Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

Écrits des Jeune Canada

 

L'Éducation - La Politique

 

 

Que la survivance de la nationalité canadienne-française pose un problème à la fois d'ordre économique et intellectuel, c'est un truisme que de nos jours personne n'oserait plus contester. Que cette même survivance dépende davantage d'un renouvellement de toute notre politique et d'une évolution systématique, de l'éducation vers la formation des caractères et vers l'acquisition du sens national, c'est une vérité qu'on ne veut point admettre chez nous et dont l'oubli annule tous les efforts tentés dans le but d'amorcer un réveil national.

 

En vérité le problème essentiel chez nous est d'ordre politique.

 

« Enrichissons-nous », crie-t­on. Merveilleux ! Mais où puiserons-nous la richesse ? Nous sommes pauvres, désolément pauvres.

 

En réponse à cette objection, on nous parle d'économie, de travail, de persévérance, de volonté, de coopération, de coordination des forces, etc. Fort bien ! A-t-on pensé que ces qualités d'ordre moral présupposent l'existence d'une conscience éclairée et agissante. L'avons­nous ? A-t-elle jamais existé chez nous ? Et comment se manifesterait-elle tant que la politique restera ce qu'elle est actuellement ?

 

Quelques-uns s'imaginent qu'une poussée dans le domaine intellectuel permettrait de tourner la difficulté. Mais l'instruction, ce n'est que le principe d'activité qui doit informer une matière. Où est-elle cette matière ?

 

Tous les maîtres en discours politiques s'écrient avec une seule voix : « Que faites-vous de nos richesses naturelles ? » A ces bons messieurs posons certaines questions: « Ces fameuses richesses naturelles nous appartiennent-elles encore ? » N'est-ce pas une stupide politique, vieille de cinquante ans, qui a aliéné nos domaines forestiers et nos pouvoirs hydro-électriques ? Cet hé­ritage ancestral, le reprendrons­nous jamais autrement que par la politique ?

 

La politique, nous la retrouvons à la base de tous nos problèmes intérieurs et extérieurs. Soixante-quinze ans ont suffi à nos politiciens pour conduire le peuple canadien-français au seuil de la déchéance.

 

Dans tous les domaines, l'es prit le plus impartial doit constater un recul qui a parfois dégénéré en déroute. Et chose étonnante, à chaque session parlementaire, à Ottawa comme à Québec, l'asservissement national progresse sans que le peuple canadien-français, endormi ou ataraxique, s'en aperçoive. Ce phénomène d'aveuglement collectif à peine concevable dépend pour une bonne part de la politique. La politique, ce grand art qui préside normalement à la gouverne des peuples, n'est plus chez nous que l'art de la trahison. C'est la trahison de l'idéal national qui intoxique tant le corps de la nation. Elle règne à tous les échelons de l'échelle sociale, dans la classe ouvrière et agricole autant que dans celle de la bourgeoisie, et chez les chefs encore plus que chez les précédents. Cette trahison affecte non seulement la législation parlementaire, l'exercice de la justice entre les races, l'épanouissement de la vie économique, le choix de nos destinées nationales, la survivance de l'esprit français et la mission du catholicisme en Amérique, mais encore, elle corrompt l'individu par le culte de l'arrivisme et de l'incompétence et par l'impunité dont jouissent l'injustice, la crapulerie et le vol légalisé. Finira-t-on par le comprendre, le problème de l'heure, le premier qui se pose à notre attention, c'est un problème politique ? « Politique d'abord » disait Maurras, et il faudra bien que nous y venions nous aussi. Or, il se trouve que la nation canadienne-française ne possède ni doctrine, ni chefs, ni sens national. Et ce, depuis LaFonlaine et Mercier. Il y a eu le nationalisme. Une doctrine s'esquissait... Par malheur, les chefs ne possédaient pas assez de caractère, et pour la parachever, et pour l'appliquer. Absence de doctrine, de chefs et de sens national qui n'empêche pas nos politiciens de prétendre à la grande politique ! Ils oublient que, dans sa conception originale, le mot politique comprend trois idées principales. Il s'agit d'une science, appliquée par une autorité ou par des chefs légitimes et compétents, en vue d'assurer le bien des individus d'un État.

 

La politique exige donc une science ou une doctrine, des chefs, des chefs véritables, non de carton-pâte, des chefs compétents et qui s'imposent à leurs concitoyens, enfin des citoyens qui ont assez de sens national pour soutenir leurs chefs et pour les suivre. Toutes choses que dans notre illogisme, nous avons ignorées. Nous avons esquissé des plans de doctrines nationale et sociale. De doctrines saines et définitives, nous n'en possédons aucune. Est-ce sécheresse d'âme ? est-ce impuissance de l'intelligence à embrasser d'un coup d'oeil un vaste horizon ? Toujours nous avons établi des compartiments étanches entre la politique et la sociologie; nous n'avons pas compris que l'idéal national français et catholique demandait une seule et unique politique, une politique raisonnée, large, solide, compréhensive de l'interdépendance de tous nos problèmes.

 

En effet, on ne saurait concevoir l'épanouissement intellectuel et l'émancipation économique du Canada français sans un réveil national capable d'arracher tout un peuple à la servitude politique. Le rayonnement extérieur d'une pensée nationale ne peut provenir que d'une vie intérieure vigoureuse. De même la nationalité canadienne­française ne peut aspirer à jouer un rôle efficace dans la civilisation tant qu'elle sera sujette et dépourvue du titre de nation véritable. Qu'on admette cet avancé où non, un fait reste certain : nos errements continuels de l'impérialisme britannique au colonialisme français en passant par un fédéralisme absurde ne créeront pas la communauté d'aspiration propre à toute nation civilisée ou non. Qui dira combien cet impérialisme britannique et ce colonialisme français ont contribué à nous déraciner, à nous désencadrer, à nous désorienter ?

 

Quant au fédéralisme, un journaliste de talent l'a stigmatisé d'un mot lapidaire : « Du fédéralisme, nous en mourrons ! » Il n'est pas jusqu'à l'annexionnisme qui ne trouve des défenseurs et des adorateurs dans la foule. Enfin, plusieurs de nos grands hommes d'affaires laissent aller volontiers la manche après la cognée et aspirent au jour ou l'as­ similation anglaise pure et simple aura définitivement enterré cette « maudite » question du français. Ne parlons pas de ces politiciens bébêtes qui dirigent facile­ment une demi-douzaine d'États et deux nations, sinon trois, avec un seul et même programme : ce­lui de leurs partis politiques respectifs, programme qualifié pompeusement du titre de doctrine nationale.

 

Et voilà où nous en sommes dans   l'élaboration d'une doctrine nationale. A l'absence de doctrine, se surajoute la pénurie de chefs. Quels chefs avons-nous eus depuis LaFontaine ? Les uns ont été bernés par la splendeur de la pourpre impériale ou se sont fourvoyés au sein de la politicaillerie, les autres ont manqué de caractère et se sont révélés d'une misérable petitesse.

 

Ne déplorons pas le sort de nos chefs. Et pour parodier un axiome ancien : « Notre peuple n'a eu que les chefs qu'il méritait ». Décérébrés ou « sans-tête », nous le sommes, par notre faute. C'était là la destinée que nous réservait notre manque de sens national. A bon droit, suppose-t­on que la désossification de notre organisme national, causé par l'influence dissolvante de l'anglomanie et de l'américanisme n'aurait permis à aucun chef d'entreprendre l'oeuvre de restauration nécessaire. Or, nous n'avons jamais eu de politique nationale parce que nous n'avions ni doctrine, ni chefs, ni sens national. Nous ajoutons que nous n'avons ni doctrine, ni chefs, ni sens national parce que, entre autres raisons, l'éducation n'est pas ce qu'elle devrait être chez nous.

 

Par éducation, nous voulons entendre surtout la formation morale. La formation intellectuelle et physique a un rôle propre, rôle qui se subordonne à celui de la formation morale de la même façon que l'acte intellectuel se subordonne à l'impératif de la volonté. Former des boeufs intelligents peut être avantageux pour l'agriculture, mais ne saurait améliorer une société d'hommes. Faire de nos enfants des animaux à l'intelligence et au savoir merveilleux, c'est préférer la bête à l'homme. En un mot, la formation physique et intellectuelle, n'a de valeur que par la formation morale.

 

Un corps bien charpenté, bien musclé et une intelligence vive, munie de savoir ne valent que par l'emploi que la volonté en fait. La musculature du bandit et son intelligence dans le crime n'ont jamais été que nuisibles. Tout le savoir humain ne suppléera jamais à la valeur morale de l'individu. Redisons-le pour la centième fois : « L'homme ne vaut que par ce qu'il est et non par ce qu'il sait ». Vous aurez beau faire des savants, des littérateurs, des penseurs, des financiers, vous n'aurez rien fait pour la patrie et pour l'Église si tous ces hommes renient l'idéal national et apostasient leur foi. Pour rester dans le concret, le médecin, l'avocat, l'ingénieur, le diplômé de l'École des hautes études commerciales n'arriveront à rien dans leurs domaines respectifs, la persévérance, la volonté, le travail ne les pous sent sans cesse dans l'acquisition du savoir.

 

D'autre part, de quelle utilité serait pour nous Canadiens français, d'avoir des financiers qui, une fois enrichis, s'empresseraient de s'anglifier, d'apostasier leur foi et de travailler contre les leurs ?

 

Ce qui importe d'abord, c'est la formation morale, la formation des caractères : elle est à la base de tout renouvellement politique. C'est elle qui nous donnera de véritables chefs et qui, par le développement du sens national, favorisera l'élaboration d'une doctrine et son application dans la réalité. Notre défaut de formation morale est une des causes les plus certaines de nos échecs répétés. Nous avons vu déjà combien la déformation du caractère avait réduit à l'impuissance beaucoup de nos chefs. Croirons-nous, avec nos endormeurs de profession, que le peuple canadien-français, dépourvu de réflexe, de fierté et de vouloir vivre collectif, amorphe, impassible sous l'injure n'a pas subit, lui aussi, une déformation morale des plus graves ? Une nation ne perd pas impunément :

 

1. l'amour du travail, notamment du travail intellectuel;

2. le goût de l'économie;

3. le sens de la discipline et de l'ordre;

4. la persévérance;

5. le culte du devoir et le sens des responsabilités.

 

Une telle diminution dans l'être moral chez les citoyens entraîne nécessairement l'anémie de tout l'organisme national. Le sens national disparaît ou se transforme en rhétorique patriotique qu'on exhale avec fureur au pied d'innombrables idoles.

 

Si vraiment nous sommes les prolongements de nos pères, si nous n'existons qu'en fonction des générations passées et futures, si notre valeur tient à cette richesse accumulée dans notre subconscient par les générations qui nous ont précédées, si « la plante humaine ne pousse vigoureuse et féconde qu'autant qu'elle demeure soumise aux conditions qui formèrent et maintinrent son espèce pendant des siècles », si tout cela n'est pas une chimère, convainquons-nous que le lâche abandon de traditions, de vertus, décapite l'individu, tue le sens national et réduit les nations en esclavage.

 

Seule l'éducation intensive du sens national par la famille, l'école, le collège et l'université, peut amener une reprise individuelle et collective, insuffler une âme nouvelle à une nation qui se meurt et redresser les têtes qu'un avenir sombre inclinait vers la terre. La famille ne doit plus être un foyer de perversion par l'anglomanie et l'américanisme. Le débraillé moral et intellectuel doit en sortir. Plus positivement, il faut restaurer dans nos familles la vie canadienne-française et les mours chrétiennes qui faisaient la gloire de nos ancêtres. Ce retour sur nous-mêmes n'ira pas sans une clairvoyance plus nette de l'idéal national. Clairvoyance qui influera directement et indirectement sur la politique et l'assainira dans ses sources profondes. Mais ne nous leurrons pas de vaines espérances. Ne comptons pas trop sur la génération qui s'en va; nos espérances, nous les déposerons entre les mains de la génération qui monte et qui fondera demain un foyer.

 

C'est cette génération que formera l'éducation nationale de nos écoles, de nos collèges et de nos universités préalablement transformés. Une génération d'hommes compétents sans doute, mais surtout, une génération d'hommes de conscience, de jugement et de   volonté.

 

Une génération de Canadiens français, non d'invertébrés, de mollusques, de vers rampants. Des Canadiens français qui sauteront clouer au pilori les politiciens qui se conduisent en goujats et au besoin administrer une fessée aux ministres récalcitrants (1).

 

A cette fin, nos écoles, nos collèges et nos universités cesseront de fabriquer en série, qui des comptables, qui des ratés, qui des avocats sans cause, pour les ajouter à une troupe de quatre cent mille jeunes sans travail.

 

Ils auront compris qu'il est bien inutiles de faire de nos enfants des Chinois, des Japonais ou des Zoulous et tout autre chose que des Canadiens français. Ils leur apprendront quel goût amer laisse sur la langue le métier de lécheur de bottes et combien il est incompatible avec la dignité d'hommes et de Canadiens français de marcher sur la tête et de se traîner sur le ventre.

 

Imprégnés par la tradition canadienne-française et forts des vérités qu'ils auront saisies dans la recherche de leur innéité profonde, nos jeunes gens pourront affronter la vie sans crainte. Jamais ils ne seront désorientés et livrés aux assauts du doute. Parmi eux se trouveront des chefs capables de les comprendre et de les conduire. Et s'il leur faut une doctrine, ils la trouveront gravée en eux-mêmes.

 

En toute sûreté ils la transposeront dans le domaine de l'activité nationale parce qu'ils   possèderont le secret de leur personnalité ethnique.

 

Finie cette politique d'opportunisme, de veulerie, de compromission ! Finie cette politique moutonnière, retardataire, prodigue de notre bien, sans horizon, sans fierté, sans avenir !

 

Fini, il le sera, cet asservissement de tout un peuple, ce service de valet, ce rôle d'ilote qui écrase la présente génération et qui occasionnerait un bouleversement social, n'était d'un reste de foi !

(1) Note de l'Éditeur: Il s'agit peut-être ici d'une allusion au projet que des jeunes (qui deviendront les Jeune-Canada) avaient fait d'aller rosser les ministres canadiens-français en 1932 à leur sortie du train de Montréal. Leur but aurait été d'attirer l'attention sur le triste sort des Canadiens français et sur l'inertie des ministres canadiens-français du gouvernement fédéral de R. B. Bennett. Ce serait Lionel Groulx qui leur aurait suggéré de lancer un Manifeste, de former un groupe d'action.

 

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Source : René MONETTE, « L'Éducation - La politique », dans Le Devoir, Supplément, le 28 juillet, 1934, pp. 6, 9. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.

 
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