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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Écrits des Jeune-Canada
MANIFESTE DE LA JEUNE GÉNÉRATION
Quelques événements de notre vie nationale, tels que la composition du personnel des techniciens à la conférence impériale et quelques nominations du fonctionarisme au Ministère du Revenu national et au service des douanes à Montréal, ont ému l'opinion canadienne-française. Elle attend à bon droit une réaction énergique et immédiate. Nous voici, au moins, quelques-uns de la jeune génération, pour répondre à cet appel. La question dépasse de haut les intérêts ou la responsabilité d'un groupe ou d'un parti politique. C'est un régime trop prolongé, un malheureux état de choses trop ancien qu'il faut redresser. Voici au nom de quels sentiments et de quels principes, nous entendons le faire.
- I -
Nous n'entendons pas rallumer de vieilles animosités. Nous croyons, au contraire, que le seul moyen de ne pas exacerber un nationalisme légitime, chez les Canadiens-français, c'est de s'appliquer, de part et d'autre, au respect scrupuleux des droits de chacune des deux races et de leurs raisonnables susceptibilités.
Le français est langue officielle du Canada autant que l'anglais. Ce qui n'empêche point certaines publications fédérales d'être rédigées exclusivement en anglais; leur traduction paraît en retard et trop souvent ne paraît même pas. Autre anomalie et non moins grave: la monnaie d'un état bilingue est unilingue. Nous protestons contre cet état de choses, qui consacre la supériorité d'une race pour l'humiliation de l'autre.
Nous demandons aujourd'hui ce que nous exigerons demain. Ceux qui flairent le vent doivent savoir que nous ne prononçons pas des paroles en l'air : dans toutes les classes de la société canadienne-française on peut discerner un frémissement d'indignation qui indique la volonté de prendre de plus en plus conscience de ses droits et de s'organiser pour les défendre.
- II -
Nous sommes Canadiens-français, nous constituons près du tiers de la population totale du Canada, les quatre-cinquièmes de la province de Québec, près des trois-quarts de celle de Montréal. Nous sommes plus de 700,000 repartis dans la Puissance en dehors du Québec. Nous vivons dans une Confédération, régime public qui a été constitué tel en 1867, précisément pour la sauvegarde de certains particularismes et de certains provincialismes. Le particularisme canadien-français a été même l'une des raisons déterminantes du fédéralisme canadien. Nous entendons que l'on ne dénature point cette pensée des Pères de la Confédération. Nous voulons que les nôtres soient équitablement représentés dans le fonctionarisme d'état. En certains services fédéraux, nous sommes déterminés à ne plus nous contenter des miettes qu'on nous a jusqu'ici abandonnées, des positions de subalterne sous la conduite quelquefois d'un importé britannique. Nous payons notre part d'impôts; c'est notre droit d'exiger une représentation équitable dans tous les ministères fédéraux. Dans Montréal, troisième ville française de l'univers, nous ne souffrirons pas qu'on nous Impose des majordomes d'une autre race, surtout lorsqu'ils sont unilingues, servitude humiliante que ne souffrirait d'ailleurs aucune ville anglaise de la Puissance.
- III -
Ce que nous demandons à Ottawa, nous le demandons également aux nôtres et à tous ceux qui pratiquent l'industrie et le commerce dans le Québec.
Par l'annonce et autres procédés, l'industrie et le commerce ont déformé la physionomie de la province entière. Succursales la plupart du temps d'immenses organisations américaines ou anglo-canadiennes, nos industries trouvent fastidieux d'opérer la traduction de leurs annonces; elles font bloc et semblent vouloir imposer leur langue au client, et faire oeuvre d'anglicisation lente mais sûre. Nous-mêmes, Canadiens-français, avons accéléré ce triste mouvement, par l'annonce ou l'enseigne anglaise exclusive. Pour aguicher le touriste américain - mauvais calcul - nos routes se sont couvertes de panneaux-réclames rédigés en mauvais anglais. Une campagne se poursuit actuellement pour la refrancisation de la province de Québec. Notre résolution est de la seconder de toutes nos forces.
Cette question de l'industrie et du commerce pose un problème beaucoup plus grave et de plus grande ampleur. Les Canadiens-français sont en train de devenir chez eux un vaste peuple de prolétaires. Nous demandons à nos politiques et à nos économistes de redresser cette situation. Nous n'entendons point que l'on se serve des richesses naturelles de notre province pour compromettre ou nous ravir notre patrimoine moral et nous imposer la pire des dictatures. Nous n'entendons point non plus, qu'il soit indéfiniment loisible à des capitalistes étrangers qui exploitent en définitive notre fonds national et la main-d'oeuvre canadienne-française, de pratiquer contre nos ingénieurs et nos techniciens un véritable ostracisme et de ne nous réserver dans la vie économique de notre pays que des rôles de manoeuvres et de domestiques.
Nous n'ignorons point que toutes ces revendications exigent de la génération actuelle un grand et généreux effort. La lutte que nous entreprenons sera longue et elle n'aura chance d'aboutir que si elle sait être persévérante. Nous ne serons respectés dans notre province que si nous conquérons la force et la dignité. Notre langue et notre culture ne seront efficacement défendues que si elles s'appuient sur un ensemble de forces, une vie nationale vigoureuse et ordonnée.
Nous faisons donc appel à la jeunesse, à toute la jeunesse de notre race: à la jeunesse universitaire, à la jeunesse des collèges et des écoles, à la jeunesse ouvrière, à la jeunesse agricole, à la jeunesse professionnelle. Que dans tous les domaines de la vie nationale le souci s'éveille, ardent, de reconquérir les positions perdues, de faire meilleur l'avenir. C'est à un vaste labeur intellectuel, littéraire, artistique, scientifique, économique, national que nous les jeunes, sommes conviés par les exigences de notre temps. Souvenons-nous que nous ne serons maîtres chez-nous que si nous devenons dignes de l'être.
Retour à la page sur les Jeune-Canada Source : reproduit à partir d'un document original distribué et signé en 1932-1933. Ce document a été reproduit à l'époque dans l'Action nationale , Le Devoir, L'Action catholique , le Progrès du Saguenay, Le Quartier latin, La Presse, Le Canada, Le Droit, La Patrie et le Béret. Ramsay COOK et Michael BEHIELS en ont fait une traduction anglaise dans The Essential Laurendeau, Copp Clark, 1976, 256p., pp. 34-36.
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© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |