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revised: 23 August 2000 | Documents
sur le libéralisme, l'Église catholique et les élections / Documents on the Catholic
Church, Liberalism and elections, 1875
Circulaire
au clergé : Neuvième décret du Quatrième concile de Québec au sujet des
élections et du serment [3
AVRIL 1871] ARCHEVÉCHÉ DE QUÉBEC,
Monsieur le Curé, On
annonce les élections comme devant avoir lieu prochainement dans cette province.
Vous n'ignorez pas quels désordres ont malheureusement lieu à cette occasion.
La gloire de Dieu, le salut des âmes qui nous sont confiées et le bien de la société
entière, exigent que le clergé déploie tout son zèle pour prévenir ces désordres,
ou du moins les diminuer autant que possible. C'est
dans ce but que je vous envoie, avec la présente circulaire, la traduction du
neuvième décret du quatrième concile provincial de Québec et deux sections du
mandement collectif des Pères du même concile où il est question des élections
et du serment. J'ai cru que ces documents
expliqués avec soin et prudence auraient plus d'autorité qu'un mandement
spécial. Vous pourrez même faire remarquer à vos paroissiens que le décret a été
approuvé par Notre Saint Père le Pape et que le mandement des Évêques n'en est
que le commentaire. J'ai dit tout à l'heure
que ces documents doivent être expliqués avec soin et avec prudence. Si
c'est une obligation grave pour tout pasteur de préparer avec soin les instructions
qu'il est tenu par la loi divine et par la loi ecclésiastique, de donner à son
peuple, cette obligation devient plus grave encore lorsqu'il s'agit de mettre
une digue à des désordres nombreux et divers, dont les conséquences sont si déplorables
pour l'Église et pour la société entière. Je vous prie de méditer attentivement
les principes exposés dans ces documents, afin de pouvoir les expliquer clairement
et brièvement à vos paroissiens. C'est à cela que doit se borner votre part dans
les élections, à moins que des circonstances tout-à-fait extraordinaires n'en
demandent davantage ; mais alors vous ne devrez pas vous écarter de la prescription
du quatrième concile de Québec. « Haec fideliter doceant populum suum
pastores, tanquam fideles ministri Christi ; in his insistant, sistantque in omni
charitate et patientia ; NEC ULTRA PROCEDANT CIRCUMSTANTIIS CONSUETIS ; ET
SI QUAE PARTICULARIS AUT EXTRAORDINARIAE OCCURRANT CIRCUMSTANTIAE, MAXIMÈ CAVEANT
NE QUID MOLIANTUR INCONSULTO EPISCOPO. » Je
vous recommande aussi la prudence, parce qu'en temps d'élection les passions politiques
excitent les hommes à la défiance, et qu'il ne faut pas exposer, sans une extrême
nécessité, le clergé aux haines et aux vengeances des partis politiques. C'est
surtout dans ce que vous direz en chaire que vous devrez peser vos paroles afin
de n'offenser personne, tout en disant la vérité et exposant les vrais principes
qui doivent guider un électeur chrétien. Quatre
désordres doivent particulièrement fixer votre attention : 1. le parjure ; 2.
l'intempérance ; 3. la vente et l'achat des suffrages ; 4. les violences contre
la liberté des élections. Comme ces points sont suffisamment développés dans les
documents que je vous envoie, je m'abstiens de vous en dire plus long. Vous
lirez et expliquerez ces documents à votre peuple dès que vous verrez que l'on
commence à s'occuper des élections. De plus, le dimanche qui précèdera le jour
de l'élection, vous lirez une seconde fois les extraits du mandementdes Pères
du quatrième concile. Une fois les élections
terminées, vous exhorterez vos paroissiens à oublier tout ce qui aurait pu se
dire ou se faire d'offensant durant ces temps de trouble et d'excitation. Vous
exhorterez les vainqueurs à la modération et à la charité; vous tâcherez de consoler
les vaincus et vous les inviterez à concourir avec bonne volonté dans tout ce
qui peut contribuer au bien public de la paroisse, ou du comté, sans conserver
de rancune contre personne. Ce sera un grand bonheur pour notre pays si l'on peut
y comprendre que la concorde est un bien inestimable et une source intarissable
de bonheur et de prospérité. Recevez,
Monsieur le Curé, l'assurance de mon sincère attachement,
E.-A., Arch. de Québec I NEUVIÈME
DÉCRET DU QUATRIÈME CONCILE PROVINCIAL DE QUÉBEC. Des
élections politiques et administratives. «
Tout le monde sait par une trop déplorable expérience que les élections des députés
de l'assemblée législative et les élections des conseillers municipaux, sont devenues
pour notre peuple, sinon la cause, au moins l'occasion certaine et très redoutable
de corruptions, de désordres et de péchés innombrables de toutes sortes, de mensonges,
de calomnies, de fourberies, d'ivrogneries, de querelles, de blasphèmes, de parjures,
etc., et les choses en sont déjà même arrivées à un tel point que les électeurs
et leurs partisans semblent livrés à un esprit de vertige et d'erreur. Hélas !
dans ces jours d'iniquité, combien n'y en en a-t-il pas qui ne craignent point
de fermer l'oreille à la voix de leur conscience, de mettre en oubli la crainte
de Dieu, et Dieu lui-même, comme si tout alors leur était permis; ou comme si
Dieu ne les voyait point, ou bien qu'il ne dût point s'en souvenir, et
les juger. (Ps. X.) Que les Prêtres,
ministres du Seigneur, élèvent donc leur voix contre un tel renversement de tous
les principes de la religion et des moeurs, qu'ils s'élèvent avec force contre
un mal aussi grave et aussi funeste ; que les Pasteurs des âmes fassent entendre
leur voix : et qu'ils annoncent à leur peuple les péchés dont ils sont coupables
et aux enfants de l'Église leurs crimes. (Isaie, LVIII. 1.) Qu'ils ne se lassent
point, et qu'ils ne craignent point les clameurs des impies et des hommes pervers. Que
ces mêmes Pasteurs, en outre, ne négligent rien pour prémunir les Fidèles contre
les séductions, les scandales et tous les dangers de ces jours mauvais : que longtemps
avant l'époque de ces élections, mais surtout qu'au temps même où elles doivent
avoir lieu, ils leur rappellent avec soin que Dieu est le maître des dominateurs,
et le souverain Seigneur des élections ; que c'est lui-même qui jugera un jour
et les électeurs, et les candidats et les élus, et qu'il rendra à chacun selon
ses oeuvres (Rom. II. 6.) et qu'il n'épargnera pas plus celui qui aura péché
dans les élections que celui qui aura péché hors des élections. Qu'ils
les instruisent avec soin de leurs devoirs relatifs à ces élections, inculquant
fortement que la même loi qui confère aux citoyens le droit de suffrage, leur
impose en même temps, la grave obligation de le donner quand il le faut, et cela
toujours suivant leur conscience et devant Dieu, tant pour le plus grand bien
de la religion que pour celui de l'état et de leur patrie ; qu'en conséquence
ils sont toujours obligés devant Dieu, et en conscience, de donner leur suffrage
au candidat qu'ils jugent avec prudence être réellement honnête, et capable de
remplir la charge si importante qui- lui est confiée, savoir, de veiller au bien
de la religion et de l'état, et de travailler fidèlement à le promouvoir et à
le conserver. D'où il suit évidemment que tous ceux qui vendent leur suffrage,
ou qui le donnent, pour quelle que cause que ce soit, à un candidat qu'ils savent
être indigne, pèchent non seulement devant les hommes, mais aussi devant Dieu. Que
les Pasteurs enseignent fidèlement ces choses à leur peuple comme de fidèles ministres
de Jésus-Christ; qu'ils insistent sur ces choses et s'en tiennent là en toute
charité et patience, sans aller au-delà dans les circonstances ordinaires. Et
s'il arrive quelques circonstances particulières ou extraordinaires, qu'ils se
gardent bien de rien faire sans avoir consulté leur Évêques. » II EXTRAITS
DE LA LETTRE PASTORALE DES PÈRES DU MÊME CONCILE, 14
MAI 1868. V. Politique
et Élections. La vraie
et parfaite liberté et égalité des hommes, dit Pie IX, ont été mises sous la garde
de la loi chrétienne, puisque le Dieu tout puissant, qui a, fait le petit et
le grand, et a soin de l'un et de l'autre (Sagesse, VI. 8.), jugera sans acception
de personne et n'exemptera personne de ce jugement universel de justice dont
il a fixé le jour (actes, XVII. 31.), dans lequel Jésus-Christ viendra
dans la gloire de son Père, avec ses anges pour rendre à chacun selon ses couvres
(S. Matth. XVL,27.).n (Encyclique du 8 décembre 1849. ) Des
hommes qui veulent vous tromper, Nos Très Chers Frères, vous répètent que la religion
n'a rien à voir dans la politique. Ne pouvant pas, ou n'osant pas nier la vérité
de ce jugement que Jésus-Christ doit un jour exercer sur tous les hommes, ils
veulent en restreindre l'objet à la conduite privée. Ils admettent bien que, dans
la conduite privée, il n'est pas permis de penser d'une manière déraisonnable,
de parler comme un insensé, d'agir sans vérité, sans honneur et sans pudeur ;
ils veulent bien reconnaître que le clergé a raison de demander au nom de Dieu
que l'on s'abstienne de ces énormités dans la conduite privée. Mais du moment
qu'il s'agit de politique, ces mêmes hommes nous accusent de tyrannie et de despotisme
intolérable, parce que nous réprouvons la licence effrénée de tout penser, de
tout dire, de tout faire. Eh quoi ! nous refuserait-on le droit de protester contre
des idées extravagantes, contre des paroles licencieuses, contre le vol, contre
le parjure, contre les violences injustes, contre le blasphème, contre l'intempérance,
contre le meurtre même, du moment que ces excès se feraient au nom de la liberté
au nom d'un parti politique, ait nom d'une opinion quelconque ? C'est ainsi que
l'on s'efforce de détruire dans la politique toute idée de justice, de vérité,
de droit, d'honneur et de religion. Or, dit Pie IX, là où la religion est bannie
de la société civile, et la doctrine et l'autorité de la révélation divine rejetées,
la vraie notion de la justice et du droit humain s'obscurcit et se perd, et la
force matérielle prend la place de la justice et du vrai droit. (Encyclique
du 8 décembre 1864.) Ainsi l'on
veut bannir Dieu de la société civile, et s'affranchir de sa loi sainte dans sa
conduite publique. L'on oublie que le même Dieu qui doit juger les individus,
est aussi celui qui juge les peuples (Ps. VII. 9.). L'on oublie
qu'il exercera un jugement terrible sur ceux qui gouvernent. Prêtez donc
l'oreille à mes paroles, dit le Saint-Esprit dans le livre de la Sagesse (Chapitre
VI), vous qui gouvernez la multitude. Considérez que vous avez reçu la puissance
du Très-Haut, qui interrogera vos oeuvres, scrutera même vos pensées ; parce qu'étant
les ministres de son royaume, vous n'avez pas gardé la loi de la justice, ni marché
selon sa volonté. Aussi viendra-t-il à vous d'une manière effroyable pour vous
juger avec une extrème rigueur. C'est
depuis que l'on a commencé à semer ces doctrines perverses, que notre pays, autrefois
si paisible et si heureux, a été le théâtre de scènes déplorables de violence,
de désordres et de scandales de toute espèce dans les élections. Des hommes qui
trouvent leur intérêt à égarer le peuple, ont exalté sans mesure sa liberté et
son indépendance, pour mieux réussir à le faire servir d'instrument aveugle à
leur ambition. Ils ont d'abord posé ce faux principe, contre lequel nous venons
de protester, que la religion n'a rien à faire dans la politique ; ensuite ils
ont soutenu que, pour vous déterminer dans le choix d'un candidat, vous n'aviez
d'autre règle à suivre que votre bon plaisir et le caprice de votre volonté ;
et enfin mettant de côté toute vérité et toute justice, ils en sont venus jusqu'à
permettre de dire et d'oser tout ce que l'on croirait capable de faire triompher
le candidat de son choix. Erreurs montrueuses,
Nos Très Chers Frères ; et malheur au pays où elles viendraient à prendre racine
! Malheur au gouvernement qui prétend régner sans Dieu ; malheur au peuple qui,
dans l'exercice de ses droits politiques, méconnait les lois imprescriptibles
de la saine raison et de la justice ! Loin
de nous la pensée de vous contester cette liberté et cette indépendance véritables
que la constitution de notre pays vous garantit. Ce que nous déplorons, ce que
nous condamnons, c'est l'abus que l'on en fait, ce sont les excès auxquels on
se livre, comme si cette liberté et cette indépendance autorisaient à fouler aux
pieds toutes les lois divines et humaines. Souvenez-vous
que Dieu jugera un jour vos élections; il vous demandera compte de vos intentions,
de votre choix, de votre suffrage, de vos paroles et de vos actes dans l'exercice
de ce droit important. En même temps que la constitution vous donne la liberté
de choisir vos mandataires, Dieu vous fait une obligation de n'user de cette liberté
que dans la vue du bien public, et de ne donner vos suffrages qu'à des hommes
capables de le procurer, et sincèrement disposés à le faire. De là suit une autre
obligation pour vous : celle de vous appliquer à bien connaître ceux qui briguent
vos suffrages. Certes, vous seriez coupables d'une bien grande imprudence devant
Dieu et devant les hommes, si vous donniez votre voix au premier venu qui se présente
avec de belles paroles, sans vous mettre en peine de sa capacité, et surtout de
ses principes. Pour défendre vos intérêts religieux et civils, vous ne pouvez
pas compter sur un homme qui n'est pas religieux et d'une probité à toute épreuve.
Quelle confiance pourriez-vous avoir dans un impie qui se moque de la conscience,
de la religion et de Dieu même ? dans un homme qui ne fréquente les églises que
dans le temps des élections ? dans un homme qui se vante d'obtenir son élection
par la fraude, par la violence, par la calomnie, par le parjure ? dans un homme
qui veut acheter votre suffrage à prix d'argent? Ne craignez-vous pas qu'après
vous avoir achetés, il ne vous vende à son tour et avec grand profit pour lui-même,
mais au grand détriment de vos plus précieux intérêts ? Oh
! Nos Très Chers Frères, n'est-ce pas une honte pour notre, pays qu'il se soit
trouvé des électeurs qui ont eu la bassesse de mettre leur suffrage à prix d'argent
; qui ont promis leur voix à ceux qui leur promettaient plus d'argent ; qui ont
donné, ou plutôt vendu leur suffrage pour de l'argent ? Quelques-uns
sont allés encore plus loin dans cette carrière de déshonneur : ils ont sacrifié
leur liberté et leur indépendance afin de satisfaire leur malheureux penchant
pour les liqueurs enivrantes ! Parce
que la justice humaine est impuissante à atteindre ceux qui se rendent coupables
de ces iniquités et de ces infamies, vous persuaderiez-vous que le souverain Juge
n'en demandera aucun compte ? Croyez-vous qu'au tribunal de la justice infinie,
la corruption, la calomnie, le mensonge, la violence, le parjure, la haine, l'intempérance
et autres excès, ne seront pas punis, parce qu'ils auront été commis en temps
d'élection ? Non, non, Nos Très Chers Frères, ceux qui font alors de telles choses,
sous prétexte de soutenir leur cause, fût-elle la meilleure du monde, porteront
infailliblement la peine de leur iniquité. VI.
Du Serment. Le nom de Dieu
est saint et terrible, (Ps. CX. 9.) il ne doit être prononcé qu'avec le plus
profond respect, et le Seigneur ne tiendra pas pour innocent celui qui aura
pris en vain le nom du Seigneur son Dieu (Exode, XX. 7.). II
est encore écrit dans nos Livres saints : Vous ferez serment en disant
: Vive le Seigneur ; mais que ce soit avec vérité, avec discrétion et avec justice
(Jérémie, IV. 2.). Celui qui fait
serment, prend à témoin de la vérité de ce qu'il dit, le Dieu de toute vérité.
Le serment est un hommage rendu à la souveraine véracité de Dieu. Mais aussi le
parjure a été considéré par tous les peuples comme un outrage énorme à la Divinité,
comme un crime abominable, digne des plus terribles châtiments. Nous
ne pouvons vous le dissimuler, Nos Très Chers Frères, nous sommes épouvantés de
voir avec quelle facilité certains hommes, oubliant la crainte de Dieu, osent
se parjurer, soit devant les tribunaux, soit dans les temps d'élection. Ainsi,
pour un vil intérêt, pour assurer le triomphe d'un candidat quelquefois indigne
de la moindre confiance, on profane le nom adorable de Dieu. Et, ce qui met le
comble à cette iniquité, et nous fait redouter pour notre pays les effets de la
juste indignation du Seigneur, c'est qu'on ne craint pas de justifier de pareilles
énormités : on essaie de se faire une fausse conscience et de pallier à ses propres
yeux tout ce qu'il y a d'impie et d'abominable dans le parjure. Pourrions-nous,
Nos Très Chers Frères, garder le silence sur une pareille impiété et sur un si
grand désordre social ? Pourrions-nous ne pas vous rappeler ici la sainteté du
serment? C'est toujours un péché mortel
de faire serment pour affirmer une chose que l'on sait être fausse. C'est
toujours un péché mortel de se parjurer pour affirmer que l'on est électeur ou
que l'on possède réellement et de bonne foi des biens suffisants, tandis que la
conscience crie le contraire. C'est toujours
un péché mortel d'engager quelqu'un à se parjurer. Craignez
ce grand Dieu qui tient vos vies entre ses mains ; craignez d'offenser ce Juge
souverain qui est le témoin de toutes vos pensées et de toutes vos paroles et
qui a le pouvoir non-seulement de vous donner la mort, mais encore de
précipiter vos âmes dans les flammes éternelles (S. Luc, XII. 5.). Eh ! que
vous servira d'avoir, par des moyens illicites, par la fraude, par la violence,
par le parjure, gagné une élection, ou même gagné l'univers entier, si vous
perdez votre âme pour l'éternité ? (S. Matth. XVI. 28.) Source:
Mgr H. Têtu et l'abbé C.-O. Gagnon, éditeurs, Mandements, Lettres pastorales
et Circulaires des Évêques de Québec. Nouvelle série. Son Éminence le cardinal
Taschereau, Volume premier, Québec, Imprimerie générale A. Côté et Cie, 1889,
570p., pp. 25-33. © 2000
Claude Bélanger, Marianopolis College |