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revised: 19 February 2001 | Controversy
Surrounding the Use of the French Language at the Eucharistic Congress of Montreal
[1910]
Mgr
Bourne, le Tablet, le Congrès eucharistique
de Montréal et le statut de la langue française dans le catholicisme de l'Ouest
du Canada par Raphaël
Gervais « Un congrès eucharistique,
précisément parce qu'il est international et qu'il réunit avec des prélats des
personnages considérables dans l'Eglise et dans l'Etat et d'autres hommes illustres
à un titre ou à un autre, mais sans ,juridiction d'aucune sorte, ne saurait avoir
pour mission de débattre des questions qui intéressent le gouvernement de l'Eglise
et qui sont exclusivement du ressort du Pape et des conciles. S'il y a au monde
et dans l'Eglise des assemblées où personne ne doit, les évêques moins que tout
autre, je ne dis pas susciter, mais mentionner et soupçonner les questions de
langues ou de races, et toutes celles qui peuvent risquer de diviser ou de désunir
les catholiques, ou seulement rendre moins éclatante la parfaite unanimité de
leurs pensées et de leurs sentiments, ce sont assurément celles des Congrès Eucharistiques
internationaux, auxquelles [sic] sont conviés les catholiques de toutes les races
et de toutes les langues pour manifester et accroître leur commune foi et religion
envers l'auguste Sacrement de l'unité et de la charité. Mais s'il y avait plus
d'un archevêque anglais dans le monde, ou si la malencontreuse initiative de Mgr
Bourne à Montréal devait se reproduire ou être imitée dans un autre pays, dans
un autre congrès, voit-on ce qui adviendrait bientôt des Congrès Eucharistiques?
Quel épiscopat et quel pays catholique en voudrait courir le risque ? Et le Saint-Siège
lui-même voudrait-il continuer à les promouvoir et à les exposer à de si inopportunes
et si irrégulières manifestations? «
Il y a, on le voit, au fond de notre critique, plus qu'une susceptibilité nationale
froissée, et celle-ci avait le droit d'être ménagée. «
Moins que tout autre, un évêque d'Angleterre devait descendre sur un terrain où
il risquait fort d'être odieux à ses hôtes et désagréable en pure perte au très
grand nombre de ses auditeurs. Si, en effet, nous sommes restés catholiques, ce
n'est pas grâce à l'Angleterre, c'est malgré elle. Encore aujourd'hui, sa politique
noierait volontiers l'influence catholique pour la supprimer. De l'Angleterre
catholique nous n'avons reçu dans nos luttes et nos difficultés ni aide, ni appui,
ni encouragement. Nos frères catholiques de l'Ouest en savent quelque chose :
toutes les sympathies des catholiques anglais, de leurs chefs au moins,
ont été acquises à ceux qui les ont lâchés et sacrifiés. Etait-ce bien au
successeur du cardinal Vaughan de venir nous dire ce qu'il faut pour établir le
règne du catholicisme dans l'Ouest, quand nous, Canadiens, nous savons que l'influence
catholique anglaise, celle de Westminster comme les autres, a été mise au service
de ceux qui ont maintenu l'expulsion du catholicisme des écoles du Manitoba
et de tout l'Ouest canadien? « Ajoutons
qu'à ce Congrès Eucharistique, qui n'avait nulle mission ni compétence pour étudier
les intérêts du catholicisme dans l'Ouest, toute une hiérarchie qui en a la garde,
qui a grâce d'Etat pour les comprendre et les sauver, et qui ne les connaît pas
seulement pour avoir fait deux mille milles en chemin de fer en trois semaines
(1), mais pour les avoir servis avec un héroïque dévouement pendant de longues
années et souvent toute une vie, comme savaient servir les apôtres, était là,
prête à dire, si c'en eût été le temps et le lieu, à quel prix et à quelles conditions
se peut, engendrer un peuple catholique, aujourd'hui comme en tous les siècles,
et par quelle culture la foi catholique se sème, germe, croît et mûrit à pleins
sillons. Etait-ce à un étranger qui ne les avait guère entretenus et consultés
de traiter le sujet devant eux sans aucune invitation pertinente et même d'y faire
une allusion ? «
On aurait compris, à la rigueur, même peut-être trouvé tout naturel qu'un évêque
catholique d'Angleterre, arrivant à Montréal par Vancouver et Winnipeg, parut
au Congrès profondément attristé et humilié d'avoir constaté de ses yeux que dans
ces immenses plaines de l'Ouest, où se préparent sous le drapeau de son pays les
fondations d'un grand empire, depuis soixante ans et plus que des apôtres en grand
nombre ont travaillé au prix de leurs sueurs et de leur sang à fonder des églises,
ni l'Angleterre, ni l'Irlande n'ont guère trouvé à y envoyer des apôtres ni des
missionnaires. On aurait trouvé naturel qu'il se tournât non vers le clergé de
l'Ouest pour lui demander de prêcher en anglais aux nouveaux venus, même à ceux
qui ne l'entendent pas, afin de donner à l'anglais une mentalité catholique, mais
vers le clergé d'Angleterre et d'Irlande, pour les exhorter à venir en grand nombre
dans l'Ouest, et avec grand zèle, et à y faire tant et de tels
travaux apostoliques qu'ils édifient là un immense empire catholique, lequel parlera
naturellement la langue de ses fondateurs et de ses pères. «
Si au moins le prélat anglais avait eu le mérite que lui fait son journal
(The Tablet) d'avoir le premier posé le problème de l'avenir du catholicisme
dans l'Ouest canadien et de l'avoir bien posé, la grandeur du service rendu aurait
pu faire passer par-dessus l'inconvenance du procédé et l'inopportunité du discours.
Mais le discours est venu cinquante ans trop tard pour poser le problème et pour
en indiquer la solution dans un milieu où tous les ecclésiastiques au moins et
un grand nombre de laïques connaissent infiniment mieux que l'orateur et depuis
bien plus longtemps les conditions religieuses de l'Ouest canadien. «
Pour le Tablet, qui évidemment n'en savait rien avant que son vénérable
patron eût fait cette merveilleuse reconnaissance des provinces de l'Ouest, personne,
ni au Canada ni à Rome, ne soupçonnait le problème de l'avenir religieux de l'Ouest
canadien, ni n'avait l'intelligence et la connaissance de la situation pour le
bien poser, ni la lumière et l'assistance d'en-haut, promise et donnée d'ordinaire
en d'autres pays à ceux qui ont mission de gouverner une église, pour en comprendre
et en servir les intérêts. Montréal a été le Cénacle, et le discours de Mgr Bourne
la véritable Pentecôte de l'Ouest canadien ! ! !... «
Je n'ai pas soixante ans, et il y en a bientôt cinquante que j'entends parler
du problème du catholicisme dans l'Ouest canadien. Il y en a sûrement soixante
et plus que nos évêques l'ont posé, étudié et ont commencé à le résoudre. Quand
ils envoyaient dans l'Ouest MM. Provencher, Dumoulin, Thibault, Laflèche, Poiré
et autres missionnaires pour évangéliser les sauvages et desservir les voyageurs
et les Métis, nos évêques avaient su poser le problème et lui donner la solution
convenable pour le temps. Plus tard, quand ils demandèrent au Saint-Siège de donner
à l'Ouest canadien son premier évêque et qu'ils consacrèrent Mgr Provencher, ils
posèrent. encore plus nettement le problème et lui donnèrent une meilleure solution.
Quand, à son tour, l'ange de cette nouvelle église ne pouvant trouver dans le
clergé séculier de nos diocèses en fondation les missionnaires en nombre suffisant,
appela à son aide les fils d'une Congrégation nouvelle, fondée en France (Oblats),
qui devaient être pendant plus d'un demi-siècle les incomparables, sinon les seuls
missionnaires de l'Ouest canadien, le problème continuait d'être de plus en plus
clairement posé et résolu. Plus tard encore, quand le premier évêque de la Rivière-Rouge
se fut couché, sa journée faite, dans les fondations de l'église de Saint-Boniface,
et que sur son tombeau, à la demande d'un Concile de Québec, Rome érigea le siège
d'une nouvelle provinces ecclésiastique, le problème ne fut pas seulement posé
: il fut résolu définitivement. « Partout
où le catholicisme s'est fondé, il s'est fondé sur un tombeau : le tombeau d'un
missionnaire ou d'un évêque. C'est la condition que Dieu a mise à la fécondité
du travail apostolique. il [sic] n'a pas promis la conquête des âmes à ceux qui
parleraient une langue ou une autre, ni à ceux qui voyageraient davantage et dans
le moins de temps possible (confortablement), mais à ceux qui sauraient vivre
et mourir sans récompense terrestre au seul service de son Evangile. Dieu est-il
jaloux de ses oeuvres et veut-il qu'on ne puisse dire qu'aucune de ses églises
n'a été faite de mains d'hommes ? Toujours est-il que, d'ordinaire, il la bâtit
et l'achève sur le tombeau de son principal ouvrier. Les hommes changent leurs
méthodes avec les temps et les lieux : Dieu n'en change jamais, parce que du premier
coup il a su trouver la bonne, celle qui atteint toujours son but, comme il le
veut, et quand il le veut. « Ce n'est
pas d'aujourd'hui que nous voyons se former dans l'Ouest un grand peuple, qui
sera probablement anglophone et sûrement matérialiste ou indifférent en religion,
sinon exactement protestant, si l'on continue de le recruter et de le multiplier
par les mêmes procédés. Mais ce résultat inévitable, si l'immigration est toujours
aussi mal dirigée et aussi mal recrutée, ne sera imputable ni à la hiérarchie
catholique de l'Ouest qui a toujours été admirable de zèle apostolique et de dévouement
à tous ses fidèles de toute race et de toute langue, ni aux Canadiens-Français
qui sont encore à l'heure présente, par leur nombre, leur groupement et leur organisation,
la grande force de résistance et le vrai point d'appui de l'influence catholique.
Il ne sera, pas davantage imputable à la langue française, la seule à peu près
qui fasse des conquêtes sérieuses au catholicisme dans l'Ouest comme dans les
autres provinces. Il est dû à bien des causes que personne n'ignore ici - je viens
d'insinuer la principale - et que ne supprimerait pas l'usage exclusif de l'anglais
- la langue de l'avenir - dans le ministère apostolique. «
Si le vénérable patron du Tablet et ses journalistes sont aussi impuissants que
nous à changer le mode d'immigration qui jette par centaines de mille chaque année
dans l'Ouest des multitudes de toute race et de toute langue, le très grand nombre
de religion non catholique et sans religion, quel moyen prendront-ils ou de transformer
en catholiques de langue anglaise ces multitudes d'irréligion anglaise ou cosmopolite,
ou de faire croître les groupes catholiques si merveilleusement qu'ils réussissent
à noyer à leur tour les populations protestantes ou sans religion sous lesquelles
on cherche à les noyer ? Suffira-t-il pour cela de catéchiser et de prêcher seulement
en langue anglaise, même ceux qui ne la comprennent pas ? Et, des catholiques,
c'est encore le grand nombre. « On dira
que le ministère en langue anglaise recruterait peut-être un grand peuple catholique
parmi ces multitudes élevées dans le protestantisme et l'irréligion. Si ces multitudes
sont si faciles à convertir au catholicisme, pourquoi le clergé anglophone ne
tente-t-il pas l'entreprise ? Pourquoi ne cherche-t-il pas à les convertir en
Angleterre et dans l'ouest des Etats-Unis d'où elles nous viennent en plus grand
nombre ? S'ils ne sont guère convertissables, là-bas, le seront-ils davantage
ici ? Donc compter sur des conversions innombrables parmi ces recrues, c'est le
rêve de penseurs qui ne pensent jamais les yeux ouverts. «
Sans doute, Dieu peut toujours, s'il le veut, « faire avec des pierres des enfants
d'Abraham » ; il n'est même pas nécessaire
qu'il parle anglais pour y réussir ; mais ces miracles de conversion en masse
au catholicisme de populations nées et élevées dans le protestantisme, l'indifférence
religieuse ou le pur matérialisme, sans une révélation plus claire, a-t-on le
droit d'y compter, à la seule condition qu'on ne se serve que de l'anglais pour
faire le ministère dans l'Ouest canadien? «
Voyons les succès miraculeux du ministère de langue anglaise dans l'Amérique du
Nord. L'histoire du passé nous donnera peut-être quelques indications pour prévoir
l'avenir. « De l'autre côté de
nos frontières il y a tout un peuple d'évêques et de prêtres, généralement de
langue anglaise, « qui prêchent en anglais, qui prient en anglais, qui confessent
en anglais, qui catéchisent en anglais ». Que ne font-ils dans la République voisine ce grand
peuple catholique qui saura infuser à la langue anglaise sa mentalité catholique
? Hélas ! au lieu de faire d'immenses conquêtes sur le protestantisme et l'infidélité,
ils ont laissé passer la moitié au moins de leurs catholiques à l'hérésie ou à
l'irréligion. En soixante ans, bien qu'ils aient reçu constamment de tout pays
des catholiques par millions, ils ont réussi à faire un peuple de cinquante millions
d'infidèles contre trente millions de baptisés, dont plus de la moitié n'ont guère
de pratique religieuse et échappent totalement à l'influence catholique. Et si
des millions de catholiques slaves, italiens, portugais et canadiens n'avaient
pas été gardés à la foi catholique par des prêtres de leur langue et de leur nationalité,
y aurait-il aujourd'hui plus de six ou sept millions de catholiques au lieu des
trente millions qu'on y devrait trouver ? «
Dans notre propre pays, le ministère de langue anglaise a eu depuis cinquante
ans des désastres moins triomphants; mais il a encore le droit d'être plus modeste
dans ses succès sinon dans ses ambitions. Le catholicisme a pu faire là quelques
conquêtes individuelles mais pas assez pour réparer ses pertes continuelles. Dans
toutes ces provinces, l'influence catholique ne se maintient et n'a de chance
d'avenir que par l'envahissement des catholiques de langue anglaise, envahissement,
il faut le dire, moins redouté et moins jalousé par les protestants que par les
catholiques de langue française. Dans les campagnes de l'Ontario, m'écrit un haut
personnage bien au courant, les catholiques de langue anglaise ont décru de 75
% en quelques années. Ce n'est pourtant pas que les évêques de London, d'Alexandria
et du Sault-Sainte-Marie aient manifesté des sympathies trop ardentes pour le
français. II ne suffit donc pas toujours de prêcher en anglais pour assurer un
immense développement au catholicisme dans l'Amérique du Nord, ni pour faire une
langue catholique de la langue anglaise. «
Que le Tablet et son patron trouvent un autre moyen plus sûr et plus infaillible
de faire un grand empire catholique dans l'Ouest et ils pourront compter non seulement
sur la sympathie, mais sur la coopération effective des Canadiens-Français, à
commencer par les évêques. Car, grâce à Dieu, jusqu'à présent, nos évêques canadiens-français
n'ont pas été, en général, recrutés parmi les chasseurs de mitres et de crosses,
et il n'y en a pas un seul qui ne fût prêt à céder volontairement son siège, s'il
y voyait un avantage pour la foi catholique et le bien des âmes. Ils n'ont pas
peur d'être aidés surtout par des ouvriers de choix et de mérite, et si un désir
leur tient plus au coeur que la vie, c'est celui d'avoir en grand nombre des ouvriers
évangéliques de toute langue et de toute race qui fassent plus de fruit qu'eux-mêmes
en pro pageant à l'infini la vraie vigne de Jésus-Christ. S'il n'y a pas, en plus
grande abondance, dans l'Ouest des ouvriers évangéliques de toute race et de toute
langue ; si surtout il y en a si peu que rien de race irlandaise et
de langue anglaise, ce n'est pas sûrement la faute des évêques qui n'ont pas
cessé de les désirer, de les rechercher et de les demander. «
De même, ce n'est pas la faute des évêques, ni des CanadiensFrançais, ni de la
langue française, si parmi ces multitudes d'immigrants de langue anglaise qu'on
dévale chaque année d'Angleterre et des Etats-Unis dans l'Ouest canadien, il y
en a si peu qui soient catholiques. Et si ces multitudes de protestants et d'incroyants
engendrent naturellement des incroyants et des protestants, la faute en est-elle
au ministère catholique qui se fait en langue française aux catholiques canadiens-français,
en ruthène aux catholiques ruthènes, en allemand aux catholiques allemands ! Ne
suffit-il pas de rappeler nettement les faits et les circonstances qu'ici personne
n'ignore pour faire justice de rêveries, de suppositions et de chimères, qu'on
peut faire entrer dans les esprits les plus droits et les plus élevés quand on
sait les renseigner à la vapeur, ou les faire regarder à travers des lunettes
fortement colorées et travaillées habilement par l'ambition et l'esprit de coterie.
Il suffit de parler bon sens pour montrer combien sont ridicules et grotesques
les éloges dithyrambiques du Tablet de la campagne malheureuse et inconsidérée
de Mgr Bourne au Canada, et combien le prélat et le journal connaissent imparfaitement
une situation sur laquelle ils ont entrepris de philosopher pour éclairer l'Eglise
et le monde. « Donc, sans un miracle
toujours possible, sans doute, mais que rien n'autorise à pronostiquer, l'établissement
d'un grand peuple catholique de langue anglaise dans l'Ouest est parfaitement
improbable. Toutes les raisons qui persuadent à Mgr Bourne que les peuples de
l'Ouest parleront un jour exclusivement l'anglais prouvent aussi fortement qu'ils
ne seront pas en majorité catholiques, quelle que soit la langue parlée par les
évêques et par les prêtres. « Deux faits
incontestables surtout, nous obligent à le supposer. Le premier, c'est que l'immense
majorité, la presque totalité des immigrants de langue anglaise, qu'ils viennent
d'Angleterre ou des Etats-Unis, est protestante ou sans religion. Le deuxième,
c'est que les petits groupes de catholiques de langue anglaise disséminés au milieu
de groupes protestants beaucoup plus nombreux, au lieu de se recruter et de s'accroître
au, détriment de l'ennemi, se laissent facilement pénétrer et dissoudre par les
infiltrations protestantes et se fondent peu à peu dans la masse commune, surtout
dans les campagnes. C'est l'histoire constante de la plupart de ces groupes aux
Etats-Unis et dans les provinces anglophones du Canada, sauf dans les villes où,
plus nombreux et mieux surveillés, ils parviennent à se maintenir et parfois à
se développer. « Forcer les catholiques
de langues diverses à ne recevoir qu'en anglais, dès la première génération, l'enseignement
religieux, ne serait pas un moyen efficace de réparer les pertes de catholiques
de langue anglaise ; ce serait au contraire un moyen, très sûr et très efficace,
de les éloigner du catholicisme et de les pousser au protestantisme et à
l'irréligion. L'expérience n'est plus à faire. C'est ce système cher à
certains pasteurs, non pour multiplier les catholiques et conserver la foi des
fidèles, mais pour simplifier le travail du ministère et grossir les revenus des
paroisses, qui a valu tant d'apostats au Vermont, au New-York et aux États de
l'Ouest américain. « Humainement, il
n'y a que deux moyens de faire à brève échéance un grand peuple catholique dans
l'Ouest canadien. « Le premier, le plus
prompt et le plus sûr, serait de diriger sur l'Ouest une très forte immigration
de catholiques instruits et fermes dans leur foi, quelles que soient leur langue
et leur nationalité, et de les grouper là autour de prêtres autant que possible
de leur race, qui parlent leur langue, connaissent leurs moeurs et, par leur désintéressement
et leur dévouement, gagnent leur confiance et leur sympathie. Si le Tablet et
son patron sont de taille à mener avec succès une campagne sérieuse en ce sens,
nous ne refuseront pas d'en être, et vraiment s'ils réussissent à amener dans
l'Ouest une immigration en grande majorité catholique, nous leur passerons de
vouloir que cette majorité parle surtout l'anglais. «
Le deuxième moyen serait d'obtenir qu'au moins on ralentisse le courant de l'immigration
et que l'on cesse de noyer chaque année les groupes catholiques déjà établis sous
des flots innombrables de populations protestantes ou sans foi, religieuse, et
de mettre les groupes catholiques de diverses races dans les meilleures conditions
pour qu'ils se développent par la natalité en attirant de bons éléments de leur
lieu d'origine et en conservant leur mentalité religieuse. A ces groupes il faudrait
des écoles catholiques où l'on enseignerait aux enfants, avec la langue maternelle
qui doit former leur esprit et leur coeur,
la langue du pays qui leur sera nécessaire pour leurs affaires et les relations
avec les autres groupes de population. «
Sans ces deux moyens, il est parfaitement chimérique d'espérer voir à brève échéance
un grand peuple catholique dans l'Ouest canadien. Est-ce à dire que le catholicisme
doive renoncer définitivement à régner un jour sur l'Ouest ? Non, parce qu'il
peut toujours attendre, il peut toujours tout espérer. «
Qu'un jour ou l'autre, dans dix ans ou dans quinze âns, le flot de l'immigration
étrangère se ralentisse (et la guerre mondiale n'aura-t-elle pas cet effet ?),
soit que l'Ouest désormais mieux rempli promette à de moins faciles conditions
l'aisance et la fortune, soit qu'une politique sage et prévoyance et moins esclave
des spéculateurs exige des immigrants des garanties plus sérieuses au point de
vue du bien général du pays, du maintien de la paix, de l'ordre et des bonnes
moeurs et des traditions du peuple canadien, aussitôt les éléments d'importation
récente n'étant plus sans cesse renouvelés et refaits par le dehors, ne
pourront plus lutter avec les groupes catholiques plus anciens dans le pays et
qui ont appris à se multiplier par eux-mêmes, sans
attendre que de Dieu et de l'observation de ses lois saintes la bénédiction qui
fait seule les peuples sains, nombreux et forts. «
Il faut avoir soin seulement que les catholiques qui viennent d'autres pays ou
d'autres provinces ne s'éparpillent pas au milieu des populations protestantes
plus nombreuses, mais se groupent en petites masses compactes, paroisses, villages,
municipalités, qui seront par là moins pénétrables aux influences du protestantisme
et de l'américanisme. Ainsi groupés et .protégés, munis de bons prêtres et de
bonnes écoles, les catholiques canadiens- français, ruthènes, allemands, polonais,
auront donné avant cinquante ans au catholicisme une armée formidable par
le nombre, la discipline et l'exercisme. Dans cette armée les catholiques de langue
anglaise devraient compter pour un tiers ou la moitié. Mais s'ils tournent comme
aux Etats-Unis ou dans les autres provinces du Canada, compteront-ils dans cinquante
ans pour un quart ou un cinquième des catholiques de l'Ouest ? Les chapel cars
y feront peu de chose, les Chevaliers de Colomb pas davan tage. Et quand on
réussirait à angliciser mitres et crosses et tout le ministère pastoral, les
lois de la Providence ne seront pas suspendues comme de simples règlements canoniques
au gré des influences diplomatiques ou des intrigues plus vu moins désintéressées.
Les catholiques nés de langue anglaise, et les catholiques anglifiés seront toujours
ceux qui verseront le plus facilement dans le protestantisme et l'américanisme,
et laissés à eux-mêmes ne tendront qu'à décroître, et rapidement, en nombre et
en influence. « Et quand il en serait
autrement, quand le groupe catholique de langue anglaise serait le plus
résistant aux influences hétérodoxes, et quand il serait prouvé que l'anglais
serait le meilleur vaccin pour prémunir l'esprit des immigrants contre les virus du
protestantisme, serait-il permis à l'Eglise de leur parler en anglais seulement
avant même qu'ils le comprennent ? Il ne sert de rien de dire que l'anglais est
la langue de l'avenir. On n'instruit pas les hommes dans la langue qu'ils parleront
un jour peut-être, mais dans celle qu'ils
comprennent au moment où on leur parle. C'est la méthode qui a toujours été en
usage dans l'Eglise depuis le Cénacle jusqu'au congrès de Montréal, et encore
à l'heure présente au Canada, c'est la seule qui ait du bon sens .... »
(1) C'est l'exploit apostolique qui
fit délirer le Tablet. Qu'étaient les apôtres qui parcouraient les mêmes distances
en raquettes, pour aller chercher les âmes, non pendant trois semaines mais pendant
trente ans et plus? Race inférieure qui n'entendait rien au catholicisme, peut-être
!! Source:
Ce texte, écrit par Raphaël GERVAIS, fut publié originellement dans Les Cloches
de St. Boniface, le 15 septembre 1911. Il fut reproduit par Arthur SAVAÈTE,
dans Voix canadiennes. Vers l'Abime. Tome XII, Mgr Adélard Langevin.
Sa vie, ses contrariétés, ses uvres. Paris, Librairie générale catholique,
[sans date], 540p., pp. 396-403. ©
2001 Claude Bélanger, Marianopolis College |