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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History DocumentsÉcrits des Jeune-Canada
Jeune Canada
Qu'est-ce que la tradition ?
Ceux que la question nationale intéresse feraient bien d'arrêter leur pensée sur ce chapitre-là.
L'expérience des autres peuples - sinon la nôtre - nous a démontré que c'est un ensemble de principes et de façons d'agir adopté par tout un peuple qui y conforme ses actes pendant plusieurs générations. C'est ce qui fait l'unité profonde de ce peuple et la distingue des autres peuples - qu'il habite une région politiquement indépendante ou qu'il soit un peuple à l'intérieur d'un peuple, comme le sont les Canadiens-français.
Or, il y a deux façons de se comporter à l'égard de la tradition : l'une consiste à employer les mêmes moyens qu'ont employés nos pères; l'autre, à adopter leurs idées dans le dessein de les faire triompher, mais avec d'autres moyens. Ces moyens - ceux de l'heure où nous vivons - sont les seuls pratiques et applicables.
Ceux qui sont plus avancés dans la vie, et qui possèdent ce trésor inestimable qu'ils appellent l'expérience, en sont souvent venus à reconnaître leurs erreurs. Ils vous diront parfois que « si c'était à recommencer », ils agiraient différemment. Mais la jeunesse ne prête pas une oreille très attentive à des propos de ce genre-là. Elle ne les comprend pas et, même si elle les comprenait, ne pourrait s'en servir, puisque pour elle l'expérience des autres vaut - hélas ! - si peu.
Avec l'avénement [sic] de chaque génération, il y a une interprétation nouvelle de la tradition sur laquelle, par la force des circonstances ou par l'amour véritable de leur pays, beaucoup fondent l'ouvre entière de leur vie. C'est déjà, cette interprétation, une limite que le jeune homme pose à son horizon - une borne qu'il ne pourra peut-être jamais détruire, même si, plus tard, le besoin s'en faisait sentir.
N'exigeons donc pas de nos aînés qu'ils approuvent notre manière de voir. Les plus intelligents d'entre eux comprennent que ce que nous voulons est la même chose que ce qu'ils ont voulu - que c'est continuer ce qu'ils ont commencé. Depuis très longtemps - depuis que le peuple canadien existe, il en est ainsi : il n'est pas un d'entre nous qui ne soit patriote et prêt à verser son sang pour la patrie. Ah bien, oui, verser son sang! Mais on ne nous en demande pas tant. C'est beaucoup plus facile que cela : c'est une collaboration constante, quotidienne, à l'ouvre nationale : c'est l'emploi de tous nos cinq sous à acheter dans des maisons canadiennes-françaises, c'est le sacrifice d'un peu de notre temps pour lire nos écrivains et entendre nos artistes, c'est un mot d'encouragement à ceux de nos hommes d'État qui sont réellement dévoués à la cause nationale, c'est un plus grand souci de la correction dans le langage. Voilà pour la partie positive, la plus importante.
Mais nous avons hérité du tempérament français un esprit de résistance à l'action en masse. L'instinct grégaire, dont les Anglais, [sic] nous donnent un si bel exemple aux parties de rugby de leurs universités, ne nous est pas naturel.
Il était donc à prévoir que le mouvement des Jeunes-Canada [sic] susciterait un bel enthousiasme verbal, comme toutes les manifestations des jeunes - mais provoquerait peu d'action réelle.
Or, tel n'est pas le cas. Si peu de valeur que cela puisse avoir, venant d'un jeune, je tiens à dire que je vois, dans l'appui réel qui lui a été donné, l'expression de la valeur de la jeune génération. Comme toutes les générations qui nous ont précédés, on nous a qualifié de cervelles brûlées et de têtes légères; mais sur nous ces vocables ont nécessairement moins de prise. Nous avons eu le bonheur - je dis bien - de naître dans l'âpre atmosphère de la guerre, de grandir dans la douteuse atmosphère d'une période d'essai et d'expérience qui nous a appris - trop bien - l'instabilité profonde des conditions humaines. Le temps venu de nous établir, de prendre dans la vie la position solide que nos parents nous avaient laissé espérer (ils l'avaient obtenue si facilement!), nous avons assisté à un brusque renversement des valeurs. De la sorte, plus que jamais, l'avenir sera ce que la jeune génération d'aujourd'hui le fera.
À l'heure actuelle, il commence à exister, le jeune canada, et il a été jusqu'ici bien secondé par ses aînés - nos journaux et nos grandes maisons de commerce, notamment par quelques-uns de ceux qui nous honorent le plus dans le monde des lettres et de la finance.
Qu'on continue à nous faire confiance. Notre jeune enthousiasme est une bien belle arme, qu'on l'aide à défendre la juste cause.
Retour à la page sur les Jeune-Canada Source : Pierre DANSEREAU, « Jeune Canada », dans Le Quartier latin, 23 février 1933, pp. 1-2.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |