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Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec
La loi du cadenasThe Padlock LawLa jeunesse et le communisme[1940]
[Ce texte, originellement rédigé en anglais et publié en 1939, a été écrit par Wilfrid Bovey. Pour la référence précise, voir la fin du document.] […]
On ne saurait continuer l'étude de ces organisations de jeunesses catholiques sans décrire quelque peu leurs relations avec le communisme et l'Association des Jeunes Communistes (The Young Communists League). Le parti communiste du Québec représente, en dehors des districts miniers, le district No 2 du parti communiste du Canada. Il a un comité régional et de nombreux sous-comités, et il compte, dit-on, huit cents membres, dont la moitié sont des Canadiens-Français. L'Association des Jeunes Communistes (The Young Communists League) est affiliée au parti. Elle compte très peu de Canadiens-Français et environ 20 p. 100 de ses membres sont des étudiants.
Cette association forme un rouage essentiel de l'organisation communiste. On trouve dans la brochure, intitulée Towards a Canadian People's Front, le paragraphe suivant :
Un bon nombre d'autres associations ne sont pas ouvertement communistes mais il semble que les communistes y jouent un rôle. Par exemple, le 1er avril 1938, la filiale montréalaise de la Ligue pour la Paix et la Démocratie monta une démonstration antifasciste sous les fenêtres du consulat italien de la métropole.
Un autre groupement montréalais de quelque importance était formé par les Amis de la Russie soviétique. Un ex-dirigeant de l'Internationale affirme que cette association est une ramification de la propagande communiste.
D'autres associations montréalaises, affiliées au parti communiste, ont moins d'importance, mais il existe de nombreuses associations de gens de langues étrangères et l'action communiste, toujours possible parmi elles, n'est pas sans inspirer des craintes aux autorités. On dénombre parmi ces associations, les suivantes :
Nous avons déjà eu l'occasion de noter les divergences de vues entre le Canada français et le Canada anglais en ce qui regarde la propagande communiste. Le fait est tout à fait significatif : c'est parmi la jeunesse, d'un côté comme de l'autre, que les sentiments se sont manifestés de la façon la plus sensible et, en ce qui concerne la province de Québec, la discussion a surtout été l'affaire de la jeunesse. Cela n'est pas pour en réduire l'importance et on ne pourrait commettre d'erreur plus grande que de méconnaître les manières de voir, justes ou fausses, d'hommes qui sont à l'âge de ceux qui furent jugés assez vieux pour faire la Grande Guerre. L'opposition principale du Canadien-Français au communisme est d'ordre religieux. Les protestants de langue anglaise qui négligent de reconnaître ce fait, ne peuvent pas du tout comprendre son attitude. Pour le Canada français, prôner le communisme n'est rien de plus ni rien de moins que s'attaquer au christianisme. Les descendants de ceux qui luttèrent pour leurs croyances religieuses devraient au moins ne pas refuser leur sympathie à d'autres hommes qui tiennent tout autant à leurs convictions religieuses. On trouvera une expression du sentiment catholique dans la citation suivante :
Aux yeux du Canadien-Français, il est évident que le communisme au Canada se prépare ouvertement à la guerre civile et à la guerre religieuse et pour traiter avec le communisme, il appuie sa politique sur les mesures de violence auxquelles ont recouru les gouvernements britannique et canadien pendant la guerre contre l'Allemagne et ses alliées. De même que l'on interdit le journal, Le Devoir, en 1917, de même il interdira son sol au communisme aujourd'hui.
Beaucoup d'Anglo-Canadiens, si l'on en croit l'Ontario, où le parti communiste a remporté de nombreux suffrages aux élections municipales, sont consentants à se laisser convaincre. Un certain nombre de gens de la minorité de langue anglaise du Québec n'iraient pas si loin. Ils n'aiment pas le communisme mais, prétendent-ils, ils n'ont pas à tenir compte de la condamnation du communisme par l'Église catholique, ils ont leurs droits en propre, sous l'empire de la Constitution, ils ont droit d'entendre qui ils veulent et de se former une opinion.
Au cours d'une discussion tenue pour savoir si l'on devait permettre, ou ne pas permettre, à un communiste de parler devant la McGill Union, le président du Conseil des Étudiants de l'Université McGill définit le point de vue du Conseil avec modération et sans équivoque.
Il y eut ensuite une grande et bruyante assemblée et après des heures de discussion, on en vint à la décision d'entendre les communistes — les prétendus fascistes avaient déjà eu leur tour —. Cette assemblée fut suivie d'une autre réunion d'étudiants plus nombreux encore et qui renversa la première résolution (d'entendre les communistes) mais qui n'en affirma pas moins son opposition à la "loi du cadenas".
