissement de ses devoirs; s'il est vrai, en particulier, que la législation sociale des pays où fonctionne le suffrage féminin convainc l'observateur même superficiel qu'il a été cause d'un grand nombre de mesures éminemment utiles à la société... oui, si tout cela reste démontré, pourquoi nous refuser le moyen de rendre notre influence sociale plus effective et donc plus bienfaisante; si par notre vote nous avons choisi de judicieux et honnêtes législateurs, nous avons puissamment contribué au sage gouvernement de l'Etat, que sera-ce quand on nous ouvrira toutes larges les portes du Parlement et du Sénat; là notre collaboration à la confection des lois, inspirées par l'unique souci du bien public, sera immédiate et prépondérante, notre opposition à toute législation douteuse ou mauvaise irrésistible; allons, une femme à la Chambre basse et haute en vaut au moins dix dans un poll de votation!" Décidément, toutes les forces même celle de la logique, vont finir par passer du côté du sexe faible, et l'argument "ad hominem" va opérer "contra hominem". Pour ne pas nous mettre dans l'obligation de nous contredire, nous préférons nier en bloc le droit d'élire et celui d'être élue, les principes invoqués vont jusque-là.
Un fait historique rappelé à propos nous mettra tous d'accord. Au siècle dernier, une coalition impie et immorale s'était formée pour faire adopter par le parlement italien la loi dissolvante du divorce modelée sur celle de France; les hommes d'Etat et les hommes d'Eglise fidèles aux traditions nationales et religieuses de leur pays privilégié appréhendèrent, un instant, le succès des ennemis de la patrie. Alors, les femmes catholiques prirent la voie du pétitionnement et arrivèrent ainsi jusqu'au pied de la tribune parlementaire; là les milliers de signatures apposées à la supplique remportèrent une victoire complète; auraient-elles obtenu semblable succès avec un déluge de discours comme ceux qui inondent l'arène parlementaire? Nous ne le croyons pas. Ceci revient à dire que nous croyons à l'influence de la femme dans le fonctionnement de l'organisme social, que nous avons besoin de son concours dans le maintien ou le relèvement du niveau moral, en un mot que le bien ne se fera pas sans elle; mais pour cela, qu'elle reste sur le terrain et dans le domaine que la Providence lui a assignés.
Nous terminons cette longue étude par la rénovation de notre profession de sentiments. Certains de nos lecteurs qui paraissent s'être fait une spécialité de chercher et de trouver des arrière-pensées à tous les écrits et à tous les discours, ont donné à notre intervention dans ce débat académique des motifs fantaisistes; nous les prions de ne pas se fatiguer l'imagination. Ceux qui nous connaissent savent que nous avons le courage de nos convictions, et, qu'à cause de ça, nous avons toujours vécu en mésintelligence avec la diplomatie; on appelle cela un caractère tout d'une pièce! La question débattue avait été déclarée ouverte et libre par un homme de haute culture et d'esprit large, un confrère a qui nous avons voué une amitié fidèle, déjà vieille de quarante années; nous avons assisté tous deux à des passes d'armes entre brillants et ardents professeurs réunis autour de la table des examens; c'est un des souvenirs les plus charmants des jour passés au pied de la chaire pontificale; n'est-il pas permis, sur le petit carré de planète que nous habitons, de rompre la monotonie déprimante de notre vie intellectuelle par la discussion courtoise d'un problème de philosophie sociale tout d'actualité? N'est-il pas même intéressant d'assister à un tournoi où les jouteurs ne brisent des lances que pour le triomphe de la vérité; est-il plus noble enjeu? Si on nous répondait non, nous aurions perdu toute confiance dans l'humanité. Mais, grâce à Dieu, s'il y a encore des juges à Berlin, il reste dans notre monde ecclésiastique et laïc des intelligences assez robustes pour lire, sans faire de la pression artérielle, une étude sérieuse de droit social sur le vote de la femme: c'est pour elles que nous avons écrit ces articles.
Retour à la page sur le vote des femmes Source : Abbé Arthur Curotte, "Le vote de la femme. Étude de droit social. Cinquième partie", dans Le Devoir, le 24 décembre, 1921, p. 1. Article transcrit par Louise-Hélène Gagnon.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |