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revised: 23 August 2000 | Controversy
Surrounding the Use of the French Language at the Eucharistic Congress of Montreal
[1910] Discours
de Mgr Bourne au Congrès Eucharistique de Montréal (1910) Eminentissime
Cardinal Légat, Eminences, Messeigneurs,
Révérends Pères, Mesdames
et Messieurs, C'est'
à peine une exagération de dire qu'à l'heure actuelle, les regards du monde entier
sont tournés vers le Canada. Il est au moins absolument vrai que chez nous, en
Angleterre, il y a des hommes de toute condition qui pensent au Canada comme ils
n'y ont jamais pensé encore. Pour quelques-uns, c'est le pays où ils espèrent
voir se réaliser les espérances d'une prospérité que leur propre patrie est incapable
de leur donner. D'autres se préoccupent des problèmes de la Fédération impériale
ou des relations de commerce. Ceux qui réfléchissent ne peuvent perdre de vue
la possibilité qu'un jour ou l'autre, la longue étendue des côtes du Pacifique,
qui terminent les fertiles régions de la Colombie Britannique, demandent à être
protégées contre une invasion venue de l'Extrême-Orient. C'est vraiment par une
disposition spéciale de la divine Providence que Sa Grandeur Mgr l'archevêque
de Montréal a convié le Congrès eucharistique à s'assembler dans cette cité, concentrant
ainsi sur le Canada l'attention du monde catholique tout entier, à l'heure même
où le Dominion commence à jouer, dans l'histoire du monde. un rôle si grand qu'il
est impossible de prédire son étendue ou d'exagérer la grandeur de son avenir.
Rôle de l'Eglise
En notre qualité
de membres du Congrès, désirant de tout notre coeur l'établissement sur la terre
du royaume de Dieu qui est sa Sainte Eglise catholique, nous pouvons nous demander
quel rôle l'Eglise jouera dans la croissance rapide d'un grand peuple comme celui-ci.
Il y a, dans la réponse à cette question, un problème et une occasion si considérables
que !'Eglise, dans sa longue histoire, a eu rarement, sinon jamais, une semblable
question à envisager. La solution de ce problème, en même temps que la manière
dont on profitera de cette occasion influeront non seulement sur les destinées
du Canada, mais sur celles de l'Eglise dans le monde entier. L'histoire
primitive L'histoire
primitive du Canada fait partie de l'histoire de l'Eglise catholique. Les premiers
colons qui vinrent ici ne parlaient qu'une langue et n'avaient qu'une voix pour
exprimer leur croyance religieuse; et le développement du pays a marché parallèlement
au progrès de la foi chrétienne, dont l'Eglise catholique est la dépositaire.
Le Canada a contracté envers l'Eglise catholique une dette que n'oseront guère
contester ceux qui sont les plus opposés à ses enseignements. D'autre part, la
puissance et l'influence de l'Eglise catholique, pendant toute l'histoire primitive
de la colonie, sont dues, en grande partie, à ce fait que la langue et la littérature
du pays étaient tout entières du côté de l'Eglise catholique La langue française,
avec laquelle s'identifie le progrès de toute la vie de la nation, ne rendait
qu'un seul et même son, lorsqu'elle exposait au peuple les mystères de la religion;
soit que cette prédication fut faite à ceux qui étaient venus de France, patrie
de leurs ancêtres, soit qu'elle dût être ensuite traduite aux différentes races
qui furent, autrefois, maîtresses du pays. "Une
autre langue" Aujourd'hui,
les circonstances sont considérablement changées. Très lentement d'abord, et maintenant
avec une rapidité incalculable, une autre langue est en voie de prendre une importance
supérieure dans les choses ordinaires de la vie. Il serait, en vérité, extrêmement
regrettable que la langue française, qui fut si longtemps l'expression unique
de la religion, de la civilisation et du progrès de ce pays, perdît jamais une
partie de la considération et de la culture dont elle jouit au Canada. Mais personne
ne peut fermer les yeux sur ce fait que, dans les nombreuses villes dont l'importance
augmente constamment dans toutes les provinces de l'Ouest du Dominion, la plupart
des habitants emploient l'anglais comme leur langue maternelle, et que les enfants
des colons qui viennent de pays où l'anglass n'est pas parlé, parleront aussi
la langue anglaise, à leur tour. L'avenir
de l'Eglise et la langue anglaise Et
cette réflexion nous amène à la racine même du problème et en démontre toute la
complexité. Car, hélas ! tandis que la langue française était autrefois synonyme
d'unité dans la croyance religieuse, la langue anglaise a été, pendant plus de
trois cents ans, l'organe de la discorde, de la désunion et de la dissension,
chaque fois qu'il s'agissait des vérités chrétiennes. Et cependant si la puissante
nation que le Canada deviendra doit être gagnée et gardée à l'Eglise catholique,
cela ne s'accomplira qu'en faisant connaître à une grande partie du peuple canadien,
dans les générations qui vont suivre, les mystères de notre foi par l'intermédiaire
de notre langue anglaise. En d'autres termes, l'avenir de l'Eglise en ce pays,
et la répercussion qui en résultera dans les vieux pays de l'Europe, dépendront,
à un degré considérable, de l'étendue qu'auront définitivement la puissance, l'influence
et le prestige de la langue et de la littérature anglaises en faveur de l'Eglise
catholique. L'enjeu
Les différentes organisations
religieuses non-catholiques connaissent parfaitement ces nouvelles conditions.
Il ne vient pas un seul colon d'Angleterre en ce pays sans qu'on aille le rencontrer
là même où il débarque, et tout est mis en oeuvre pour le tenir en relation avec
les influences religieuses qu'il a connues dans son pays. Dans toutes les régions
qui sont des centres de progrès, on établit immédiatement, comme je l'ai vu récemment
de mes propres yeux, des temples, afin de perpétuer cet enseignement de division
qui est donné dans le monde, partout où la langue anglaise est parlée. On dépense
pour le même objet des sommes considérables, on fait un travail individuel intense.
L'avenir nous montrera si, une fois encore, à notre honte et à notre douleur,
notre langue anglaise doit être l'organe des divisions religieuses; ou si, par
l'effet de la grande miséricorde de Dieu envers cette nation du Canada, avec ses
anciennes et glorieuses traditions catholiques, l'Eglise est capable de donner
au peuple canadien, exprimée dans la langue anglaise, cette unité de croyance
religieuse, que seule elle a le pouvoir d'accorder. Importance
de la question Mes
vénérés frères, les archevêques et évêques du Canada, me pardonneront de traiter
un sujet qu'ils connaissent beaucoup mieux que moi, et de faire allusion à des
problèmes dont ils voient parfaitement l'existence. Mon seul objet est de permettre
à ceux qui jouissent comme moi de l'hospitalité de ce grand pays, de saisir quelque
peu l'importance de ces questions, qui, je le crois fermement, auront une influence
pour le bien ou pour le mal, non seulement sur les habitants catholiques de l'Amérique
britannique du Nord, mais sur l'Eglise de Dieu tout entière dans toutes les parties
du monde; c'est encore afin que ces problèmes à résoudre soient l'objet de notre
sympathie, de nos pensées et de nos prières. "En
plein accord" Et,
s'il m'est permis, j'aimerais à proposer que tous s'unissent dans la prière pour
que l'influence de la langue anglaise puisse enfin, malgré tout le mal qu'elle
a fait dans le passé touchant les questions religieuses, être amenée par Dieu
à devenir une force puissante pour le soutien et l'extension de l'unité et de
la vérité religieuses. En 1897, le Saint-Père Léon XIII, d'heureuse mémoire, instituait
l'archiconfrérie de Notre-Dame-de-Pitié pour susciter des prières dans le but
d'obtenir le retour de l'Angleterre et du pays de Galles au bercail de la seule
véritable Eglise de Jésus-Christ. Il a confié la direction de. cette Archiconfrérie
à la Compagnie de Saint-Sulpice, et je suis heureux, aujourd'hui, de pouvoir donner
un témoignage public de ma reconnaissance aux prêtres de cette vénérable Compagnie,
pour le zèle et l'esprit de sacrifice qu'ils ont manifestés dans l'accomplissement
de leur tâche.. Plus tard, l'action de cette Archiconfrérie s'étendit sur l'Ecosse.
Mais le Royaume-Uni, tout important qu'il soit, n'est qu'une partie du monde de
langue anglaise; et j'aimerais à profiter de l'occasion que m'offre ce Congrès
catholique international, le second tenu à l'ombre du drapeau britannique, pour
proposer qu'on demande au Saint-Siège de rendre ,le but de l'Archiconfrérie de
Notre-Dame-de-Pitié plus : universel encore, de telle sorte que de toutes les
parties du monde, la prière monte vers le Trône de Dieu pour obtenir que toutes
les nations de langue anglaise sans exception, puissent , être: amenées à l'unité
de la Foi catholique et à l'obéissance au Siège apostolique. Ce n'est qu'en faisant
servir la langue anglaise à la cause de la vérité que le Canada peut devenir,
dans le vrai sens du mot, une nation catholique; et le spectacle du Canada uni,
exprimant également en français et en anglais les mêmes vérités religieuses, serait
pour l'Eglise de Dieu tout entière, une puissance d'une force irrésistible. J'ai
confiance que ma proposition ne vous paraîtra pas trop hardie et qu'elle trouvera
chez vous, une généreuse et sincère approbation. Je fais cette suggestion de plein
accord avec Leurs Eminences les cardinaux de Baltimore et d'Armagh et le supérieur
général de Saint-Sulpice. Une
occasion unique Qu'on
me permette de résumer ma pensée. Dieu a permis que langue anglaise se répandît
dans tout le monde civilisé et elle acquis une influence qui grandit toujours.
Tant que la langue anglaise, les façons de penser anglaises, la littérature anglaise
en un mot la mentalité anglaise tout entière n'aura pas été amenée à servir l'Eglise
catholique, l'oeuvre rédemptrice de l'Eglise sera empêchée et retardée. Toutes
les nations de langue anglaise peuvent aider à cette grande tâche : l'Angleterre,
l'Irlande; l'Ecosse, les puissants Etats-Unis d'Amérique, l'Australie, la Nouvelle-Zélande,
l'Afrique du Sud et les Indes britanniques. Mais le Dominion du Canada, à cause
de ses traditions catholiques si anciennes et si profondément enracinées, à cause
des perspectives magnifiques de progrès qui s'ouvrent devant lui, peut aujourd'hui,
plus que tous les autres, rendre un grand service en ce sens. Et en accomplissant
sa part de travail, l'Eglise catholique du Canada non seulement contribuera à
faire avancer sa cause sacrée, mais, en même temps, elle donnera un courage plus
grand aux catholiques de langue anglaise dans le monde entier, et deviendra une
source de force toujours croissante et inlassable pour l'Eglise universelle. Il
y a là une occasion qui ne se présentera peut-être jamais plus. Au point de vue
humain, si on laisse échapper cette occasion, la perte sera incommensurable et
irréparable. La
langue maternelle J'ai
pu paraître m'écarter du but d'un Congrès eucharistique, qui est de glorifier
et de promouvoir la dévotion en la Très Sainte Eucharistie. Permettez-moi de vous
rappeler que, à l'ouverture du Congrès eucharistique Son Eminence le cardinal
légat nous a fait nous ressouvenir que le Saint-Sacrement a pris possession du
Canada, dès l'origine du pays. Cet empire de Notre Divin Maître s'est étendu graduellement,
à mesure qu'Il daignait prendre possession des humbles tabernacles établis dans
chaque village fondé sur le sol canadien. Mais cet empire ne sera pas complet
tant qu'un tabernacle n'aura pas été établi dans chaque groupe de ces colonies
du Grand Ouest et tant que près de ce tabernacle, des fidèles fervents ne seront
pas réunis pour adorer, dans la parfaite unité de leur foi, leur Seigneur et leur
Roi. Et ce jour, que nous espérons tous avec tant d'ardeur, ne peut pas se lever
tant que les doctrines de l'Eglise catholique n'auront pas été portées à la connaissance
de chaque enfant de la nation canadienne dans sa langue maternelle. et n'auront
pas .été acceptées et exprimées par lui dans la langue qu'il a apprise des lèvres
de sa mère. Source:
Hommage à Bourassa, Montreal, Le Devoir, 1952, 216p., pp. 104-107 |