Date Published: |
Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec
Le féminisme au QuébecFeminism in QuébecLa femme doit-elle travailler ?Si oui, quelles doivent être ses occupations ?[1935]
S’il arrive à un connaisseur d’avoir à juger une automobile, son idée première sera d’examiner la puissance de son moteur, sa sécurité et son confort; et c’est à ce point de vue qu’il jugera de la perfection des différentes pièces. Une automobile qui ne devrait jamais affronter les périls de la route n’en serais déjà plus une.
Se pencher avec respect sur l’intelligence, la volonté, les mains et le cœur de la femme, c’est rester étonné de la perfection de ces instruments et leur capacité de travail. Vouloir en faire une poupée de salon, un instrument égoïste de plaisir, c’est imaginer une abeille faisant la grève en face d’une ruche vide, une érable qui retient sa sève, un pommier qui refuse de fleurir. Non ! si la femme est faite pour le travail ; si elle a tout ce qu’il faut pour embaumer les tâches nécessaires, utiles ou agréables, elle y trouve aussi les éléments d’une dignité qui fait son prestige.
Quant au point de vue moral, si « la paresse engendre tous les vices », il est clair que cet adage ne s’applique pas exclusivement aux hommes.
La société ne peut pas plus se passer du travail de la femme, que la terre peut dédaigner les rayons du soleil. Son utilité est sans conteste. C’est se tromper toutefois que de vouloir, bon gré mal gré, lui faire partager des besognes incompatibles avec ses forces, sa dignité, sa mission. Nous y reviendrons. N’insistons pas davantage sur cette première partie puisque tout le monde est d’accord. À quoi bon s’essouffler à enfoncer des portes ouvertes…!
Que doit-elle faire ? – Voici la question difficile… Difficile en théorie ? Non ! Difficile en pratique…
Difficile, tant les conditions présentes ont modifié le cours de la vie;
Difficile, tant les nécessités vraies ou imaginaires de l’existence ont modifié les conceptions anciennes;
Difficile, tant la manière commune de faire a influencé le jugement;
Difficile, enfin tant l’ignorance de la physiologie la plus élémentaire s’obstine à fermer les yeux sur les différences profondes qui séparent la constitution de l’homme de celle de la femme.
Pourtant, il y a tout intérêt à mettre la vérité en lumière puisque toutes les conceptions fausses, à quelque domaine qu’elles appartiennent, finissent toujours par se muer en malaises, parfois en désastres.
Ici comme ailleurs, il faut tenir compte des exceptions, – nombreuses, hélas ! – où il faut se contenter de l’hypothèse… Il y aura toujours des hommes condamnés à laver la vaisselle; tout comme il y aura toujours des orphelines et des veuves obligées pour vivre de faire presque « n’importe quoi »! D’un autre côté, les difficultés pratique d’application ne changent rien à la thèse… « Mille difficultés ne peuvent former un doute ».
Répondons donc courageusement à la question : Que doit faire la femme ?
Tenant compte de ses aptitudes, de son tempérament, de sa constitution tant physique que morale, de ses goûts (quand ils ne sont pas faussés) : toutes choses qui expliquent et basent sa mission, nous disons que la femme est faite pour les besognes d’intérieur. Chaque fois qu’elle le peut, elle doit apprendre ou exercer son sublime rôle de gardienne et d’animatrice du foyer.
Tout de suite on va demander : À quoi sert alors toute la formation qu’on lui donne dans les écoles, les couvents et les collèges, si son rôle doit se borner à manier le balai, à faire cuire les patates ou à débarbouiller les enfants. Un parchemin d’université doit-il aller échouer au fond d’une cuisine ?