Les communistes sincères et convaincus ont leur opinion quant à la valeur de leur travail. L'un de leurs dirigeants affirme, entre autres choses, ce qui suit :
L'objection que l'on a surtout fait valoir à l'encontre de la "loi du cadenas" est qu'elle ne permet pas le recours aux tribunaux, qui est tout autant dans la tradition canadienne-française que dans la coutume britannique. La seule personne qui peut faire révoquer l'apposition d'un cadenas à un édifice utilisé pour la propagande communiste est le propriétaire. Le locataire, dont les livres ont été saisis, ou dont la boutique a été vidée, n'a aucun recours judiciaire. Le Canadien-Français dit : "Si le locataire n'est absolument pas coupable de contravention, il peut forcer son propriétaire à poursuivre". Et il ajoute encore ceci : "Cette loi ne dépasse pas ce qui s'est fait pendant la Grande Guerre dans les cas d'urgence. Le communisme se prépare à la révolution. La révolution est un cas d'urgence". Et un vieil aphorisme de loi, toujours d'actualité, dit : "inter armis silet lex", en temps de guerre, la loi civile cède le pas. Les deux points de vue peuvent se discuter, mais telles sont les opinions du Canadien-Français.
On objecte encore l'absence, dans cette loi, d'une définition du communisme. A ceci, tout comme à ceux qui nient le danger du communisme, le Canadien-Français réplique : "Très bien, que les communistes le définissent eux-mêmes". Il se reporte au programme promulgué en 1921, d'après l'assemblée constituante du parti communiste, dans l'organe autorisé du parti :
Le même article stipule que le parti "est l'organisation de l'avant-garde révolutionnaire du prolétariat. Sa fin est de former, de diriger et d'amener la classe ouvrière du Canada à la conquête du pouvoir politique, de détruire le mécanisme de l'État bourgeois ; d'établir la dictature du prolétariat à la manière du Gouvernement soviétique ; d'abolir le système capitaliste et d'instaurer le régime communiste". A-t-il besoin d'arguments additionnels, le Canadien-Français réfère au Course of Political Instruction de Bukharin et il en cite les paragraphes suivants :
"Le parti communiste est l'aile la plus avancée, qui a le plus le sens de la lutte des classes, et la plus révolutionnaire de la classe ouvrière. Le Comintern est catégoriquement opposé à l'opinion que le prolétariat pourra parfaire sa révolution sans l'appui d'un parti indépendant en propre. Toute lutte de classe est une lutte politique. L'objet d'une telle lutte, qui se transforme inéluctablement en guerre civile, est la main mise sur le pouvoir politique... le prolétariat doit se résoudre à un soulèvement armé.
Le Canadien-Français se reporte encore au Star de Toronto, édition du 27 décembre 1928, et vous lit une interview donnée par un leader communiste :
Voilà ce que j'entends par communisme, dit le Canadien-Français, et si cette définition vous plaît, elle est à votre disposition. Enfin, il montre les événements de France et d'Espagne comme un résultat de la liberté laissée à la propagande communiste et il ajoute : "cela ne se fera pas ici".
L'aspect juridique de la question n'a pas reçu de solution. Quelques avocats croient encore que la "loi du cadenas" est inconstitutionnelle, mais un ancien juge de la Cour Suprême du Canada, à tout le moins, a affirmé qu'elle est du ressort du gouvernement de la Province (9). Ce qui est certain c'est que, à l'exception d'une quantité négligeable, la population canadienne-française de la Province, qu'elle soit pour ou contre le gouvernement — et en bonne partie, elle y est énergiquement opposée — est en faveur de la "loi du cadenas". Cela seul, ce semble, devrait disposer de l'opinion que l'adoption de cette loi a été une expression de dictature fasciste, opinion qui a été soigneusement entretenue par les adversaires de la loi. Le gouvernement central d'Ottawa paraît aussi le croire : cette législation était du ressort de la législature du Québec et il n'y a pas matière à désaveu. L'aurait-il désavouée qu'aux élections suivantes le Québec aurait voté en masse contre le parti libéral et il se peut que ces considérations électorales soient ici entrées en jeu. Enterrée ou pas, on agitera encore cette hache de guerre. Lorsque le gouvernement de Québec n'aura plus à craindre d'être taxé d'agir par contrainte, il pourra amender sa loi de façon à éviter les critiques. On peut être tout à fait sûr d'une chose, c'est qu'il ne changera jamais d'attitude dans une lutte qu'il croit engagée en faveur de la foi et des traditions occidentales contre l'athéisme et l'idéal mongols.
Le premier ministre, M. Duplessis " vous dira que la question relève de son gouvernement et non de celui d'Ottawa. La propagande communiste, ajoutera-t-il, peut jouir d'une certaine liberté ailleurs, encore que l'on en peut douter, mais cette propagande n'a que faire dans la province de Québec, où la population n'admet pas que les communistes jouissent de la liberté de parole. La constitution, dira-t-il encore, n'assure aucun droit à la liberté de parole pour les révolutionnaires. Enfin les citoyens, à qui cette loi déplait, doivent, dans les circonstances, se résigner à rester sur leur position, ils n'en peuvent mais...
Le premier contact entre la jeunesse catholique et les communistes survint pendant que s'organisait le Congrès de la Jeunesse canadienne. Dans divers centres et à Montréal notamment, on agita l'idée de tenir à Ottawa une réunion générale où serait conviée la jeunesse de tout le pays. Il n'apparut pas possible aux organisateurs de ne pas inviter les communistes. On crut donc obtenir de meilleurs résultats en ouvrant la porte à tous et, au cours de ce premier congrès, la discussion fut parfois assez chaude. Dès avant l'ouverture du second congrès, les catholiques s'étaient retirés. Ils pressentaient qu'aucune opposition venue de leur part ne pouvait empêcher les assemblées de pencher du mauvais côté.
Pendant l'automne de 1937 et l'hiver suivant, il y eut plus d'un heurt, alors que l'on essaya de tenir des assemblées en faveur du front populaire espagnol. De jeunes Canadiens-Français manifestèrent bruyamment et même, une fois, avec violence. A un certain moment, la bataille menaça entre étudiants de l'Université McGill et étudiants de l'Université de Montréal, mais le bon sens vint à la rescousse des deux camps et la guerre finit par un éclat de rire.
La jeunesse joua un rôle considérable dans les luttes politiques de 1935 et 1936, luttes dont le résultat fut de rendre le Canada français à nouveau conscient de sa vitalité et de sa puissance mais, une fois la fumée des champs de bataille dissipée et les assemblées électorales dispersées, il se trouva que la plupart des jeunes électeurs nouveaux avaient encore à chercher de quoi vivre. Le nombre des jeunes chômeurs était effroyable et comme les autres chômeurs, ils étaient, du point de vue économique et social, entraînés à la dérive. Selon les apparences, ils ne pouvaient rien pour eux-mêmes. Pouvait-on quelque chose pour les aider ?
Un grand nombre d'entre eux s'attendaient à ce que le gouvernement, qui prit le pouvoir à Québec en 1936, fît un miracle et leur procurât de l'emploi sans tarder, tout comme le prestidigitateur fait sortir un lapin d'un chapeau. Malheureusement, ces choses ne se font pas en un jour et bien que l'on ait tenté quelque chose dès que ce fut possible, à l'aide des travaux de voirie et d'autres services, il devint bientôt évident qu'il restait beaucoup à faire.
[…]
(1) The Gazette, Montréal, ed. du 2 avril 1938.
(2) Rudolph, cité dans l'Ordre nouveau, Montréal, éd. du 20 novembre 1936.
(3) L'Ordre nouveau du 20 novembre 1936.
(4) E. F. Crutchlow, McGill Daily, 17 février 1938.
(5) N.d.T. "unbounded happiness".
(6) Tim Buck, McGill Daily, 17 février 1938.
(7) N.d.T. "The organization... into".
(8) Communist, juin 1921. N.d.T. Ce texte indigeste cité par M. Bovey se lit : "The result of the Constituant Convention is the organization of the vanguard of the Canadian working class into the Communist Party of Canada, section of the Communist International, with a programme of mass action as the visible form of proleterian activity, armed insurrection, civil war as the decisive form of mass action for the destruction of the capitalist state, proletarian dictatorship in the form of soviet Power as the lever of the Communist Reconstruction of Society".
(9) L'honorable P.-B. Mignault écrivait ce qui suit à M. J.-A. Ewing, un éminent avocat qui soutint la validité de la loi.
(10) The Gazette, Montréal, éd. du 29 mars 1938.
(11) N.d.T. Ces pages ont été rédigées au printemps de 1938.
Source: Wilfrid BOVEY, "La jeunesse et le communisme", dans Les Canadiens-Français d'aujourd'hui, Montréal, Les Éditions de l'A. C.F., 1940, 416p., pp. 237-248. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |