Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Février 2011

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Le féminisme au Québec

Feminism in Québec

 

La femme et le salaire

[1935]

Parler de salaire, c’est parler de rémunération pour le travail accompli. Si cette rémunération est mathématique, on aura le salaire dans l’étroit sens ordinaire. C’est celui que nous donnerons ici au mot.

Demander si un père doit payer une fille qui, tout bonnement, s’occupe sous le regard bienveillant de sa maman, équivaut à demander si la maison doit se transformer en usine… Plus ridicule encore est la théorie émise dans certains journaux en vertu de laquelle, à la maison, les heures de travail de la maman devraient être réglementées par une nouvelle sorte de N. R. A. …! Si une mère doit limiter ses soins et sa tendresse à 30 ou 40 heures par semaine, il n’y a qu’un remède : le père devra se faire mormon, avoir des femmes qui se relayeront au foyer, tout conne les « shifts » dans les manufactures !... Non ! le cœur ignorera toujours l’étroitesse des cadres artificiels. Personne, pas même M. Roosevelt, ne peut dire au cœur : Tu aimeras 30 heures, par semaine, fidèlement… On comprend que la raison première du travail n’est pas le salaire; ce n’est qu’une nouvelle raison qui crée un droit à une subsistance que le bon père de famille procure aux siens, tout comme la Providence multiplie les moissons dans les champs du laboureur.

Il ne sera ici question que du salaire que la femme veut aller chercher au dehors, salaire qui est la rémunération d’un travail qu’elle produit pour d’autres.

D’abord, pourquoi la femme ira-t-elle chercher ailleurs ce que, normalement, elle doit attendre de son père ou de son mari ? Car, ne l’oublions pas :

« C’est par un abus néfaste et qu’il faut à tout prix faire disparaître, que les mères de famille, à cause de la modicité du salaire paternel, sont contraintes de chercher, au dehors de la maison, une occupation rémunératrice, négligeant les devoirs tout particuliers qui leur incombent, avant tout l’éducation des enfants. » (Quadragesimo Anno)

La première raison est ainsi indiquée : l’insuffisance du salaire. C’est la raison la plus sérieuse et la plus commune.

Une autre raison : besoin de gagner une vie que le père ou le mari ne peut fournir, soit qu’ils sont absents, sans emplois ou morts.

Il est loin d’être imaginaire le cas des femmes qui travaillent pour avoir un argent qui leur assure l’indépendance, des moyens de jouissance et de luxe qu’elles ne pourraient avoir si elles restaient en tutelle.

Reste le préjugé qu’analyse finement, dans la Croix, Léon Merklen. Après avoir écrit :

« Et comme, avec la découverte de la machine, l’industrie réclame une main-d’œuvre toujours plus abondante et aussi bon marché que possible, on a embauché sans discernement – du moins tant que les lois sociales n’y ont pas  mis bon ordre – des femmes et des enfants pour les besognes faciles. La famille a été moralement détruite, l’ensemble des salaires a baissé… etc.

             

« Le libéralisme économique n’a jamais considéré dans l’homme qu’un individu, un agent de la production économique; la loi de l’offre et de la demande est restée pour lui la norme du progrès et de la prospérité »…

Il ajoute :

« Sont venues quatre années de guerre qui ont renforcé l’habitude que les femmes avaient déjà prise de la vie industrielle, qui l’ont généralisée, qui ont créé surtout une mentalité favorable chez l’ouvrier comme chez l’ouvrière. La femme qui ne travaille pas au dehors est mal considérée dans son milieu et se juge d’elle-même en état d’infériorité en face de ses compagnes ».

Questionnez un ouvrier sur sa femme qui reste à travailler au foyer : « Elle ne travaille pas », s’écrie-t-il », sur un ton de reproche ou de commisération.

Cette désapprobation, la femme, même quand elle se tait, la ressent vivement. Son mari ne considère pas comme un travail les labeurs qu’elle accomplit à la maison. Ce sont, à son idée, des occupations faciles, une vie presque d’oisiveté; elles ne constituent pas en tout cas à ses yeux une tâche définie comme celle de l’usine, un travail professionnel comme celui de l’atelier. D’ailleurs, dans sa complète ignorance, les besognes ménagères lui paressent des choses négligeables et sans portée, que la femme doit accomplir vaille que vaille en surplus de ses heures de travail au dehors.

Pour lui plaire, la femme doit apporter de l’argent au ménage. Elle dépensera davantage, entretiendra son intérieur avec moins d’ordre et d’économie, sacrifiera vraisemblablement à la coquetterie : un jour ou l’autre son mari lui adressera à cette occasion des reproches; mais dans l’ensemble il aura toutefois pour elle plus de considération qu’auparavant.

L’ouvrier est, en effet, victime, comme les autres hommes, de son milieu et des préjugés qui y règnent.

L’usine l’a accaparé, physiquement et moralement. Il y a pris l’habitude du travail facile, des choses faites en série, de la vie en groupements de masse. Son foyer ne l’intéresse pas; l’organisation originale, la tenue coquette que sait donner sa femme à son intérieur le laissant indifférent; les économies réalisées à peine davantage : c’est simplement pour lui un manque à dépenser.

Les qualités d’une bonne ménagère ne le séduisent donc pas. Pour être estimée de lui, sa femme doit, comme lui, prendre sa part du travail usinier, réagir aux différents courants qui animent les milieux ouvriers, et d’abord elle doit gagner un salaire.

Elle s’ennuie déjà si facilement à son foyer, devant des tâches monotones que n’apprécie pas son mari, séparé de lui tout le jour, comme d’ailleurs de toute autre personne avec laquelle converser; elle vit souvent dans un taudis malsain – ils sont légion à Paris – où manque le plus élémentaire confort.

À l’usine, elle travaillera dans des salles mieux éclairées et mieux aérées, elle rencontrera des amies, elle partagera la vie que mène son ‘homme’ et ne passera plus près de lui pour une ignorante et une maladroite; elle rapportera finalement un gain ».

Est-il à propos de parler des avantages du salaire? Non ! ils sont connus de tous. Même quand ils ne sont pas majorés, ils restent tels que la solution du problème n’en est que plus angoissante. Quoi qu’il en soit, dans l’ensemble, les inconvénients sont tels que Merklen écrit :

« C’est pour cela que, sans nous décourager devant les difficultés en apparence insurmontables que signale parfois avec amertume tel ou tel de nos lecteurs, nous devons mener le bon combat dans le cadre que nous ont tracé les Papes ».

Mais comment changer un tel état de choses? Presque tous les remèdes concernent les législateurs, les industriels, les patrons. Le principal, en tout cas, est le réajustement des salaires des hommes dans l’esprit des encycliques

« Trop souvent, ajoute encore Merklen, l’activité de l’homme a été envisagée uniquement pour son rendement économique.

« Mais l’homme n’est pas une machine. Le salaire n’est pas seulement la rétribution d’un rendement économique. Il est destiné à satisfaire les besoins de l’ouvrier, et l’ouvrier, [sic] normal se marrie et élève une famille. La fixation du salaire moyen ne doit donc pas avoir en vue l’homme isolé, le célibataire.

« Les encycliques Casti Connubii et Quadragesimo Anno arrivent donc à la conclusion que le salaire du père doit suffire à élever une famille considérée comme normale… »

Il y a aussi des remèdes qui concernent les femmes. Qu’elles restent chez elles quand elles le peuvent. Nombreuses sont celles qui le pourraient si elles le voulaient réellement, au lieu de s’ingénier à multiplier les difficultés qui finalement les orientent vers le bureau ou l’usine où, avec le goût du foyer, elles laissent si souvent, hélas ! la délicatesse de leur vertu et la vigueur d’une santé dont des générations paieront la note. Il est clair, en effet, que pas un père de famille ouvrière ne peut gagner suffisamment pour permettre à sa femme ou à ses filles de jouer au millionnaire. Pas un salaire ne suffirait pour celui qui aurait 3 ou 4 filles qui vont au théâtre 3 ou 4 fois la semaine, avec des toilettes neuves qui doivent varier aussi souvent que la température. Il est bien triste de voir tant de pauvres filles s’étioler dans une atmosphère surchauffée d’usine pour, ensuite, aller porter leur salaire au cinéma, chez la coiffeuse, au restaurant ou dans des magasins de nouveautés … quand ce n’est pas à l’hôpital…

Un dernier point, plus facile, reste à traiter : en supposant que la femme soit obligée de gagner un salaire, comment doit-elle l’employer? Car, point n’est besoin de dire que le salaire qu’elle demande doit être « propre » et suffisant pour motiver son exode du foyer …

D’abord elle devra se faire un devoir de stricte justice de faire face aux dépenses nécessaires dont, du fait, elle prend seule la responsabilité : pension, habit, loyer, que sais-je. Et parmi ces dépenses, elle n’oubliera pas ses contributions à l’église et aux œuvres charitables.

Puis, une part, si minime soit-elle, devra aller aux économies qui lui permettront de reprendre son indépendance normale le plus tôt possible : assurances, dépôts en banque, placement, que sais-je?

Qu’elle ne se permette pas ce qu’on pourrait appeler « plaisirs de luxe » : une simple ouvrière, qui comprend, ne roule pas l’auto, pas plus qu’elle ne va passer des mois d’hôtel sur les rivages de la mer.

Une mère de famille écrivait un jour :

« On nous a mal élevées. On ne nous a pas appris à tenir un ménage, à raccommoder notre linge, à élever des enfants. On a sans cesse minimisé devant nous le rôle de la  mère de famille. Nous imaginions trouver dans la vie professionnelle plus d’épanouissement et de considération… »

Ce reproche, nous ne pourrons, en conscience, le faire à nos chères Maîtresses. Les travaux de ce soir ont confirmé la doctrine saine et féconde que nous voyons, chaque jour, sur le plan de la vie ordinaire. À nous de comprendre. Nous le ferons, les yeux fixés sur la Sainte-Famille qui, une fois pour toutes, a tracé, pour les gens du monde, « la seule voie de l’entente et du vrai bonheur »…

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Source : Émile DUSSAULT (ptre), « Causerie de la semaine : La femme et le salaire », dans Semaine religieuse de Québec, Vol. 47, 13 juin, No 41, (1934-35) : 643-648.

 
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