Controversy
Surrounding the Use of the French Language at the Eucharistic Congress of Montreal
[1910]
En
quelles circonstances Bourassa a parlé OMER HEROUX Le
Devoir publie, en ce numéro même le texte du discours prononcé en l'église
Notre-Dame de Montréal, à l'occasion du Congrès eucharistique international de
1910, à la fin de l'inoubliable soirée du samedi 10 septembre. Cela
s'imposait, du moment que l'on voulait évoquer les grandes campagnes, à la fois
religieuses et patriotiques, menées par le journal et son fondateur. Car
ce discours reste la plus haute, la plus fameuse, la plus retentissante expression
aussi de l'esprit qui les animait. Mais,
chose singulière, ce discours de Notre-Dame, passé à l'état de légende, dont les
auditeurs survivants ne parlent encore qu'avec un profond émoi, est beaucoup plus
célèbre que réellement connu. Ce
que l'on ignore Pour
combien de gens ne se résume-t-il pas simplement en une dramatique et rapide passe
d'armes, à propos de la question de langue, entre l'éminent archevêque de Westminster,
Mgr Bourne, et le fondateur du Devoir? Or,
en fait, ce fut bien autre chose. Le texte que nous reproduisons aujourd'hui le
rappelle éloquemment. On y verra que la partie langue et religion n'en couvre
que la moitié. Avant de l'aborder. M Bourassa avait taillé en pleine chair vive,
pourrait-on dire, au plus sensible des préoccupations d'alors. Il
avait, particulièrement, réclamé la création de cette organisation syndicale catholique,
à laquelle il devait plus tard apporter un si puissant et si dévoué concours.
Il avait vigoureusement mis en garde ses auditeurs contre le danger de l'infiltration
dans tel ou tel secteur de l'enseignement du neutralisme religieux. Il avait affirmé,
avec une ardeur à laquelle son propre passé donnait une singulière éloquence,
le droit et le devoir de notre province de réclamer la plénitude des droits des
minorités catholiques dans toutes les provinces protestantes de la Confédération.
Et c'est ce qui lui
valut, non pas la première, mais l'une des plus grandes ovations qui devaient
tant de fois se renouveler pendant la dernière partie de son discours. Ce n'est
qu'après cela qu'il aborda la question de langue. Il
n’était peut-être pas mauvais que, l'occasion s'y prêtant, on le rappelât. Les
procédés oratoires de M. Bourassa On
a écrit qu'au début de son discours, M. Bourassa, ostensiblement, mit de côté
le texte qu'il avait préparé, pour commencer sa réplique à Mgr Bourne. Cela fait
très dramatique, mais nous n'avons pas souvenir que les choses se soient ainsi
passées. Il est évident,
même s'il eut été, en tout état de cause, décidé à poser ce soir-là la question
de langue que M. Bourassa dût improviser, dans la forme tout au moins, la finale
de son discours; mais cela ne lui fit point sacrifier le reste. Du
reste, nous doutons fort que le grand orateur eût écrit son discours. Cela n'était
pas dans sa manière, et il existe très peu de discours qu'il ait écrits avant
de les prononcer. Son procédé habituel, dans les circonstances les plus graves
même était autre: il méditait profondément sa matière, il traçait du discours
projeté un schéma très méthodique, souvent aussi très détaillé: sa feuille de
route, comme il disait. Pour le reste, il se fiait à sa facilité d'improvisation,
qui lui permettait d'utiliser les faits imprévus, les incidents de circonstance.
Toute la première
partie du discours de Notre-Dame révèle cette méthode, atteste cette tournure
d'esprit. On y voit l'auteur faisant allusion aux allocutions prononcées la veille
et le soir même par d'autres orateurs. L'atmosphère
et les circonstances Au
fond, c'est toute une étude qu'il faudrait consacrer à la dernière partie du discours
de Notre Dame, à celle qui a laissé dans les mémoires un si profond souvenir,
et dont le retentissement fut tellement extraordinaire. Pour expliquer ce qui
s'est passé ce soir-là dans la vieille église montréalaise, il faudrait analyser
à fond les circonstances et l'état d'esprit qui, seuls, le rendirent possible.
Nous n'avons ni le
temps ni la compétence qu'il y faudrait. Bien plus, nous sommes contraint d'écrire
ceci au cours d'une convalescence qui est loin d'être achevée. Mais, peut-être,
pour incomplètes qu'elles soient, ces notes d'un témoin, qui tâche de se souvenir
fidèlement, offriront-elles quelque intérêt. Nous
les donnons pour ce qu'elles valent, tout simplement. Nous
n'ajouterons, ici, que deux mots. M. Bourassa est entré à Notre-Dame ignorant,
comme tout le monde ou à peu près, ce qu'y dirait l'archevêque de Westminster
et avec une grande admiration personnelle - qui transparaît à travers sa fameuse
réplique même -, pour l'éminent prélat. Il
arrivait là en apologiste peut être, sûrement pas en gladiateur. Intervention
soigneusement préparée Du
côté Bourne, si l'on ose dire , - mais le vénérable archevêque de Westminster
fut-il, en cette affaire, autre chose qu'un instrument de grande classe, entraîné
et manœuvré par d'autres? - l'attaque avait été soigneusement organisée. Nous
le tenons de Mgr Bourne lui-même. Dans
l'entrevue, qu'à sa demande, il eut avec M. Bourassa, au lendemain du discours
de Notre Dame (l'archevêque s'était fait accompagner de son secrétaire, Mgr Jackman,
et j'accompagnais M. Bourassa), il s'expliqua là-dessus en termes très nets: Tous
les mots de ce discours ont été soigneusement pesés, nous dit-il. Il ne nous laissa
point ignorer non plus que le texte, imprimé ou miméographié, nous l'ignorons,
et remis par l'orateur au Légat, au moment où il se dirigeait vers la tribune,
avait été préalablement vu par d'autres et qu'on avait prévu qu'il pourrait provoquer
quelque émoi. They
told me, précisa-t-il, (nous ne nous rappelons point exactement les quelques mots
qui suivirent, mais ils faisaient sûrement allusion à ce contrecoup possible)
but that the after results would be so beneficient that it was worthwhile. Ainsi
ces conseillers, ou ces incitateurs, avaient bien prévu que les paroles de l'archevêque
pourraient susciter quelque commotion, mais ils croyaient que les résultats subséquents
seraient si bienfaisants que le risque en valait la peine. Nos
souvenirs ne nous permettent malheureusement point de préciser si ce they visait
les personnages d'Amérique ou d'outre-Atlantique (peut-être de l'un et de l'autre
côté de l'océan), car Mgr de Westminster ne s'était pas directement rendu de son
archevêché à l'église Notre-Dame: il avait eu le temps de prendre de ce côté-ci
de l'Atlantique des contacts particuliers. C'est
un point que pourront essayer d'éclaircir les historiens, et qui ne manquerait
pas d'intérêt. Publicité
méthodiquement organisée En
tout cas, le discours avait été soigneusement préparé et l'on avait prévu une
partie, tout au moins, de son retentissement possible. Autre
fait, facilement vérifiable et qui montre que des dispositions avaient été prises
pour assurer aux paroles de l'archevêque de Westminster un très vaste retentissement.
C'est le samedi soir
qu'eut lieu la réunion de Notre-Dame. La Gazette de Montréal ne pouvait en parler
que le lundi suivant et elle devait, en même temps, raconter tout ce qui s'était
passé le samedi et le dimanche. Or, l'on n'a qu'à se reporter à ce numéro du lundi
matin, pour constater que le discours de M. Bourassa n'y tient qu'un assez bref
espace, dans un vaste compte rendu d'ensemble, tandis que celui de Mgr Bourne
y est publié à part, intégralement, avec des titres spéciaux, en place particulièrement
visible. Et nous
tenons de Mgr Georges Gauthier, qui était secrétaire du Congrès qu'aux bureaux
de celui-ci on reçut quelque soixante-quinze textes de ce genre. L'on
n'avait à peu près rien négligé pour assurer à cette manifestation, faite dans
un milieu aux neuf dixièmes français, le retentissement maximum. L'on
paraissait avoir à peu près tout prévu, sauf la riposte de M. Bourassa. La
réaction de M. Chapais et celle des trois évêques Mais
il faut ajouter, pour fixer l'atmosphère de pareilles heures que cette riposte
faillit d'abord être celle de M. Chapais. Celui-ci devait parler immédiatement
- ou presque aussitôt - après Mgr Bourne: il avait préparé un discours fort éloquent,
où il avait mis le meilleur de sa science et de son talent. Or, il faillit écarter
ce discours pour répondre, sur-le-champ, à l'archevêque de Westminster. Nous
le tenons de lui-même. Il ne recula - il lui fallait se décider très vite - que
devant la crainte de provoquer d'excessives manifestations. Mais
que pareille tentation ait assailli un homme que l'on ne pouvait sûrement qualifier
de tête chaude, qu'il ne l'ait rejetée qu'après une certaine hésitation suffit
à marquer l'effet produit sur les auditeurs immédiats de Mgr de Westminster, ainsi
que l'état d'esprit des plus sages et des plus modérés parmi eux et le sens qu'ils
attribuèrent au discours de l'illustre prélat. Mgr
Bourne, encore que, ancien élève de Saint-Sulpice de Paris, il dût connaître fort
convenablement le français, s'exprima tout naturellement dans sa langue maternelle.
Il lisait son texte d'une à voix plutôt basse, qui ne paraissait chercher aucun
effet. Le sens exact, la portée possible de ce discours durent même échapper à
une assez forte partie de l'auditoire. Mais, dans le voisinage de l'orateur, on
fut tôt frappé de ce qu'enfermait, en réalité, d'explosif, ce texte d'allure si
calme, dont tous les mots avaient été soigneusement pesés. Nous venons de signaler
la réaction de M. Chapais. Nous noterons tout de suite celles, non moins et peut-être
plus caractéristiques encore, de NN. SS. Langevin, Larocque et Latulipe, celle
de M. Bourassa lui-même. "II
ne faut pas que cela reste là !" Mgr
Langevin était dans le choeur, à la première rangée, séparé par M. Jules Allard,
alors ministre provincial, de M. Bourassa, qui avait lui-même pour voisin de gauche
Pierre Gerlier, le futur cardinal-archevêque de Lyon, alors l'une des hautes espérances
du Barreau de Paris. Mgr Larocque était dans la seconde rangée, derrière M. Bourassa
et, comme il était un peu dur d'oreille, il se penchait pour suivre le mieux possible
les orateurs. Mgr Latulipe était très près de son collègue de Sherbrooke. A
un moment donné, M. Bourassa, soudainement alerté, expliquait à son voisin de
gauche, auquel il traduisait la substance des discours anglais: Il faut m'excuser,
il faut maintenant que je suive de très près ce qui se dit. En même temps, Mgr
Larocque, la main en cornet autour de l'oreille, s'exclamait: Mais qu'est-ce qu'il
dit? et Mgr Langevin, se tournant vers son vieil ami Bourassa, lui jetait par-dessus
la tête de M. Allard: Vous n'allez pas laisser cela, là, Bourassa. Très calme,
mais les traits un peu tendus, M. Bourassa répondait, sans bouger: Non, Monseigneur,
cela ne restera pas là, tandis que Mgr Latulipe, qui avait entendu le bref dialogue,
ajoutait de sa voix lente, grave et ferme: Il ne faut pas que cela reste là. La
réaction de ces évêques, tous trois hommes d'âge et d'expérience, tous trois familiers
avec les milieux anglophones, était, au fond, aussi significative, aussi tragiquement
éloquente, que devait l'être une heure plus tard l'inoubliable manifestation de
l'auditoire. Sans
Mgr Bourne, la question eut-elle été posée? Beaucoup
se sont demandé si, sans l'intervention de Mgr Bourne, le grave et brûlant problème
qu'il y posa eût été porté à Notre-Dame. Nous confessons n'en rien savoir et n'avoir
jamais osé interroger à ce sujet, bien que nous eussions, en ce temps-là, l'occasion
de le voir presque quotidiennement, et de causer longuement avec lui, l'homme
qui devait apporter au vénérable archevêque de Westminster la réplique qui fait
aujourd'hui partie de l'histoire religieuse de notre pays. Visiblement,
M. Bourassa n'aimait point qu'on lui parlât de cette soirée où il avait été acclamé
comme nul, en des circonstances analogues, ne le fut probablement jamais chez
nous. Outre qu'il
n'est point de ces parleurs qui ont le goût, si l'on ose dire, de se gargariser
de leurs succès, les circonstances avaient été telles, l'effet si prodigieux et
dépassant tellement toutes les prévisions, qu'on devinait facilement que l'orateur
avait le sentiment d'avoir été le simple et docile instrument d'une puissance
supérieure. De cela,
il était trop intelligent. trop profondément chrétien aussi, pour tirer une vanité
quelconque. Le problème
qui devait faire l'objet de l'émouvant débat de Notre-Dame hantait et passionnait
alors en Amérique française des centaines de milliers d'intelligences. M. Bourassa
n'échappait point à ce souci. Deux ou trois jours avant la scène historique, il
avait dit, devant un très petit nombre d'amis: Evidemment, jamais occasion ne
s'est présentée et ne se présentera peut-être de poser la question devant un pareil
auditoire; d'autre part, il y a le grave danger de paraître abuser d'une aussi
exceptionnelle circonstance... Sa
décision, à ce moment, ne paraissait pas encore prise. Les
sentiments de fond de l'orateur Mais
qu'il eut ou non décidé, au début de la soirée, de poser publiquement la question,
il est certain que le grand orateur n'envisageait celle-ci que dans une lumière
profondément religieuse, avec un très vif souci du respect de l'autorité. Ceux
qui ont causé avec lui dans le temps, qui connaissaient bien ce que l'on pourrait
appeler ses sentiments de fond, ne peuvent avoir là-dessus le moindre doute. Rien
ne saurait le mieux prouver d'ailleurs que ce qui s'est passé et qui a vivement
frappé tous les observateurs. L'un d'eux, prélat étranger et qui était l'hôte
de l'un de nos amis, le dit en sortant de la réunion. J'admire, confia-t-il à
son hôte, que M. Bourassa ait pu faire un pareil discours; je l'admire surtout
pour ce qu'il a su ne pas dire. Songez
aux circonstances. Quelqu'un que je connais bien demandait à l'orateur peu de
temps après: Quelle impression avez-vous éprouvée quand Mgr Bourne aborda cette
partie de son discours? - J'ai eu, répondit-il, - c'était entre intimes - le sentiment
qu’un f faisceau de lumière balayait la route... Sur
Ia défensive Toutes
ses hésitations, s'il en avait encore, étaient du coup supprimées: on le jetait
sur la défensive. L'intervention spontanée des trois évêques confirmait sa réaction
propre. Le maître de l'improvisation n'avait plus, pendant les deux ou trois discours
qui devaient précéder le sien, qu'à ordonner la matière qui faisait presque partie
déjà de sa substance cérébrale. qu'à l'adapter aux circonstances nouvelles. Pas
plus dans la partie que l'on pourrait qualifier de réponse à Mgr Bourne que dans
le reste, le texte que le Devoir publie aujourd'hui, et qui fut donné, pour la
première fois dans la semaine même qui suivit le congrès, n'a été modifié ou altéré
en quoi que ce soit. C'est la reproduction littérale de la sténographie faite
par l'un des plus remarquables spécialistes du temps, M. L.-A. Cusson. M.
Cusson a eu le soin de marquer les mouvements de l'auditoire. Cela était nécessaire
à l'intelligence du discours; cela expliquait, par exemple, pourquoi telle pensée
n'avait été, pour ainsi dire, qu'indiquée: on n'éprouve pas le besoin de faire
de longs développements quand les acclamations de milliers et de milliers de personnes
viennent de prouver que votre parole exprime la pensée et les sentiments de tous.
Cela explique que selon la formule d'Hello il y ait dans toute cette partie du
discours, plus d'unité organique que d'unité mécanique. Cela
explique aussi que tel compte rendu qui fait abstraction de toutes ces manifestations
de l'auditoire, qui colle simplement côte-à-côte des phrases que séparaient des
acclamations et des ovations, donne si peu l'idée de ce qui s'est réellement passé.
L'atmosphère de
la soirée Cela
surtout permet de deviner l'atmosphère de la soirée. En
fait, et tous les survivants peuvent le confirmer, ce qui se passa pendant la
dernière partie du discours fut quelque chose d'extraordinaire, d'inouï, d'invraisemblable
presque, que nul, pas plus l'orateur que ses auditeurs, n'aurait pu prévoir. La
grande nef et les tribunes de Notre-Dame étaient remplies à déborder. Cet énorme
auditoire, debout, battant des mains, paraissait ne faire qu'un avec l'orateur,
ponctuait d'applaudissements et d'acclamations frénétiques presque chacune de
ses phrases, les chargeait d'un maximum de sens et d'émotion, semblait y faire
passer l'âme même de tous les groupes français d'Amérique. Le
lendemain, un Franco-Américain à qui l'un de nos amis demandait: Étiez-vous à
Notre-Dame? lui montrait ses mains encore endolories de tant d'applaudissements
et disait simplement: Voyez! J'aperçois
encore l'un de mes voisins, conférencier connu d'un bout à l'autre de l'Amérique,
qui, debout et ne s'entendant probablement pas parler, pointait le choeur d'un
geste qui balayait tout et s'écriait: Il n'y a là personne qui puisse parler comme
cela! Il n'est pas
vrai, comme on l'a écrit,' qu'au sortir de l'église la foule improvisa, dans un
élan d'enthousiasme, une sorte de bal public: cela n'est pas dans nos moeurs;
mais ce qui est vrai, c'est que pendant des heures les auditeurs de Notre-Dame
ne purent parler d'autre chose que de ce qu'ils venaient de voir et d'entendre.
Un groupe de Québécois,
parmi lesquels, si nous ne nous trompons, Mgr P.-E. Roy et Adjutor Rivard, qui
logeaient à l'Institution des Sourdes-Muettes, rue Saint-Denis, ne se couchèrent
que vers les quatre heures du matin, allant d'une chambre à l'autre échanger observations
et commentaires. La
parfaite correction de l'orateur D'ailleurs,
il suffit de causer avec les survivants pour éveiller chez eux, après quarante
ans, les échos du vieil enthousiasme. Lorsque,
à son arrivée à Dorval pour les grandes fêtes mariales, trente-sept ans après
l'événement, quelqu'un s'avisa de demander à Pierre Gerlier, devenu cardinal et
primat des Gaules: Vous étiez à Notre-Dame, Eminence? l'ancien avocat à la Cour
d'appel de Paris s'exclama: Si j'y étais... Je m’en souviens comme si c'était
d'hier... Or, relisez
le discours de l'homme, impressionnable comme tous les orateurs de grande classe,
qui était au centre de cette tempête et de ce triomphe, que fouettaient ces acclamations
sans fin, qui épuisé de fatigue, se demandait s'il pourrait aller jusqu'au bout
de ce qu'il voulait dire, vous n'y trouverez pas un mot qui détonne, pas un accent
qui ne soit digne de la Cause qu'il défendait, du milieu où il parlait, des adversaires
auxquels il répondait. Et
c'est assurément l'un des aspects les plus beaux, les plus émouvants, les plus
étonnants, les plus significatifs aussi, peut-être. de cette extraordinaire aventure.
Pour la petite
histoire Le texte
que le Devoir publie aujourd'hui se termine d'une façon assez abrupte. Il
y a de cela une explication très simple, plutôt prosaïque, qu'il peut être utile,
cependant, de noter, pour l'opposer à des légendes possibles. Tous
les auditeurs purent constater que c'est après que Mgr Bruchési lui eut dit quelques
mots que M. Bourassa termina plutôt brusquement son discours. Que
s'était-il passé? L'orateur,
forcé de répondre à une thèse adverse, avait nécessairement dû donner à la partie
langue de son discours un développement singulièrement plus considérable qu'il
ne l'eût fait, même s'il avait eu l'intention première d'exposer sa propre thèse.
Puis, les acclamations,
les ovations qui, tant de fois, lui coupèrent la parole, avaient pris presque
autant de temps que cette parole même. Le
grand public, emporté par le tragique passionnant de la scène, ne s'arrêtait guère
à y penser, mais l'heure coulait quand même, et le Légat, vieillard qui devait
tenir dans la journée du lendemain de si lourdes fonctions, désirait, avant la
minuit, prendre une collation. Il sentait à la fois la fatigue et la faim. Il
l'indiqua à Mgr Bruchési. D'où
l'intervention du vénérable archevêque de Montréal et la finale hâtivement écourtée
du discours. Epilogue
Le lendemain, au
parc Jeanne Manche, lors de la très solennelle bénédiction du Saint Sacrement,
qui devait être l'une des plus imposantes manifestations du Congrès, les auditeurs
de Notre-Dame, les milliers et les milliers de catholiques qui s'étaient groupés
au pied du mont Royal, avaient la joie de s'associer à la prière que lançait dans
le clair azur de ce bel après-midi d'automne la voix pénétrante de l'illustre
organisateur du Congrès. Bénissez
notre langue, gardienne de notre Foi! disait Mgr Bruchési et répétait la foule.
C'était la ratification
par tout un peuple de la thèse essentielle du discours de Notre-Dame. Omer
HEROUX Source: Special
issue of Le Devoir, October 25, 1952. Article reproduced in Hommage
à Henri Bourassa, Le Devoir, 1952, 216p., pp. 97-103 |