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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History EncyclopediaÉcrits des Jeune-Canada
Chez les jeunes - Jeune-Canada
On a coutume de dire que les grands mouvements - ceux qui introduisent un réel changement dans la façon de vivre d'un peuple - sont le résultat des circonstances, leur aboutissant nécessaire. Ainsi, excuse-t-on de leur inertie les hommes, profonds réalistes, qui pourraient mettre leur énergie au service d'un idéalisme constructeur, mais qui attendent la poussée de l'heure. Les Jeune-Canada ne prétendent pas être personnellement de « profonds réalistes ». Ils ne prétendent pas avoir vu toujours par eux-mêmes les plaies dont souffre notre organisme national. Mais ils croient avoir puisé aux bonnes sources leurs informations; avoir écouté attentivement et fidèlement ceux qui, chez nous, sont les dépositaires de la véritable tradition - les intelligences dirigeantes parmi nos aînés. Et ils cherchent avant tout, en propageant la conscience de notre grande détresse, à faire naître les circonstances qui stimuleraient nos hommes supérieurs, leur arracheraient l'effort libérateur.
Nous n'avons jamais voulu révolutionner; nous voulons transformer. Nous n'avons jamais voulu détruire; nous voulons continuer à consolider l'oeuvre autrefois commencée et apparemment interrompue depuis quelque temps, malgré le véritable renouveau national provoqué naguère par des groupements comme l'Action Française, (Montréal).
Le mouvement des Jeune-Canada procède avant tout d'une volonté de réaction. Nous nous sommes trouvés un groupe de jeunes gens, profondément dégoûtés par nos observations personnelles sur l'état de choses actuel, dans l'ordre national; et nous avons décidé d'arrêter, pour notre faible part, la marche du peuple canadien-français vers l'abîme.
Nous avons surtout observé dans nos propres rangs, parmi ceux de notre âge, l'étendue et la profondeur de la défaite. A quoi songent ceux qui, à l'heure actuelle, cherchent à « se placer les pieds », dans une position stable pour l'avenir ? Quelle est leur mentalité ? Hélas, disons qu'ils vivent au jour le jour, ne voient pas plus loin que le lendemain. Leur vie est un vaste désordre où peuvent entrer à chaque instant des éléments nouveaux dont ils ne se préoccupent même pas de savoir s'ils leur conviennent. On leur a dit qu'avec tel moyen, « on arrive ». A quoi ?, Ils seraient bien en peine de le dire. Esprits indisciplinés, peu objectifs, ils n'ont jamais appris à vouloir quelque chose de précis; ils n'ont jamais sérieusement cherché leur voie; ils ont pris tout naturellement celle qui était ouverte devant eux. Ils sont pleins d'ambition, probablement prêts à tous les sacrifices, inutiles d'avance. Les efforts de l'un sont dirigés contre l'autre. Toutes ces forces s'annulent, se détruisent. Peut-être, direz-vous, est-il illusoire de demander à tous d'oublier leurs intérêts personnels pour ceux de la nation ? Ne pourrait-on leur faire comprendre au moins que ces intérêts sont liés ? Car dans l'état de quasi-servitude où nous sommes réduits, au point de vue économique, est-il probable qu'un jeune Canadien français isolé - surtout s'il n'appartient pas à une famille influente ou s'il est dépourvu de bonnes attaches politiques - puisse réussir dans la vie d'une façon brillante ?
Il existe un sentiment national chez la jeunesse d'aujourd'hui. Sentiment assez négatif il est vrai, qui consiste à se démolir entre soi et à défendre violemment « la race » quand c'est un non-Canadien français qui l'attaque. Étrange patriotisme ! Quand donc aurons-nous une école de critique constructive qui ne détruira plus rien que pour le plaisir de détruire, mais qui reconstruira à côté de ce qu'elle démolit ? Sur ce point-là, au moins, peut-être; nous faudra-t-il attendre de nos aînés, un exemple plus réconfortant. Nous admirons ceux d'entre eux qui ne veulent pas tolérer la médiocrité; nous admirons moins ceux qui la voient partout pour s'accorder le loisir de la poursuivre sans relâche. L'action positive ne vaudrait-elle pas mieux qui stimulerait, exhorterait à produire des oeuvres, lesquelles, par leur beauté et leur grandeur mêmes, étoufferaient la fourmillante médiocrité ?