C’est avoir la vue bien faible de voir si peu … et si mal. Au-dessus du chaudron, du balai ! Éducatrice d’aujourd’hui ou de demain que personne ne peut remplacer, compagne et force du mari, conseillère des fils et des filles, cheville ouvrière du travail de l’intérieur, providence de la maison, poésie des heures tristes … la plus longue formation ne suffit pas à mettre la femme à la hauteur de ses fonctions; il lui faut encore continuer d’étudier, d’observer, de prendre conseil… Qui n’a pas lu la vie de madame Julie Lavergne, une des grandes lettrées du commencement du siècle ? Quelle mère incomparable, grâce à son grand cœur et à sa haute culture !! Si tant de foyer se désagrègent, la raison en est pour plusieurs que la femme a fait défaut…
La solution du problème est-elle le rêve d’une grand’mère se berçant au fond d’un château du moyen-âge ? Écoutons la plus haute autorité qui soit au monde. Dans son encyclique Quadragesimo anno – 1931 – S. S. le Pape Pie XI écrivait ces lignes significatives : « C’est à la maison avant tout et dans les dépendances de la maison et parmi les occupations domestiques qu’est le travail des mères de famille. »
Léon Merklen, dans une étude sur le présent sujet, commence ainsi :
Puis, suivent ces phrases attristées :
Rien de surprenant donc que des réactions sérieuses se produisent un peu partout, v. g. en Italie, en France, en Allemagne, aux États-Unis. Le cri de détresse de Pierre l’Ermite en face de la désertion des campagnes Restez chez vous ! est resté le même en présence d’une désertion autrement grave : la femme au foyer. C’est partout le travail du « Retour au foyer ». La Croix de Paris écrivait dernièrement :
Et, pour le dire en passant, dans la crise actuelle de chômage, si toutes les femmes qui ont de l’ouvrage au foyer y restaient … comme le triste spectacle d’hommes sans travail s’améliorerait ! Qu’il est démoralisant de voir des jeunes filles appartenant à des parents à l’aise; des femmes dont les maris ont de bonnes positions, occuper des emplois qui privent des jeunes gens et des pères de famille d’un travail aussi nécessaire à leur moralité qu’à leur subsistance corporelle…!
Nous venons d’esquisser ce qui, normalement, devrait se faire. Quant aux femmes obligées de se trouver des moyens de vie, que leur conseillerait-on ? – Ce qui est le plus en harmonie avec les conditions énumérées plus haut. Le grave problème des « travaux faits au foyer et ensuite devenant des objets de commerce » se pose de plus en plus dans tous les pays : travaux utiles (tricots, couture, etc.), travaux artistiques (broderies, dentelles, peintures, etc.). Dans l’état présent, si la femme est obligée de chercher au dehors des moyens de subsistance, naturellement, elle doit aux œuvres d’enseignement, de soins des malades, de travaux manuels, dans les milieux où elle trouvera le plus possible l’atmosphère du foyer.
Il n’entre pas dans le sujet de traiter du travail des Religieuses. Mais il est à remarquer que toutes les communautés commencent toujours par créer un foyer à leurs sujets, puis à lui donner des occupations conformes à la solution donnée plus haut – éducation, soin des malades, des pauvres, des vieillards, etc.
Les autres occupations ne devront être abordées qu’exceptionnellement et avec regret, en prenant toutes les précautions voulues pour sauvegarder sa santé tant physique que morale. Parlant du travail industriel (du travail de l’usine), le même Léon Merklen fait cette observation que chacun de nous peut vérifier :
N’empiétons pas sur les travaux qui vont suivre. Finissons par deux citations sur le travail en général. La première est d’un économiste :
L’autre citation prend la forme poétique d’un sonnet de Sully Prudhomme, sonnet intitulé Le temps perdu.
Retour à la page sur le féminisme
Source : Émile DUSSAULT (ptre), « Causerie de la semaine : La femme doit-elle travailler ? Si oui, quelles doivent être ses occupations ? », dans Semaine religieuse de Québec, Vol. 47, 16 mai, No 37, (1934-35) : 580-585. |
© 2011
Claude Bélanger, Marianopolis College |