C'est pour travailler en ce sens que les Jeune-Canada sont entrés en scène, en décembre dernier. Ils se sont persuadés que le mal est chez nous avant tout. Nous ne sommes pas une race de persécutés. Tout au plus de victimes volontaires. Quand nous avons voulu, nous avons toujours obtenu tout ce à quoi nous avions droit. Il y eut des heures où nous fûmes puissants, parce qu'alors les partis s'effaçaient pour nous restituer la figure d'un peuple. Depuis cinquante ans nous sommes divisés et affaiblis parce que nous avons cessé d'être un peuple pour cultiver jalousement l'esprit de parti.
Or, la jeunesse ne veut plus de ce régime. Elle abandonne résolument le culte des idoles. Elle ne se laisse plus toucher par les éloges que ces messieurs des clubs se prodiguent entre eux, même si par routine elle se donne l'air d'y applaudir. Mais la jeunesse - est-elle une vraie jeunesse ? - se sent impuissante. Tous les jours elle se rend compte qu'elle ne cesse de perdre de sa fierté et de sa confiance. Elle rêve de redressement, d'avenir meilleur. Et pourtant elle se défie de tout rêve, tant le solide ne lui apparaît que dans l'action.
Nous disons avec fatuité que nous n'avons plus d'illusions. Et nous ne songeons pas que les grands hommes ont été dans leur jeunesse remplis de ce que les leurs appelaient sans doute des illusions. J'entendais quelques étudiants parler d'un article de Jean-Claude Martin dans le Quartier Latin, sur la « Valeur du Rêve ». L'idée les heurtait. L'idéalisme, le rêve, comme inspiration d'énergie, comme règle de conduite, ne leur disait absolument rien. Cloison étanche entre l'idée et le fait, le rêveur et le réaliste. Et pourtant n'est-ce pas celui qui s'élève jusqu'à l'essence même des choses, qui en connaît la valeur ? N'est-ce pas l'idéaliste qui souvent est le plus adapté à la vie? Ne sont-ce pas les remèdes qu'il propose qui ont la meilleure chance d'être les vrais et les bons ?
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Pour trancher ce débat, « Soyons nous-mêmes » ! ont dit un jour quelques jeunes gens. En novembre dernier, ils commencèrent à écrire des articles. Les premiers ont paru dans le Quartier Latin , sous la signature de Pierre Asselin, Roger Larose, Pierre Dagenais, Dollard Dansereau, Paul Dumas, Pierre Dansereau, Gérard Filion. Puis est venu le Manifeste de la Jeune Génération, rédigé par André Laurendeau et approuvé par tous les Jeunes-Canada. Déjà nous existions. Nous étions peut-être douze ou quinze, de tendances très diverses, pour la plupart étudiants, appartenant à différentes facultés de l'Université de Montréal. De doctrine précise, sauf les principes généraux élaborés dans notre manifeste - nous n'en avions guère. Nous n'avons pas voulu élargir notre champ outre mesure ni nous imposer de trop étroites frontières. Nous attendions une occasion d'entrer activement dans la vie. Nous considérions qu'à l'épreuve nos principes prouveraient leur valeur, s'achemineraient vers la précision. Qu'on n'aille pas conclure cependant que nous partions avec des idées vagues. Sur la sottise de la partisannerie politique, du patriotisme verbal, sur la nécessité de la collaboration nationale, tous étaient d'accord. Mais, plus peut-être que l'homogénéité parfaite de l'association, nous avons cherché la vitalité, vitalité que lui donnerait, espérions-nous, la variété et la richesse de tempérament de ses premiers affiliés. Disons pourtant que nos articles aux journaux et nos causeries radiophoniques sont l'oeuvre en quelque sorte d'une collaboration. Tous assument la responsabilité de ces ébauches de notre doctrine livrées au public.
Sera-ce prétention que d'exposer ici les premières entreprises des Jeune-Canada ? Que l'on y voie les progrès accomplis par une idée beaucoup plus que l'énergie déployée par un groupe de jeunes hommes. Il fallait une opinion publique déjà disposée à entendre ce que nous avions à dire pour que treize cents personnes pussent être réunies à quelques jours d'avis. On a commenté de diverses façons notre première assemblée à la salle du Gesù de Montréal. Des esprits chatouilleux y ont surtout vu des attaques contre certains personnages. Sans doute, en notre beau pays, il serait par trop extraordinaire qu'un groupe de jeunes gens convoquât une grande assemblée populaire sans avoir pour but de parler contre quelqu'un ou quelque chose. Que ces messieurs se détrompent pourtant. Notre préoccupation première a été d'exprimer des idées que nous croyons constructives. Nous confesserons en outre que notre foi en ces mêmes idées est telle que nous n'admettons point aux idées contraires une égale valeur. Partant, nous combattrons ceux que nos principes d'action effarouchent dans leur apathie et leur indifférence. Et nous continuerons de nous opposer à leurs idées sans attaquer leur personne, autre dérogation au procédé traditionnel.
Notre seconde assemblée a consacré de façon brillante l'adhésion de nos aînés à notre mouvement. - Les Jeune-Canada n'oublieront pas de sitôt les paroles prononcées par monsieur Montpetit ce soir-là, ni surtout l'éloquente et pratique collaboration que nous apporta M. Esdras Minville. Entre temps, des centaines de signatures s'ajoutaient chaque jour au bas de notre manifeste. Nous étions nous-mêmes, je puis bien l'avouer, étonnés de nos succès. Nous nous étions jetés dans l'action avec le modeste espoir de faire un peu de bien, de réveiller quelques esprits sommeillants. Nous étions prêts à rencontrer la dérision ou les décourageants « A quoi bon » ? Or, voilà que les Jeune-Canada doivent entretenir des relations avec des jeunes hommes de leur génération, du Pacifique à l'Atlan tique. De toutes parts on se rallie à leur mouvement. Preuve qu'on les attendait, qu'ils sont venus à leur heure.
S'il en est ainsi et si on leur fait l'honneur d'attendre beaucoup de leur mouvement, ils sont prêts à donner beaucoup, car ils croient avoir quelque chose à donner. Ils n'entendent pas que ce soit en vain que leurs aînés, leurs pères, leurs éducateurs aient souhaité voir poindre une génération qui laisserait le Canada français plus grand qu'eux-mêmes ne le laissèrent. Nous acceptons les responsabilités que cet espoir comporte. L'on attend de nous que nous définissions d'abord notre doctrine nationale; que, pour les prochains domaines de notre activité, nous nous tracions des lignes de conduite à nous-mêmes et à ceux qui veulent nous suivre. C'est chose déjà commencée au point de vue économique par monsieur Esdras Minville dans ses deux conférences au Gesù, surtout dans celle du 6 mars. Nous continuerons. Puisse l'appui de nos aînés ne jamais nous faire défaut dans l'avenir. Nous n'ignorons pas ce que nous devons et ce que nous demanderons encore à leurs sages conseils et à leur expérience. Mais eux-mêmes nous prêchent d'avoir confiance avant tout en nous-mêmes; ils nous assurent que nous sommes sur la bonne voie. Nous sommes déterminés à y rester. Les obstacles surgiront. Tant mieux, s'ils doivent fortifier notre foi.
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Source : Pierre DANSEREAU, « Chez les jeunes - Jeune-Canada », dans l'Action nationale, Vol. 1, No 5 (mai 1933) : 267-272. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |